Interview d'Agnès Varda
Dans le cadre de l'avant-première de "Visages, villages" au Cinéma Vendôme de Bruxelles, Thomas a rencontré Agnès Varda le lundi 3 juillet 2017.
Dans le cadre de l'avant-première de "Visages, villages" au Cinéma Vendôme de Bruxelles, Thomas a rencontré Agnès Varda le lundi 3 juillet 2017.
Agnès Varda est une très grande dame du cinéma ! Après avoir jeté les prémices de La Nouvelle Vague par son film « La pointe courte » qui révéla Philippe Noiret au grand public en 1955, après avoir signé des films atypiques comme « Sans toit ni loi » ou « les cent et une nuits » rendant hommage au cinéma, la réalisatrice d’origine bruxelloise est revenue à 89 ans sur sa terre natale pour y présenter son film « Visages, villages », coréalisé avec l’artiste JR. Présenté hors compétition à Cannes, celui-ci a remporté cette année l'Oeil d'or du meilleur documentaire. Agnès Varda a accepté de revenir sur ses souvenirs de tournage.
Agnès Varda, vous avez plus de 60 ans de cinéma. Votre façon de filmer a-t-elle changé ? Ah ben oui, quand même. J’ai appris quelque chose sur 60 ans ! Dans les dernières vingt années, j’ai surtout fait du documentaire, mais du documentaire élargi. Le dernier film que j’ai présenté ici c’était « les plages d’Agnès » où je racontais ma vie mais surtout je racontais quelqu’un dans le siècle, plus que des confidences intimes. Je pensais que ce serait mon dernier film mais par hasard j’ai rencontré JR. Pas tout à fait par hasard puisque c’est grâce à ma fille. JR avait filmé des femmes partout dans le monde, le film n’avait pas très bien marché mais il était déjà dans cet intérêt d’écouter les gens. |
Il est venu à mon atelier un jour ensuite je suis allée chez lui. C’était un coup de foudre artistique car on a tout de suite eu envie de travailler ensemble.
Comment expliquez-vous cela ?
Parce qu’on a le même goût de mettre les gens en valeur. Pas des gens connus, pas des stars, pas des chefs. Nous avons cette chose-là en commun. Moi je filme des anonymes, des gens qui n’ont pas de pouvoir.
Quelle a été votre démarche pour ce film tourné à travers la France?
Mettre en valeur des personnes qui n’ont pas l’habitude de l’être, en écoutant leurs propos. Plus que les écouter, on essaie de les mettre en conversation et pas en questions/réponses. Il y a des gens qui ont dit des choses vraiment magnifiques.
Quel exemple retenez-vous en particulier ?
Il y a dans le film un petit garagiste à qui on parle des cornes de chèvres coupées. Il se met à dire « Et si on leur mettait des boules sur leurs cornes, on pourrait les peindre en couleur, etc ». Tout d’un coup, il a eu plein d’invention, plein de drôlerie. Dans l’usine où nous avons filmé, je vois un type bien habillé. Je lui demande s’il va quelque part et il me répond «non, c’est parce que c’est mon dernier jour d’usine ». Tout de suite on l’a écouté et il a dit des choses…ça m’a tiré les larmes ! Ce sont des choses qu’on n’entend pas souvent. Ce n’est pas le langage de la sociologie politique.
Comment s’est déroulée cette collaboration avec JR ?
C’était formidable. Il est rigolo, il est grand, il propose des choses. Vous avez vu cette fille de mineur qui nous a émus quand elle parle de ses souvenirs et qui se met à pleurer quand elle voit sa grande image. Il s’approche d’elle et lui dit « on va faire un petit câlin ». C’est pas des journalistes de la télé qui font ça ! Il a fait ça spontanément, ce n’était pas répété, on ne savait pas ce qui arrivait ! Lui, c’est un artiste urbain qui travaille beaucoup dans les villes. Hier, nous étions à Bologne où il y avait une projection gratuite sur la Grand Place. On était heureux car c’est ça que nous voulons faire. Quand on présente le film, on fait les clowns, ça fait un peu « Doublepatte et Patachon ».
Comment avez-vous structuré votre récit ?
On tournait une semaine, ensuite dans les trois semaines qui suivaient on avait chacun nos occupations mais on avait des idées et on les mettait en commun. Par exemple, un assistant m’avait parlé d’un village qui a été construit, abandonné en construction, à Pirou plage. On a envoyé deux femmes voir tous les villages aux alentours pour dire aux habitants qu’on ferait une fête tel samedi. On a vu arriver les gens, on les a mis en valeur. C’était une journée de rencontres, de bonne humeur. Jamais on n’a soulevé des problèmes et pourtant ils en ont.
Lorsqu’on a tourné la scène avec l’agriculteur, je me suis rendue compte que c’était à 100 mètres d’où habitait Nathalie Sarraute que j’avais beaucoup aimée. C’était le hasard, tout le temps on avait des trucs comme ça. On avait l’impression que le hasard nous accompagnait.
La séquence où l’agriculteur s’avance devant son portrait rappelle l’une des scènes de votre film « Murs, murs ». Est-ce volontaire ?
A l’époque de « Murs, murs », j’étais intéressée par des gens qui montent des images sur les murs gratuitement pour les autres. C’est ce que fait JR ! Cela démontre que j’ai un intérêt pour ce genre d’artistes. Si les gens avancent devant leur propre portrait ici, ce n’est pas en référence, c’est juste parce que c’était bien de les représenter comme ça.
Comment ont réagi les personnes que vous avez rencontrées après avoir vu le film ?
Au Havre, il y avait un enthousiasme extraordinaire. A Bruay, où il y a la fille de mineur, on ne pouvait pas aller alors on a fait un message qui a été projeté en scène. Cette dame m’a également laissé un message disant qu’elle avait été heureuse, émue. C’est tellement touchant parce qu’il y a de l’émotion qui continue.
On vous sent dans le film un peu déçue quand vous rendez visite à Jean-Luc Godard et qu’il ne vous ouvre pas sa porte.
Un peu ? … JR me disait toujours qu’il voulait connaître Jean-Luc Godard alors je me suis dit que j’allais lui présenter. On avait rendez-vous à 11h30 puis l’assistant nous a dit de venir plus tôt. Quand nous sommes arrivés chez lui, il n’a pas ouvert et m’a laissé un mot à la fenêtre qui m’a piqué. Vous avez compris qu’il a fait allusion à la mort de Jacques (Demy), j’ai été prise de court. JR a voulu qu’on laisse cette scène dans le film, il m’a dit que Jean-Luc Godard avait écrit avec moi la fin du film. La fin s’est donc montée presque toute seule.
Il n’a pas réagi depuis ?
Je lui ai envoyé le dvd. Silence radio ! Mais je trouve son travail remarquable, il faut des chercheurs comme lui dans le cinéma.
Y a-t-il des séquences qui ont été coupées volontairement ?
Non. On a monté les séquences de chaque village. Une séquence qui n’a pas été montée sera mise dans le bonus du dvd.
Avez-vous d’autres projets de cinéma ?
Ah non, ça va le cinéma ! Je prépare des expositions, un livre sur le film, des choses moins fatigantes et surtout où il y a moins de travail pour les sortir ! On fait cette tournée de bon cœur mais j’ai quand même d’autres choses à faire ! (rires)
Comment expliquez-vous cela ?
Parce qu’on a le même goût de mettre les gens en valeur. Pas des gens connus, pas des stars, pas des chefs. Nous avons cette chose-là en commun. Moi je filme des anonymes, des gens qui n’ont pas de pouvoir.
Quelle a été votre démarche pour ce film tourné à travers la France?
Mettre en valeur des personnes qui n’ont pas l’habitude de l’être, en écoutant leurs propos. Plus que les écouter, on essaie de les mettre en conversation et pas en questions/réponses. Il y a des gens qui ont dit des choses vraiment magnifiques.
Quel exemple retenez-vous en particulier ?
Il y a dans le film un petit garagiste à qui on parle des cornes de chèvres coupées. Il se met à dire « Et si on leur mettait des boules sur leurs cornes, on pourrait les peindre en couleur, etc ». Tout d’un coup, il a eu plein d’invention, plein de drôlerie. Dans l’usine où nous avons filmé, je vois un type bien habillé. Je lui demande s’il va quelque part et il me répond «non, c’est parce que c’est mon dernier jour d’usine ». Tout de suite on l’a écouté et il a dit des choses…ça m’a tiré les larmes ! Ce sont des choses qu’on n’entend pas souvent. Ce n’est pas le langage de la sociologie politique.
Comment s’est déroulée cette collaboration avec JR ?
C’était formidable. Il est rigolo, il est grand, il propose des choses. Vous avez vu cette fille de mineur qui nous a émus quand elle parle de ses souvenirs et qui se met à pleurer quand elle voit sa grande image. Il s’approche d’elle et lui dit « on va faire un petit câlin ». C’est pas des journalistes de la télé qui font ça ! Il a fait ça spontanément, ce n’était pas répété, on ne savait pas ce qui arrivait ! Lui, c’est un artiste urbain qui travaille beaucoup dans les villes. Hier, nous étions à Bologne où il y avait une projection gratuite sur la Grand Place. On était heureux car c’est ça que nous voulons faire. Quand on présente le film, on fait les clowns, ça fait un peu « Doublepatte et Patachon ».
Comment avez-vous structuré votre récit ?
On tournait une semaine, ensuite dans les trois semaines qui suivaient on avait chacun nos occupations mais on avait des idées et on les mettait en commun. Par exemple, un assistant m’avait parlé d’un village qui a été construit, abandonné en construction, à Pirou plage. On a envoyé deux femmes voir tous les villages aux alentours pour dire aux habitants qu’on ferait une fête tel samedi. On a vu arriver les gens, on les a mis en valeur. C’était une journée de rencontres, de bonne humeur. Jamais on n’a soulevé des problèmes et pourtant ils en ont.
Lorsqu’on a tourné la scène avec l’agriculteur, je me suis rendue compte que c’était à 100 mètres d’où habitait Nathalie Sarraute que j’avais beaucoup aimée. C’était le hasard, tout le temps on avait des trucs comme ça. On avait l’impression que le hasard nous accompagnait.
La séquence où l’agriculteur s’avance devant son portrait rappelle l’une des scènes de votre film « Murs, murs ». Est-ce volontaire ?
A l’époque de « Murs, murs », j’étais intéressée par des gens qui montent des images sur les murs gratuitement pour les autres. C’est ce que fait JR ! Cela démontre que j’ai un intérêt pour ce genre d’artistes. Si les gens avancent devant leur propre portrait ici, ce n’est pas en référence, c’est juste parce que c’était bien de les représenter comme ça.
Comment ont réagi les personnes que vous avez rencontrées après avoir vu le film ?
Au Havre, il y avait un enthousiasme extraordinaire. A Bruay, où il y a la fille de mineur, on ne pouvait pas aller alors on a fait un message qui a été projeté en scène. Cette dame m’a également laissé un message disant qu’elle avait été heureuse, émue. C’est tellement touchant parce qu’il y a de l’émotion qui continue.
On vous sent dans le film un peu déçue quand vous rendez visite à Jean-Luc Godard et qu’il ne vous ouvre pas sa porte.
Un peu ? … JR me disait toujours qu’il voulait connaître Jean-Luc Godard alors je me suis dit que j’allais lui présenter. On avait rendez-vous à 11h30 puis l’assistant nous a dit de venir plus tôt. Quand nous sommes arrivés chez lui, il n’a pas ouvert et m’a laissé un mot à la fenêtre qui m’a piqué. Vous avez compris qu’il a fait allusion à la mort de Jacques (Demy), j’ai été prise de court. JR a voulu qu’on laisse cette scène dans le film, il m’a dit que Jean-Luc Godard avait écrit avec moi la fin du film. La fin s’est donc montée presque toute seule.
Il n’a pas réagi depuis ?
Je lui ai envoyé le dvd. Silence radio ! Mais je trouve son travail remarquable, il faut des chercheurs comme lui dans le cinéma.
Y a-t-il des séquences qui ont été coupées volontairement ?
Non. On a monté les séquences de chaque village. Une séquence qui n’a pas été montée sera mise dans le bonus du dvd.
Avez-vous d’autres projets de cinéma ?
Ah non, ça va le cinéma ! Je prépare des expositions, un livre sur le film, des choses moins fatigantes et surtout où il y a moins de travail pour les sortir ! On fait cette tournée de bon cœur mais j’ai quand même d’autres choses à faire ! (rires)