Entretiens autour d'Alain Delon
propos recueillis par Thomas Léodet
propos recueillis par Thomas Léodet
Fiona Gélin
Sa partenaire dans « Parole de flic »
« Ma participation au film Parole de flic est née d’une rencontre avec le directeur photo dans un avion. Il m’a fait lire le scenario qui m’a immédiatement intéressée. Lorsque quelques jours plus tard, j’ai reçu un coup de téléphone d’Alain Delon, je n’y croyais pas. Je l’avais déjà croisé auparavant sur le tournage de Pour la peau d’un flic où j’étais figurante, je connaissais bien Mireille Darc avec qui j’avais fait de la photo et elle me parlait tellement de lui que j’avais l’impression de le connaître. Le tournage de Parole de flic s’est très bien passé. J’ai de très bons souvenirs d’une scène que nous avons tournée au Congo. J’étais intimidée parce que je devais lui dire « je t’aime » et il m’a conseillé de penser « je te déteste ». Alain a été un excellent professeur, il m’a appris à tirer car je devais le faire dans le film. Il me parlait aussi beaucoup de ma sœur Maria Schneider qu’il appréciait. Aujourd’hui malheureusement on se revoit surtout aux enterrements. »
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Monica Guerritore
Sa partenaire dans « L’homme pressé »
(c) Knock-on-wood
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« J’étais une très jeune actrice de théâtre quand j’ai tourné avec monsieur Delon. Je venais de représenter la Cerisaie au théâtre de L’Odeon, mise en scène par Giorgio Strehler. Le premier jour de tournage et tous les jours qui ont suivi, il y avait toujours une rose dans ma loge et un sourire quand je le rencontrais. Mais ce que je peux vous dire, c’est que le premier jour de tournage, j’ai demandé à Edouard Molinaro, le réalisateur du film, si c’était possible de faire un essai de la scène avec Monsieur Delon et lui. Il m’a immédiatement dit que non car on ne pouvait pas le déranger.Alain Delon a eu écho que la petite actrice italienne l’avait demandé et il est arrivé en disant à l’équipe que c’était bien de faire cet essai. J’avais 19 ans, je n’étais personne. Ceci pour vous témoigner le respect que j’ai pour lui. »
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Xavier Deluc
Son partenaire dans « Ne réveillez pas un flic qui dort »
« Me retrouver à l'âge de trente ans face à Monsieur Delon était impressionnant. Ses yeux de "fauve" ne me lâchaient pas quand c'était à moi de jouer, sa voix directe ne m'offrait pas l'occasion de douter et sa confiance donnée se sentait chaque matin dans sa poignée de main. Ça m'avait donné des ailes... Bref, cet acteur, ce géant qui a connu les plus grands se retrouvait en face de moi. Moi qui étais si fier de le rencontrer et qui plus est, de jouer avec lui. Il m'a donné le droit et la liberté de m'exprimer dans mon jeu d'acteur, quel pied... Monsieur Delon avait su aussi être un Alain bienveillant et patient car ce métier ne s'improvise pas et certaines scènes étaient délicates à se caler. Son amitié et fidélité pour les acteurs, j'en avais entendu parler mais quand j'ai vu comment il avait su accueillir Serge Réggiani âgé sur son film, c'était poignant. Merci Monsieur Delon de m'avoir donné ma chance et de m'avoir toujours encouragé. Vous avez su me donner un peu plus confiance en moi, merci encore et ce, pour toujours... »
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(c) Box office story
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Laure Killing
Sa partenaire dans « Nouvelle Vague », « L’ours en peluche » et « Fabio Montale ».
(c) Cineclap
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« J’apprécie beaucoup Alain Delon parce que, en dehors des tournages, je trouve que c’est une belle personne qui a de belles valeurs. Il est fidèle en amitié, respectueux. C’est un homme élégant, il est aussi beau à l’intérieur qu’à l’extérieur. C’est vraiment quelqu’un qui est travailleur et sérieux dans son travail. Il prend bien toutes les indications d’un metteur en scène, je n’ai jamais remarqué de tensions dans les trois films tournés avec lui. C’est quelqu’un d’extrêmement généreux dans son jeu avec ses partenaires. Ca ne se passe peut-être pas aussi bien avec tout le monde mais en ce qui me concerne, je dois dire qu’il a toujours été aidant dans des situations où on avait des petites difficultés. Par exemple, dans Fabio Montale, j’avais une séquence où je devais pleurer.
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Dans le jeu d’un acteur, vous pouvez lancer votre machine mais en même temps vous continuez à pleurer en attendant que les problèmes techniques soient résolus et il est intervenu pour ça. Il est très protecteur. Je lui souhaite que ce dernier film qu’il va tourner ne soit pas le dernier ! »
Patrice Leconte
Réalisateur du film « Une chance sur deux ».
A propos de sa participation à l’écriture de L’Encyclopédie Alain Delon : « L’éditeur et le journaliste Guillaume Evin sont venus me trouver avec 100 photos disparates sur Alain Delon. Ils m’ont demandé si ça m’intéressait de faire un commentaire sur chaque photo. Comme j’ai beaucoup d’admiration et d’amitié pour Alain, j’ai dit oui tout de suite. Je ne voulais pas faire un bouquin hagiographique. Ca m’amusait non pas de me moquer de lui mais d’être sincère et Alain a adoré ça. Il n’était pas au courant qu’on faisait ce bouquin. On l’a fait dans notre coin puis il m’a passé un coup de fil enthousiaste. Mon attitude par rapport au travail sur ce livre a été de faire un cadeau à cet acteur que j’adore. » |
Agnès Varda
Réalisatrice du film « Les Cent et une nuits »
« Alain Delon a accepté de jouer son propre rôle dans une scène du film au cours de laquelle Henri Garcin joue le rôle d’un fan. Ils ont pris beaucoup de plaisir à tourner cette scène. Nous avions intégré des photos et des affiches de ses films dans le décor et il est venu sur le tournage avec des photos de Visconti qu’il admirait. L’équipe a gardé un très bon souvenir de cette journée ». |
Interview d’Andréa Ferréol
Sa partenaire dans « Le battant »
Quel souvenir gardez-vous de ce tournage ?
Je garde un très bon souvenir car Alain Delon était metteur en scène, acteur, producteur, alors évidemment il était aux petits soins avec ses actrices dont je faisais partie. C’était très très sympathique. Il était attentif, drôle, souriant, de bonne humeur, enfin voilà. On décrit toujours Alain Delon comme quelqu’un de difficile mais pas là. Vous vous rappelez encore de votre rencontre ? C’était pour ce film. Il n’a pas été difficile du tout avec moi. J’ai eu un peu peur de ses chiens quand je l’ai rencontré. Les chiens noirs font toujours assez peur ! Je me tenais sur le bout des fesses pour lui parler mais en même temps c’était simplement la peur des chiens. Il y a une scène qui vous a marquée en particulier ? |
(c) Unifrance
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Non. J’ai découvert qu’il aimait que les femmes soient bien habillées. J’avais un pantalon bleu roi avec une veste très colorée et il m’a dit « alors, vous venez de jardiner ? ». C’était parce qu’il aime que les femmes soient belles, bien habillées. Donc j’ai du aller sur le plateau le premier jour de tournage en étant bien habillée. Je ne tournais pas ce jour-là, je trouvais cela un peu ridicule mais bon voilà.
Avez-vous le sentiment qu’il aurait pu continuer sur cette voie en tant que metteur en scène ?
Oui, bien sûr. Il savait très bien diriger, il savait très bien ce qu’il voulait.
Avez-vous le sentiment qu’il aurait pu continuer sur cette voie en tant que metteur en scène ?
Oui, bien sûr. Il savait très bien diriger, il savait très bien ce qu’il voulait.
Interview de Jean-Pierre Castaldi
Son partenaire dans « La race des seigneurs ». Il est aussi au générique du « Cercle Rouge » et de « La veuve Couderc ».
Jean Pierre Castaldi, quel est votre premier souvenir avec monsieur Delon ?
Je l’ai rencontré grâce à mon ex-femme Catherine Allégret quand Pierre Granier-Deferre m’a proposé de jouer un flic dans « La veuve Couderc ». Je l’ai rencontré sur le plateau, il a été éminemment sympathique, ce qu’il est d’ailleurs dans la vie. Il a été très professionnel sur le plateau, je n’ai pas tourné avec lui sur ce film mais Granier-Deferre m’a ensuite proposé un rôle plus conséquent dans « La race des seigneurs » où je jouais son chef de cabinet. C’est vraiment dans ce film-là que vous avez eu le plus de contacts avec lui ? |
Après, j’ai continué à le voir pendant longtemps même si je n’ai plus tourné avec lui.
Que pouvez-vous dire à propos de votre collaboration avec monsieur Delon ?
D’abord et avant tout, Simone Signoret qui a été sa partenaire lui trouvait beaucoup de talent, ce qu’il a. Quand on reprend la liste de ses films, c’est impressionnant. J’avais entendu parler d’Alain Delon avant car le premier qui lui a mis le pied à l’étrier, c’est mon autre beau-père Yves Allégret qui l’avait trouvé très talentueux. J’ai d’ailleurs une anecdote intime à ce sujet. Quand Yves Allégret est mort, un peu oublié il faut bien le dire, dans la maison de campagne qu’il avait du temps où il avait découvert Alain Delon, à 11 heures du soir, la clochette a retenti. C’était Alain Delon venu avec son chauffeur lui rendre un dernier hommage. Je pense que c’est la seule personne de ce métier qui est venue voir Yves Allégret.
Quel souvenir gardez-vous de « La race des seigneurs » ?
La costumière m’avait demandé si j’avais un costume, je n’ai pas osé dire que non. J’ai été m’acheter un costume que j’ai porté pendant trois semaines avant le tournage. Ensuite, sur le film, j’étais en train de répéter le travelling d’une scène où il rentre dans la salle de réunion du parti où je devais l’accompagner, pour être à la bonne vitesse. Je calais mon texte avec la vitesse du travelling quand une main s’est posée gentiment sur mon épaule pour me dire « Bonjour. Ne répète pas trop, tu vas t’user ». C’était Alain Delon qui avait remarqué mon costume. Evidemment, j’ai blanchi un peu car comme il était producteur du film, je ne voulais pas qu’il pense que je m’étais fait payer un costume par la production. J’ai travaillé et à la fin de la journée, le directeur de production est venu me voir dans la caravane que je partageais avec Claude Rich en me disant « Tu me donneras la facture de ton costume, qu’on te le rembourse ». C’est ça, Alain Delon !
Et puis, pendant une prise, je lui réponds instinctivement comme dans une semi improvisation. Granier-Deferre ne dit rien, on coupe la prise puis il vient me voir en me disant « C’est bien, ce que tu viens de faire mais ce n’est pas le personnage. Tu es mon chef de cabinet. » Il avait parfaitement raison, un chef de cabinet ne parle pas comme ça à un ministre.
Il vous donnait donc des indications sur le jeu.
Des indications très précises et très justes. C’est ça qui m’a toujours impressionné chez lui. Il a toujours eu un respect total de ce qu’on appelle les seconds rôles. J’ai beaucoup d’admiration pour lui.
Je vais même vous raconter une autre anecdote. Je tournais à Prague un téléfilm avec Pierre Mondy. En sortant du studio, on voit une centaine de personnes devant la grille et on se demande ce qu’il se passe. On nous dit qu’on a annoncé l’arrivée d’Alain Delon. On file alors à l’hôtel, à 100 mètres c’était noir de monde. Tout le personnel était au garde à vous pour l’attendre. On dîne avec vue sur l’entrée et à la fin du repas arrive Alain Delon. Il passe la porte avec le directeur et il nous voit. Il se précipite alors sur Pierre Mondy et l’embrasse puis il m’embrasse aussi. C’est un homme de parole et de cœur.
Quelles étaient les relations avec le metteur en scène sur les films que vous avez tournés ?
Alain Delon, comme Simone Signoret et tous ces grands acteurs, une fois qu’ils se sont mis d’accord sur le sens du film, il n’y a aucune tension. C’est un vrai producteur qui donne les moyens qu’il faut au metteur en scène. Avec Granier-Deferre, tout s’est très bien passé.
Quelle conclusion souhaitez-vous apporter ?
Alain Delon est une des dernières grandes stars vivantes. Je crois que le mot « star » lui convient. Quand on arrive dans un pays et qu’il y a mille personnes qui vous attendent, ce n’est pas tout le monde qui crée ça. Mais indépendamment de cela, je dois dire que c’est un homme de parole et d’honneur. Souvent, quand les gens réussissent, ils oublient d’où ils viennent mais lui, pas. Je lui voue un grand respect en souvenir de ce que j’ai vécu avec lui et des gens que nous avons côtoyés ensemble.
Que pouvez-vous dire à propos de votre collaboration avec monsieur Delon ?
D’abord et avant tout, Simone Signoret qui a été sa partenaire lui trouvait beaucoup de talent, ce qu’il a. Quand on reprend la liste de ses films, c’est impressionnant. J’avais entendu parler d’Alain Delon avant car le premier qui lui a mis le pied à l’étrier, c’est mon autre beau-père Yves Allégret qui l’avait trouvé très talentueux. J’ai d’ailleurs une anecdote intime à ce sujet. Quand Yves Allégret est mort, un peu oublié il faut bien le dire, dans la maison de campagne qu’il avait du temps où il avait découvert Alain Delon, à 11 heures du soir, la clochette a retenti. C’était Alain Delon venu avec son chauffeur lui rendre un dernier hommage. Je pense que c’est la seule personne de ce métier qui est venue voir Yves Allégret.
Quel souvenir gardez-vous de « La race des seigneurs » ?
La costumière m’avait demandé si j’avais un costume, je n’ai pas osé dire que non. J’ai été m’acheter un costume que j’ai porté pendant trois semaines avant le tournage. Ensuite, sur le film, j’étais en train de répéter le travelling d’une scène où il rentre dans la salle de réunion du parti où je devais l’accompagner, pour être à la bonne vitesse. Je calais mon texte avec la vitesse du travelling quand une main s’est posée gentiment sur mon épaule pour me dire « Bonjour. Ne répète pas trop, tu vas t’user ». C’était Alain Delon qui avait remarqué mon costume. Evidemment, j’ai blanchi un peu car comme il était producteur du film, je ne voulais pas qu’il pense que je m’étais fait payer un costume par la production. J’ai travaillé et à la fin de la journée, le directeur de production est venu me voir dans la caravane que je partageais avec Claude Rich en me disant « Tu me donneras la facture de ton costume, qu’on te le rembourse ». C’est ça, Alain Delon !
Et puis, pendant une prise, je lui réponds instinctivement comme dans une semi improvisation. Granier-Deferre ne dit rien, on coupe la prise puis il vient me voir en me disant « C’est bien, ce que tu viens de faire mais ce n’est pas le personnage. Tu es mon chef de cabinet. » Il avait parfaitement raison, un chef de cabinet ne parle pas comme ça à un ministre.
Il vous donnait donc des indications sur le jeu.
Des indications très précises et très justes. C’est ça qui m’a toujours impressionné chez lui. Il a toujours eu un respect total de ce qu’on appelle les seconds rôles. J’ai beaucoup d’admiration pour lui.
Je vais même vous raconter une autre anecdote. Je tournais à Prague un téléfilm avec Pierre Mondy. En sortant du studio, on voit une centaine de personnes devant la grille et on se demande ce qu’il se passe. On nous dit qu’on a annoncé l’arrivée d’Alain Delon. On file alors à l’hôtel, à 100 mètres c’était noir de monde. Tout le personnel était au garde à vous pour l’attendre. On dîne avec vue sur l’entrée et à la fin du repas arrive Alain Delon. Il passe la porte avec le directeur et il nous voit. Il se précipite alors sur Pierre Mondy et l’embrasse puis il m’embrasse aussi. C’est un homme de parole et de cœur.
Quelles étaient les relations avec le metteur en scène sur les films que vous avez tournés ?
Alain Delon, comme Simone Signoret et tous ces grands acteurs, une fois qu’ils se sont mis d’accord sur le sens du film, il n’y a aucune tension. C’est un vrai producteur qui donne les moyens qu’il faut au metteur en scène. Avec Granier-Deferre, tout s’est très bien passé.
Quelle conclusion souhaitez-vous apporter ?
Alain Delon est une des dernières grandes stars vivantes. Je crois que le mot « star » lui convient. Quand on arrive dans un pays et qu’il y a mille personnes qui vous attendent, ce n’est pas tout le monde qui crée ça. Mais indépendamment de cela, je dois dire que c’est un homme de parole et d’honneur. Souvent, quand les gens réussissent, ils oublient d’où ils viennent mais lui, pas. Je lui voue un grand respect en souvenir de ce que j’ai vécu avec lui et des gens que nous avons côtoyés ensemble.
Interview de Sophie Renoir
Sa partenaire dans « Attention, les enfants regardent ».
Sophie Renoir, vous rappelez-vous ce qui vous a amené sur ce film ?
Je m’en souviens très bien, forcément ça a marqué ma vie. Mon père (Claude Renoir) avait été contacté par Serge Leroy, le metteur en scène, pour être directeur photo sur le film. Donc, Serge est venu à la maison pour parler à mon père. Il s’agissait d’un petit film d’auteur, produit par Alain Delon. Mon père a accepté tout de suite. Serge Leroy m’a vue et il a dit à mon père que je serais très bien pour faire le rôle principal des quatre enfants. Mon père a répondu « Non, Sophie ne veut pas faire de cinéma », j’avais à peine 12 ans. Et j’ai répondu : « Si, elle veut ». Avant qu’il reparte, j’ai revu Serge qui m’a proposé de faire les essais. Mes parents se sont engueulés avec moi, j’ai insisté et finalement ils ont accepté que je fasse les essais. La veille, je n’ai pas dormi. Le jour des essais, j’étais dans un état lamentable, je ne voulais plus y aller. |
Sophie Renoir dans "Attention, les enfants regardent"
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Votre père était pourtant dans le métier depuis très longtemps.
Il voulait bien que je sois technicienne mais pas comédienne. Il trouvait que c’était un métier très difficile pour les femmes. Très difficile d’avoir une vie de famille, de s’occuper de ses enfants.
Comment se sont déroulés les essais ?
Quand on a dit « moteur », ma peur est partie et je me suis mise à jouer le personnage. Serge était ravi. Alain Delon ne participait pas aux essais mais il les a vus tous, il y en avait un paquet. Deux filles ont été retenues, moi et une autre qui était tout à fait opposée : blonde, un peu petite cheyenne.
Comment s’est déroulée votre première rencontre avec Alain Delon ?
Je l’ai rencontré quelques jours avant le début du tournage, peut-être 15 jours avant pour les essayages de costumes. C’était mon anniversaire, il m’a fait venir un énorme gâteau pour mes treize ans. Je peux vous dire que j’ai été impressionnée. C’est un homme vraiment génial, il m’a dit qu’il avait un fils de mon âge, qu’on pourrait très bien s’entendre.
Quelle fut la première scène tournée entre vous et lui ?
Il ne nous parle pas beaucoup dans le film, donc j’ai un vague souvenir du dialogue. Mais il s’agit de la scène où il nous fait peur.
Dans quel état d’esprit étiez-vous (les enfants) pour tourner cette scène ?
On était très à l’aise parce qu’il était extrêmement gentil avec nous, il était assez drôle. Ce ne sont que des beaux souvenirs ! Moi j’avais une grande scène où je devais le séduire. Il a été exceptionnel de gentillesse, il m’a réconfortée et m’a dit qu’il était très content de jouer avec moi, etc. Il nous a fait cadeau de tous les vêtements et des vélos qu’on avait pendant le tournage. Il m’a aussi offert un « vanity case » pour mettre mon maquillage, j’étais comblée.
Vous m’avez écrit qu’il a influencé vos parents pour que vous continuiez dans le cinéma…
Oui, tout à fait. Quand on a fini cette scène où je dois le séduire, il est sorti. Ma mère était à l’extérieur et mon père était là dans le couloir. Il les a regardés et leur a dit « Hey, je vous interdis de l’empêcher d’être actrice, elle a du talent, il faut lui foutre la paix ! »
Alain Delon et votre père se sont retrouvés l’année suivante sur « Le toubib ». Quels étaient leurs rapports ?
Très cordiaux, amicaux oui mais pas dans le sens où on allait chez lui ou lui chez nous, non. Il a fait une chose pour mon père que je n’oublierai jamais. Alain Delon préparait « Le toubib » et mon père avait un problème d’yeux. Quand mon père était à l’hôpital, pensant qu’il allait être aveugle, Alain Delon a appelé en disant « Je suis au courant pour Claude, je sais qu’il se fait opérer. Je voudrais lui envoyer un contrat pour mon prochain tournage ». Ma mère lui a répondu « Mais enfin, vous me parlez d’un truc dans six mois ». Et Alain Delon lui a dit « Oui, mais je suis sûr que moralement ça lui fera du bien », ce qui était vrai. On a reçu un contrat d’engagement de mon père pour « Le toubib » alors que mon père était à l’hosto. C’était magnifique ! Mon père avait très peur de perdre ses yeux, qu’il a d’ailleurs perdus deux ans après. Alain Delon a refait la même chose à ce moment-là, il a fait une proposition de contrat pour son film « Pour la peau d’un flic » je crois mais malheureusement mon père n’a pu le faire. Jamais à l’époque on ne signait un contrat six mois à l’avance ! Mon père a été extrêmement heureux, touché, sensible. Pour moi, c’est une reconnaissance éternelle.
Avez-vous revu Alain Delon après ce film ?
Je vais le voir au théâtre dès qu’il y est. A chaque fois qu’on se voit, c’est un vrai bonheur. On parle de papa qui est décédé depuis longtemps et de plein de choses. C’est toujours quelqu’un d’extrêmement chaleureux, de bienveillant et gentil.
Comment le définiriez-vous d’un point de vue professionnel ?
Un énorme acteur, d’abord. Un acteur généreux, il l’est aussi dans la vie et c’est quelqu’un de fidèle qui s’intéresse aux gens. Il a été présent dans ma vie à une période où j’avais des difficultés personnelles, gentiment il m’a téléphoné.
Que pouvez-vous dire de ses rapports avec le metteur en scène ?
Je n’ai pas constaté de problèmes entre Serge Leroy et lui. Mon père qui était le témoin privilégié sur « Le toubib » n’a rien remarqué entre Pierre Granier-Deferre et Alain Delon. Il y a des metteurs en scène qui ont leur caractère. Alain Delon n’est pas quelqu’un qu’on peut manipuler comme on veut. Peut-être qu’avec des gens de tempérament, ça fait des étincelles. Je n’ai pour ma part jamais vu de caprices, d’agressivité ou ce genre de choses.
Avez-vous d’autres souvenirs liés au tournage ?
Avec mon père, on ne s’est pas adressé la parole durant tout le tournage parce qu’il ne voulait pas me favoriser. Comme on était sensés habiter dans le sud, il fallait qu’on soit bronzés. On a tourné au Cap d’Antibes pendant les vacances d’été mais on allait rater une partie de la rentrée, le mois de septembre. On a dû avoir des autorisations.
Un autre souvenir concernant la scène où je suis terrifiée alors que mon frère dans le film est en train de lui tirer dessus. Serge Leroy, le metteur en scène nous a dit « Ce n’est pas la peine de déranger monsieur Delon pour cette scène, je vais le faire moi ». Et Alain était juste à côté, il s’est précipité et a dit « Comment ça, c’est pas la peine de déranger qui ? » Serge Leroy lui a répondu « Ce n’est pas la peine que tu t’uses ». Et Alain a ajouté : « Si, je vais la faire pour elle ».
Il voulait bien que je sois technicienne mais pas comédienne. Il trouvait que c’était un métier très difficile pour les femmes. Très difficile d’avoir une vie de famille, de s’occuper de ses enfants.
Comment se sont déroulés les essais ?
Quand on a dit « moteur », ma peur est partie et je me suis mise à jouer le personnage. Serge était ravi. Alain Delon ne participait pas aux essais mais il les a vus tous, il y en avait un paquet. Deux filles ont été retenues, moi et une autre qui était tout à fait opposée : blonde, un peu petite cheyenne.
Comment s’est déroulée votre première rencontre avec Alain Delon ?
Je l’ai rencontré quelques jours avant le début du tournage, peut-être 15 jours avant pour les essayages de costumes. C’était mon anniversaire, il m’a fait venir un énorme gâteau pour mes treize ans. Je peux vous dire que j’ai été impressionnée. C’est un homme vraiment génial, il m’a dit qu’il avait un fils de mon âge, qu’on pourrait très bien s’entendre.
Quelle fut la première scène tournée entre vous et lui ?
Il ne nous parle pas beaucoup dans le film, donc j’ai un vague souvenir du dialogue. Mais il s’agit de la scène où il nous fait peur.
Dans quel état d’esprit étiez-vous (les enfants) pour tourner cette scène ?
On était très à l’aise parce qu’il était extrêmement gentil avec nous, il était assez drôle. Ce ne sont que des beaux souvenirs ! Moi j’avais une grande scène où je devais le séduire. Il a été exceptionnel de gentillesse, il m’a réconfortée et m’a dit qu’il était très content de jouer avec moi, etc. Il nous a fait cadeau de tous les vêtements et des vélos qu’on avait pendant le tournage. Il m’a aussi offert un « vanity case » pour mettre mon maquillage, j’étais comblée.
Vous m’avez écrit qu’il a influencé vos parents pour que vous continuiez dans le cinéma…
Oui, tout à fait. Quand on a fini cette scène où je dois le séduire, il est sorti. Ma mère était à l’extérieur et mon père était là dans le couloir. Il les a regardés et leur a dit « Hey, je vous interdis de l’empêcher d’être actrice, elle a du talent, il faut lui foutre la paix ! »
Alain Delon et votre père se sont retrouvés l’année suivante sur « Le toubib ». Quels étaient leurs rapports ?
Très cordiaux, amicaux oui mais pas dans le sens où on allait chez lui ou lui chez nous, non. Il a fait une chose pour mon père que je n’oublierai jamais. Alain Delon préparait « Le toubib » et mon père avait un problème d’yeux. Quand mon père était à l’hôpital, pensant qu’il allait être aveugle, Alain Delon a appelé en disant « Je suis au courant pour Claude, je sais qu’il se fait opérer. Je voudrais lui envoyer un contrat pour mon prochain tournage ». Ma mère lui a répondu « Mais enfin, vous me parlez d’un truc dans six mois ». Et Alain Delon lui a dit « Oui, mais je suis sûr que moralement ça lui fera du bien », ce qui était vrai. On a reçu un contrat d’engagement de mon père pour « Le toubib » alors que mon père était à l’hosto. C’était magnifique ! Mon père avait très peur de perdre ses yeux, qu’il a d’ailleurs perdus deux ans après. Alain Delon a refait la même chose à ce moment-là, il a fait une proposition de contrat pour son film « Pour la peau d’un flic » je crois mais malheureusement mon père n’a pu le faire. Jamais à l’époque on ne signait un contrat six mois à l’avance ! Mon père a été extrêmement heureux, touché, sensible. Pour moi, c’est une reconnaissance éternelle.
Avez-vous revu Alain Delon après ce film ?
Je vais le voir au théâtre dès qu’il y est. A chaque fois qu’on se voit, c’est un vrai bonheur. On parle de papa qui est décédé depuis longtemps et de plein de choses. C’est toujours quelqu’un d’extrêmement chaleureux, de bienveillant et gentil.
Comment le définiriez-vous d’un point de vue professionnel ?
Un énorme acteur, d’abord. Un acteur généreux, il l’est aussi dans la vie et c’est quelqu’un de fidèle qui s’intéresse aux gens. Il a été présent dans ma vie à une période où j’avais des difficultés personnelles, gentiment il m’a téléphoné.
Que pouvez-vous dire de ses rapports avec le metteur en scène ?
Je n’ai pas constaté de problèmes entre Serge Leroy et lui. Mon père qui était le témoin privilégié sur « Le toubib » n’a rien remarqué entre Pierre Granier-Deferre et Alain Delon. Il y a des metteurs en scène qui ont leur caractère. Alain Delon n’est pas quelqu’un qu’on peut manipuler comme on veut. Peut-être qu’avec des gens de tempérament, ça fait des étincelles. Je n’ai pour ma part jamais vu de caprices, d’agressivité ou ce genre de choses.
Avez-vous d’autres souvenirs liés au tournage ?
Avec mon père, on ne s’est pas adressé la parole durant tout le tournage parce qu’il ne voulait pas me favoriser. Comme on était sensés habiter dans le sud, il fallait qu’on soit bronzés. On a tourné au Cap d’Antibes pendant les vacances d’été mais on allait rater une partie de la rentrée, le mois de septembre. On a dû avoir des autorisations.
Un autre souvenir concernant la scène où je suis terrifiée alors que mon frère dans le film est en train de lui tirer dessus. Serge Leroy, le metteur en scène nous a dit « Ce n’est pas la peine de déranger monsieur Delon pour cette scène, je vais le faire moi ». Et Alain était juste à côté, il s’est précipité et a dit « Comment ça, c’est pas la peine de déranger qui ? » Serge Leroy lui a répondu « Ce n’est pas la peine que tu t’uses ». Et Alain a ajouté : « Si, je vais la faire pour elle ».
Interview de Frédéric Forestier
Co-Réalisateur de « Astérix aux Jeux Olympiques »
Le choix d'Alain Delon pour incarner Jules César était-il déjà arrêté lorsque vous êtes arrivé sur le projet d'Astérix?
Alain Delon en César est une idée de Thomas Langmann, qui avait toujours rêvé de voir Delon en César. Lorsqu'il m'en a parlé, j'ai trouvé que c'était une idée formidable et la perspective de travailler avec Alain Delon était très excitante. Et lorsqu’Alain Delon a donné son accord, nous étions très heureux mais aussi bourrés d'appréhensions. Quel souvenir gardez-vous de votre première rencontre avec lui? Nous nous sommes rencontrés au bureau de production, quelques mois avant le tournage, pour un premier contact. Alain Delon était très enthousiaste et chaleureux. Il m'a serré la main d'une poigne ferme et dynamique et a plongé son regard dans mes yeux. |
J’avais l'impression d'être scanné, de passer un IRM ! Alain Delon est le genre d'homme qui vous jauge à la première poignée de main et au premier regard. Ce moment était important pour moi et pour lui, nous savions que nous allions travailler ensemble et il fallait impérativement que le courant passe ! Nous avons parlé de César, nous avons parlé de lui, il avait très envie de ce rôle. Revenir au cinéma en César, il y avait quelque chose de ludique et de symbolique pour lui, on avait l'impression d'une Ferrari qui se demandait pourquoi elle était restée au garage, et rêvait de reprendre la piste. On a parlé de la tonalité du jeu et du second degré, du curseur de comédie, et il avait parfaitement capté l'esprit du film. Je suis ressorti de ce rendez-vous plein de confiance.
Avez-vous rencontré des difficultés à le diriger?
Aucune. Tout le monde m'avait dit : "On ne dirige pas Alain Delon, il se dirige tout seul." En fait, Alain est un acteur qui a une énorme expérience, bien plus grande que la mienne, en tant qu'acteur, producteur, et même réalisateur. Mais l'acteur a toujours besoin d'un dialogue avec le réalisateur et du regard de ce même réalisateur, quoi qu'il arrive. Avec Alain Delon, ce dialogue était permanent et nécessaire. Tout fonctionne à partir du moment où existe une grande confiance entre l'un et l'autre. Le jour où Monsieur Delon m'a autorisé à l'appeler "Alain", j'ai su que j'avais gagné cette confiance...! Et pendant le tournage, son instinct et sa puissance de jeu m'ont surpris à chaque prise. On essayait des prises dans une direction, et puis lorsqu'on trouvait un angle qui nous intéressait, on se permettait de forcer un peu le trait. On avait 3 ou 4 prises différentes et le monteur avait souvent du mal à choisir ! Puis pendant la course de char, qui est restée une abstraction pour Alain car il jouait les réactions de César devant une arène vide (la course a été tournée séparément), Alain m'a demandé de le diriger pendant les prises. C'était extraordinaire, je demandais des réactions, des directions de regard, il était vif et souple, réactif, généreux, tel un félin ou un aigle, il donnait le maximum, qu'il soit à l'écran ou lorsqu'il donnait la réplique en off, il était toujours digne et impérial, tout comme son personnage. Et puis il y a eu ce jour où, avec Thomas, nous lui avons réservé la surprise de lui jouer, juste avant ce fameux monologue de César devant son miroir, la bande originale du clan des Siciliens, musique que nous avons d'ailleurs mise dans le film... Il ne savait pas ce que nous allions faire, il savait juste qu'il y avait une "surprise"... nous avons lancé la caméra, puis la musique, et à la première note, son oeil a brillé, il a pris cette pause incroyable et à la fin de la musique, il a sorti son monologue d'une traite. Nous étions tous soufflés. Une prise magistrale.
Benoît Poelvoorde semble ne pas garder un excellent souvenir de ce tournage. Avez-vous ressenti des difficultés entre ces deux acteurs au moment du tournage?
Oui, bien sûr. Comment ne pas ressentir les choses ? Un tournage c'est quelque chose de très organisé mais aussi de très intuitif et d'organique. L'humeur de chacun se répercute sur le plateau et sur le travail des uns et des autres. Alain et Benoît sont deux très grands acteurs, mais ils ne sont pas de la même génération et ne travaillent pas du tout de la même manière. Ce sont tous les deux des acteurs instinctifs, mais Benoît a besoin de s'immerger dans son rôle et de laisser le personnage s'emparer de lui. Son jeu peut différer d'une prise à l'autre, car il est très à l'écoute, il joue beaucoup en réaction à son environnement et les moindres nuances dans le jeu de ses partenaires peuvent l'emmener dans des directions très variées. Alain, lui, est une sorte de bulldozer qui affine son jeu d'une prise à l'autre, d'une précision redoutable, il travaille au millimètre, ajuste ses expressions en fonction des focales, des valeurs de plan, de l'angle, de la lumière... Autant dire que l'un et l'autre étaient donc aux antipodes en termes de méthode et dans ce cas c'est au metteur en scène de trouver un terrain d'entente où chacun va néanmoins pouvoir donner le meilleur de lui-même. C'est un exercice dans lequel mes efforts n'ont pas toujours été couronnés de succès ! Je me suis beaucoup investi dans ces scènes où l'un et l'autre pouvaient parfois éprouver de la frustration. Mais tous les deux savaient par essence que leurs personnages allaient bouffer l'écran et que leurs scènes étaient capitales dans le film. Leur instinct fondamental a toujours repris le dessus et l'un et l'autre ont pu délicieusement se détester à l'écran comme César et Brutus, pour notre plus grand régal.
Comment définiriez-vous Alain Delon d'un point de vue professionnel?
Alain est un grand grand grand professionnel. C'est l'un des derniers géants de l'âge d'or du cinéma français. Il a brillé dans le monde entier dans des films devenus des classiques au sens le plus noble du terme. Sur le tournage, on pouvait sentir qu'il avait travaillé sur ces grands films, avec cette hiérarchie au sein de l'équipe technique qui n'est sans doute plus aussi forte aujourd'hui. Donc lorsqu'Alain était sur le plateau, se présence seule nous mettait la pression, une pression qui était positive, qui nous imposait à tous d'être au taquet, d'être précis et concentrés à tous les niveaux. Mais Alain savait aussi nous mettre à l'aise, il comprenait tout ce qu'il se passait. Lorsqu'il était entre deux plans et qu'on faisait des mises en places, il était assis dans sa chaise (offerte par Visconti), nous surveillait du coin de l'oeil et savait toujours ce qu'on faisait, quelles étaient nos galères, et anticipait toujours ce qu'on allait lui demander. Autant de professionnalisme était bluffant. Et puis lorsqu'il donnait la réplique à des acteurs, même lorsqu'il n'était pas à l'écran, il insistait pour rester en costume et il jouait aussi merveilleusement que s'il était devant la caméra. Tout le monde rêve d'un acteur comme ça.
Auriez-vous envie de retravailler avec lui?
Avec grand plaisir. Ça a été et restera un honneur immense d'avoir pu travailler avec lui.
Avez-vous rencontré des difficultés à le diriger?
Aucune. Tout le monde m'avait dit : "On ne dirige pas Alain Delon, il se dirige tout seul." En fait, Alain est un acteur qui a une énorme expérience, bien plus grande que la mienne, en tant qu'acteur, producteur, et même réalisateur. Mais l'acteur a toujours besoin d'un dialogue avec le réalisateur et du regard de ce même réalisateur, quoi qu'il arrive. Avec Alain Delon, ce dialogue était permanent et nécessaire. Tout fonctionne à partir du moment où existe une grande confiance entre l'un et l'autre. Le jour où Monsieur Delon m'a autorisé à l'appeler "Alain", j'ai su que j'avais gagné cette confiance...! Et pendant le tournage, son instinct et sa puissance de jeu m'ont surpris à chaque prise. On essayait des prises dans une direction, et puis lorsqu'on trouvait un angle qui nous intéressait, on se permettait de forcer un peu le trait. On avait 3 ou 4 prises différentes et le monteur avait souvent du mal à choisir ! Puis pendant la course de char, qui est restée une abstraction pour Alain car il jouait les réactions de César devant une arène vide (la course a été tournée séparément), Alain m'a demandé de le diriger pendant les prises. C'était extraordinaire, je demandais des réactions, des directions de regard, il était vif et souple, réactif, généreux, tel un félin ou un aigle, il donnait le maximum, qu'il soit à l'écran ou lorsqu'il donnait la réplique en off, il était toujours digne et impérial, tout comme son personnage. Et puis il y a eu ce jour où, avec Thomas, nous lui avons réservé la surprise de lui jouer, juste avant ce fameux monologue de César devant son miroir, la bande originale du clan des Siciliens, musique que nous avons d'ailleurs mise dans le film... Il ne savait pas ce que nous allions faire, il savait juste qu'il y avait une "surprise"... nous avons lancé la caméra, puis la musique, et à la première note, son oeil a brillé, il a pris cette pause incroyable et à la fin de la musique, il a sorti son monologue d'une traite. Nous étions tous soufflés. Une prise magistrale.
Benoît Poelvoorde semble ne pas garder un excellent souvenir de ce tournage. Avez-vous ressenti des difficultés entre ces deux acteurs au moment du tournage?
Oui, bien sûr. Comment ne pas ressentir les choses ? Un tournage c'est quelque chose de très organisé mais aussi de très intuitif et d'organique. L'humeur de chacun se répercute sur le plateau et sur le travail des uns et des autres. Alain et Benoît sont deux très grands acteurs, mais ils ne sont pas de la même génération et ne travaillent pas du tout de la même manière. Ce sont tous les deux des acteurs instinctifs, mais Benoît a besoin de s'immerger dans son rôle et de laisser le personnage s'emparer de lui. Son jeu peut différer d'une prise à l'autre, car il est très à l'écoute, il joue beaucoup en réaction à son environnement et les moindres nuances dans le jeu de ses partenaires peuvent l'emmener dans des directions très variées. Alain, lui, est une sorte de bulldozer qui affine son jeu d'une prise à l'autre, d'une précision redoutable, il travaille au millimètre, ajuste ses expressions en fonction des focales, des valeurs de plan, de l'angle, de la lumière... Autant dire que l'un et l'autre étaient donc aux antipodes en termes de méthode et dans ce cas c'est au metteur en scène de trouver un terrain d'entente où chacun va néanmoins pouvoir donner le meilleur de lui-même. C'est un exercice dans lequel mes efforts n'ont pas toujours été couronnés de succès ! Je me suis beaucoup investi dans ces scènes où l'un et l'autre pouvaient parfois éprouver de la frustration. Mais tous les deux savaient par essence que leurs personnages allaient bouffer l'écran et que leurs scènes étaient capitales dans le film. Leur instinct fondamental a toujours repris le dessus et l'un et l'autre ont pu délicieusement se détester à l'écran comme César et Brutus, pour notre plus grand régal.
Comment définiriez-vous Alain Delon d'un point de vue professionnel?
Alain est un grand grand grand professionnel. C'est l'un des derniers géants de l'âge d'or du cinéma français. Il a brillé dans le monde entier dans des films devenus des classiques au sens le plus noble du terme. Sur le tournage, on pouvait sentir qu'il avait travaillé sur ces grands films, avec cette hiérarchie au sein de l'équipe technique qui n'est sans doute plus aussi forte aujourd'hui. Donc lorsqu'Alain était sur le plateau, se présence seule nous mettait la pression, une pression qui était positive, qui nous imposait à tous d'être au taquet, d'être précis et concentrés à tous les niveaux. Mais Alain savait aussi nous mettre à l'aise, il comprenait tout ce qu'il se passait. Lorsqu'il était entre deux plans et qu'on faisait des mises en places, il était assis dans sa chaise (offerte par Visconti), nous surveillait du coin de l'oeil et savait toujours ce qu'on faisait, quelles étaient nos galères, et anticipait toujours ce qu'on allait lui demander. Autant de professionnalisme était bluffant. Et puis lorsqu'il donnait la réplique à des acteurs, même lorsqu'il n'était pas à l'écran, il insistait pour rester en costume et il jouait aussi merveilleusement que s'il était devant la caméra. Tout le monde rêve d'un acteur comme ça.
Auriez-vous envie de retravailler avec lui?
Avec grand plaisir. Ça a été et restera un honneur immense d'avoir pu travailler avec lui.