Avis : Nouveau long-métrage de Ken Loach, « Sorry we missed you » est un film nécessaire et poignant, dans la continuité de ce qui avait déjà entamé avec « Moi, Daniel Blake » sorti trois ans plus tôt. Le réalisateur britannique a beau avoir une longue filmographie derrière lui et quelques années au compteur, il n’est pas près de se taire et dénonce des faits sociétaux avec la même férocité et la même pudeur. Après la fracture numérique et ses conséquences sur les demandeurs d’emploi dépassés par une technologie hyper banalisée, voici à présent une nouvelle dérive de notre société moderne mais aussi clivante : l’ubérisation. A l’heure où les ventes par Internet explosent et les livraisons à domicile se multiplient à une vitesse impressionnante, on découvre combien de nombreux emplois créés pour satisfaire les clients pressés peuvent broyer leurs employés mais aussi des familles entières privées de temps... et de liberté. Ricky ou l’enfer de la vie Ricky, père de famille débrouillard et désireux de donner le meilleur à sa famille (pourtant privée de plaisirs simples), voit dans le boulot de coursier indépendant une parfaite occasion de surfer sur l’ultra-rapidité de la consommation croissante. Après avoir investi les dernières économies familiales dans l’achat d’un petit fourgon pratique, le jeune britannique découvre les coulisses du monde chronophage de la livraison expresse. Ses journées à rallonge, dictées par une black box onéreuse, s’enchaînent, le vidant de toute son énergie et le privant de moments en famille. Sur les routes du matin jusque tard le soir, Ricky n’a que quelques minuscules minutes pour se dégourdir les jambes, manger, livrer ses petits paquets minutieusement triés avant de repartir à l’autre bout d’une ville embouteillée, nerveuse où accidents et autres complications l’attendent au tournant. Prisonnier d’un cercle vicieux dont il ne peut s’extraire, le père de famille va peu à peu s’attirer une succession de galères... Film coup de poing dont on ne peut sortir indemne, « Sorry we missed you » décrit les dérives d’un système, d’une société où l’individu n’a plus sa place ni de raison d’exister si ce n’est celle d’aller travailler. Broyés par les dettes, les difficultés quotidiennes, Ricky, Abby et leurs enfants sont indirectement les victimes d’un mode de consommation que l’on sait prégnant. Nécessaire et alarmant, le dernier film de Ken Loach continue de pointer du doigt une société où chacun doit entrer dans le rang, se réactualiser sil ne veut pas se faire abandonner. « Marche ou crève », cette expression résumerait presque à elle seule les dénonciations faites par l’octogénaire depuis de nombreuses années et multirécompensé pour avoir à ce point été concerné et impliqué. Comme toujours, les interprètes des histoires créées de toutes pièces par son acolyte de toujours, le scénariste Paul Laverty, forcent notre respect. Kris Hitchen, Debbis Honeywood, Rhys Stone et même la toute jeune Katie Proctor donnent vie à cette petite famille plus vraie que nature, impressionnante et touchante, une de celles que l’on voudrait pouvoir aider tant la détresse qui s’en dégage parvient à nous concerner. ► Les bonus Peu de bonus sont présents sur la galette, mais ils sont de qualité, à l’instar du court Making Off (5’) où Ken Loach et l’équipe du film contextualisent le film et soulignent l’importance du travail et de sa nature qui tend à évoluer pour écraser un peu plus le travailleur pour des raisons évidentes de rendement.
En voyant le réalisateur nous livrer ses confidences, nous découvrons un réalisateur très présent, très impliqué et donnant sa chance aux acteurs ou aux gens de métier pour peu qu’ils habitent la région. L’ambiance positive est toujours recherchée pour construire une relation de confiance dans le respect nécessaire lié au processus créatif. Avec Ken Loach, l’humain est au centre et cela se ressent à l’écran… et jusque dans les bonus ! Dans ce bel échange, le réalisateur revient sur le travail de ses proches collaborateurs avec un regard toujours bienveillant. « L’entretien avec son complice Paul Laverty » est également essentiel pour comprendre la relation d’amitié qui unit les deux hommes. Reprenant les mêmes questions, le scénariste nous livre son propre regard. Avocat des droits de l’Homme, Paul Laverty a été témoin de la guerre au Nicaragua. Cet épisode sombre de notre Histoire l’a conduit à proposer le film « Carla’s Song » à Ken Loach qui a accepté. Le scénariste insiste également sur sa relation d’amitié avec le réalisateur et sur l’importance du travail d’équipe pour réussir un si beau projet. La séquence s’attardera sur sa vision du monde qui rejoint celle de Ken Loach. Décidément, ils se sont bien trouvés ! Intéressants, le making of et les deux entretiens donnent les clés de lecture pour mieux appréhender ce beau et grand film ! Genre : Drame Durée du film : 1h40 Bonus : Environ 30 minutes dont deux entretiens avec Ken Loach et Paul Laverty
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