Interview de Jean-Pierre et Luc Dardenne
A l'occasion de la présentation du film "Le jeune Ahmed"- Charleroi, le 29 mai 2019
A l'occasion de la présentation du film "Le jeune Ahmed"- Charleroi, le 29 mai 2019
Thomas : Vous êtes conviés avant la présentation au cinéma Le Parc dans le bâtiment du Quai 10. C’est la première fois que vous voyez cet endroit ?
Jean-Pierre : Oui, c’est la première fois.
Luc : J’ai suivi l’évolution mais je n’étais jamais venu.
Jean-Pierre : Oui, c’est la première fois.
Luc : J’ai suivi l’évolution mais je n’étais jamais venu.
Thomas : Avant de débuter cette interview, j’aimerais vous adresser toutes mes félicitations pour le prix de la mise en scène que vous avez remporté au Festival de Cannes avec votre nouveau film. Un de plus, mais quand même…Indépendamment des deux Palmes d’Or (Rosetta, L’enfant), ce prix évoque-t-il quelque chose de différent des autres récompenses pour vous ?
Luc : Je dirais que notre mise en scène n’est pas baroque, spectaculaire, elle est assez minimaliste. On travaille sur des choses précises, sur le corps des acteurs principalement et sur le cadre. Et donc qu’on ait ce prix de la mise en scène, cela veut dire que le jury qui est fait quand même de pairs a reconnu quelque chose. Ça ne peut que nous faire plaisir de recevoir ce prix car l’histoire que nous racontons dans ce film, c’est la mise en scène qui la porte. Thomas : A propos de la mise en scène, on a un peu l’impression qu’il s’agit ici d’un retour aux sources dans votre cinéma. Un cadrage plus serré, des acteurs inconnus, etc. C’était une volonté de votre part ? |
Jean-Pierre : Je dirais qu’il y a des choses qui se sont imposées. Le fait que les acteurs soient inconnus, pour les jeunes, celui qui joue Ahmed et la jeune fille qui joue Louise, ça ne pouvait être que des inconnus à l’âge qu’ils ont. Mais c’est vrai que par ailleurs, pour tous les autres acteurs qui les entourent, nous ne voulions pas des gens dont l’image d’acteur serait un obstacle entre leur personnage et le public. Nous ne voulions pas non plus que cela crée un obstacle entre eux et le public par rapport à Ahmed. Si nous avions pris des acteurs connus ou des gens qui ont déjà travaillé avec nous dans des rôles un peu en vue, le spectateur allait imaginer des choses qui n’existent pas en se disant : « Attends, si celui-là ou celle-là arrive, ce n’est pas par hasard ». Et perdre le centre de l’affaire que nous voulions raconter.
Thomas : Vous avez déclaré que l’écriture de ce film a réellement démarré quand vous êtes partis du point de vue de l’innocence, de l’enfance. Vous vouliez travailler sur cette thématique suite aux attentats mais vous n’aviez pas encore trouvé le sujet. Était-ce une façon d’éviter de mettre en scène trop de violence ?
Luc : C’est-à-dire que l’idée d’un garçon de 20-25 ans, on n’y croyait pas. On a essayé mais notre idée était de voir comment il pouvait sortir du fanatisme. On se rendait compte qu’on trouvait des manières de faire qui étaient trop romanesques, si pas rocambolesques, des trucs qui ne tenaient pas la route et qui, par rapport à tous ces gens qui avaient été assassinés, devenaient un peu obscènes. Parce que quand on est un fanatique de 20-25 ans…Jusqu’à présent, il n’y en a aucun qui a regretté ce qu’il a fait et je ne vois pas comment on peut y arriver. Le fanatisme est très profond. Quand on a décidé de prendre un jeune d’entre l’enfance et l’adolescence qui va préparer un attentat mais en le bricolant, on a pensé qu’on allait pouvoir filmer une pâte très malléable, quelqu’un qui peut être très vite fanatisé et qui va faire des choses qui vont nous éloigner de lui. En même temps, comme il est encore jeune et qu’il est capable de changements, on allait filmer l’espoir qui change. Le spectateur va quand même pouvoir espérer ne pas simplement regarder un type qui fait des choses dans la logique de la mort, même s’il le fait aussi ! Mais en même temps, il est aussi travaillé par ce qui lui échappe, par la vie, quand il rencontre la jeune fille par exemple…
Thomas : A propos de cette rencontre avec la jeune fille, on pourrait penser que c’est cette histoire d’amour qui va le sortir du fanatisme mais en fait, pas du tout. Avez-vous eu envie d’exploiter cette brèche ?
Thomas : Vous avez déclaré que l’écriture de ce film a réellement démarré quand vous êtes partis du point de vue de l’innocence, de l’enfance. Vous vouliez travailler sur cette thématique suite aux attentats mais vous n’aviez pas encore trouvé le sujet. Était-ce une façon d’éviter de mettre en scène trop de violence ?
Luc : C’est-à-dire que l’idée d’un garçon de 20-25 ans, on n’y croyait pas. On a essayé mais notre idée était de voir comment il pouvait sortir du fanatisme. On se rendait compte qu’on trouvait des manières de faire qui étaient trop romanesques, si pas rocambolesques, des trucs qui ne tenaient pas la route et qui, par rapport à tous ces gens qui avaient été assassinés, devenaient un peu obscènes. Parce que quand on est un fanatique de 20-25 ans…Jusqu’à présent, il n’y en a aucun qui a regretté ce qu’il a fait et je ne vois pas comment on peut y arriver. Le fanatisme est très profond. Quand on a décidé de prendre un jeune d’entre l’enfance et l’adolescence qui va préparer un attentat mais en le bricolant, on a pensé qu’on allait pouvoir filmer une pâte très malléable, quelqu’un qui peut être très vite fanatisé et qui va faire des choses qui vont nous éloigner de lui. En même temps, comme il est encore jeune et qu’il est capable de changements, on allait filmer l’espoir qui change. Le spectateur va quand même pouvoir espérer ne pas simplement regarder un type qui fait des choses dans la logique de la mort, même s’il le fait aussi ! Mais en même temps, il est aussi travaillé par ce qui lui échappe, par la vie, quand il rencontre la jeune fille par exemple…
Thomas : A propos de cette rencontre avec la jeune fille, on pourrait penser que c’est cette histoire d’amour qui va le sortir du fanatisme mais en fait, pas du tout. Avez-vous eu envie d’exploiter cette brèche ?
Jean-Pierre : L’exploiter à fond, non. Mais il nous semblait important qu’il rencontre une jeune fille car il est à l’âge où le désir s’éveille. Il est même troublé, le gamin. Et on ne peut pas dire que ça ne lui fait rien, à son propre insu peut-être, mais tout de même…Il a embrassé une fille, il y a quelque chose qui s’est passé. Vous savez, on s’est beaucoup documentés pour faire ce film. Pas seulement sur l’islam, aussi sur les centres fermés, sur la ferme, pour savoir comment tout cela pouvait servir notre film. Nous avons rencontré plusieurs personnes dont un psychanalyste, Fethi Benslama, qui s’est beaucoup intéressé à tous ces fanatiques et qui a participé en France à l’élaboration d’un centre de déradicalisation. Il nous a dit : « Attendez…Pour un fanatique, l’amour ne change rien. Mais lui, il arrive à changer sa copine et aussi sa mère ».
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Et c’est pour ça qu’il nous a semblé que la seule manière pour Ahmed de se rétablir de ce qu’il a fait (embrasser une fille), c’est d’essayer de la ramener dans son affaire…Et c’est un peu comique, ce gamin qui fait une demande en mariage !
Luc : En montrant qu’il est prisonnier d’une logique implacable, il fait un peu sourire parce qu’il est un enfant. Et c’est ça qui est bien pour nous !
Thomas : Vous parliez de documentation. Avez-vous ressenti une coopération de la communauté musulmane ou bien des difficultés dans l’approche de cette problématique du fanatisme ?
Luc : On avait trois, quatre personnes avec qui on a parlé et qui nous ont donné beaucoup d’informations.
Jean-Pierre : Quand on se documente, on le fait avec des individus.
Thomas : Il n’y a donc pas eu d’introduction dans un milieu ou l’autre.
Luc : Non, ce sont ces individus qui nous ont expliqué comment ça se passe dans les familles, comment ça dégénère.
Thomas : Avez-vous déjà eu un retour de la communauté musulmane depuis la sortie du film ?
Jean-Pierre : Hier, à Mons, des gens sont intervenus. Je pense que le film est assez bien reçu. Evidemment, on ne rencontre pas la communauté, on rencontre des gens qui sont dans la salle et qui ont envie de parler. Une dame musulmane nous a dit qu’elle aimait beaucoup le film et qu’il y avait des espoirs à la fin. Une autre dame nous a dit que c’est bien pour eux de ne pas penser que c’est nécessairement impossible de sauver un jeune parce que c’est ça qui fait très peur à toutes ces familles musulmanes.
Thomas : Pas de difficultés non plus en ce qui concerne les autorisations de tournage, dans le centre de Fraipont notamment ?
Jean-Pierre (et Luc) : Aucune difficulté. Nous avons demandé des autorisations spéciales pour tourner mais une fois qu’on était là, tout a été formidable.
Thomas : Pour le public carolo, je vais vous poser la même question que lors de notre précédente rencontre à l’occasion de la promotion de votre film Deux jours, une nuit (au cinéma Le Parc en 2014). Je vous avais demandé si Charleroi pourrait vous inspirer un long métrage et vous n’étiez pas très convaincus ! C’est toujours le cas aujourd’hui ?
Jean-Pierre et Luc : (rires) Mais on ne sait pas !
Luc : Pourquoi pas ! Vous voyez, on est devenus plus cool ! (rires)
Jean-Pierre : Et comme vous l’avez vu, Le jeune Ahmed, on aurait pu le tourner un peu partout. Il n’est pas localisé. Pour l’instant, il n’y a pas de raison particulière pour que nous tournions à Charleroi mais on ne sait jamais.
Thomas : En conclusion, peut-on déjà parler d’un prochain sujet envisagé ?
Luc : Pas encore. On est encore en plein dans le boulot de promotion.
Luc : En montrant qu’il est prisonnier d’une logique implacable, il fait un peu sourire parce qu’il est un enfant. Et c’est ça qui est bien pour nous !
Thomas : Vous parliez de documentation. Avez-vous ressenti une coopération de la communauté musulmane ou bien des difficultés dans l’approche de cette problématique du fanatisme ?
Luc : On avait trois, quatre personnes avec qui on a parlé et qui nous ont donné beaucoup d’informations.
Jean-Pierre : Quand on se documente, on le fait avec des individus.
Thomas : Il n’y a donc pas eu d’introduction dans un milieu ou l’autre.
Luc : Non, ce sont ces individus qui nous ont expliqué comment ça se passe dans les familles, comment ça dégénère.
Thomas : Avez-vous déjà eu un retour de la communauté musulmane depuis la sortie du film ?
Jean-Pierre : Hier, à Mons, des gens sont intervenus. Je pense que le film est assez bien reçu. Evidemment, on ne rencontre pas la communauté, on rencontre des gens qui sont dans la salle et qui ont envie de parler. Une dame musulmane nous a dit qu’elle aimait beaucoup le film et qu’il y avait des espoirs à la fin. Une autre dame nous a dit que c’est bien pour eux de ne pas penser que c’est nécessairement impossible de sauver un jeune parce que c’est ça qui fait très peur à toutes ces familles musulmanes.
Thomas : Pas de difficultés non plus en ce qui concerne les autorisations de tournage, dans le centre de Fraipont notamment ?
Jean-Pierre (et Luc) : Aucune difficulté. Nous avons demandé des autorisations spéciales pour tourner mais une fois qu’on était là, tout a été formidable.
Thomas : Pour le public carolo, je vais vous poser la même question que lors de notre précédente rencontre à l’occasion de la promotion de votre film Deux jours, une nuit (au cinéma Le Parc en 2014). Je vous avais demandé si Charleroi pourrait vous inspirer un long métrage et vous n’étiez pas très convaincus ! C’est toujours le cas aujourd’hui ?
Jean-Pierre et Luc : (rires) Mais on ne sait pas !
Luc : Pourquoi pas ! Vous voyez, on est devenus plus cool ! (rires)
Jean-Pierre : Et comme vous l’avez vu, Le jeune Ahmed, on aurait pu le tourner un peu partout. Il n’est pas localisé. Pour l’instant, il n’y a pas de raison particulière pour que nous tournions à Charleroi mais on ne sait jamais.
Thomas : En conclusion, peut-on déjà parler d’un prochain sujet envisagé ?
Luc : Pas encore. On est encore en plein dans le boulot de promotion.