Interview de Brigitte Fossey
Invitée d'honneur du Festival Historique de Waterloo
-20 octobre 2018-
Invitée d'honneur du Festival Historique de Waterloo
-20 octobre 2018-
A quelques heures de la rencontre publique qui l’a mise à l’honneur ce samedi 20 octobre, nous avons rencontré Brigitte Fossey, grande comédienne française aux yeux clairs. L’occasion d’aborder avec elle quelques moments clés de sa carrière au cinéma, son amour pour le théâtre, les cinéastes, les mots et Victor Hugo .
Véronique : Ce soir, à la suite de l’Hommage qui vous sera rendu pour l’ensemble de votre carrière, le Festival proposera une projection de « Jeux Interdits » de René Clément. C’est par ce film que tout a commencé et le succès a été tel que vous vous êtes retrouvée devant la Reine d’Angleterre alors que vous n’étiez qu’une enfant. Quelle histoire incroyable !
Brigitte Fossey : En fait, tout cela a commencé par un concours de circonstance et de hasard. Mon père, qui était professeur d’anglais et d’allemand, était aussi un cinéphile et il allait voir tous les grands films parmi lesquels « La bataille du rail », le film qui précédait « Jeux Interdits ». Artistes dans l’âme, mes parents auraient aimé être comédien et musicienne je crois, ou chanteuse d’opéra car ma mère chantait toute la journée dans la maison. A côté de cela, il y avait la sœur aînée de ma mère, qui n’avait pas d’enfant et qui avait projeté tout ce qu’elle aurait aimé faire, tous ses rêves sur moi.
Véronique : Ce soir, à la suite de l’Hommage qui vous sera rendu pour l’ensemble de votre carrière, le Festival proposera une projection de « Jeux Interdits » de René Clément. C’est par ce film que tout a commencé et le succès a été tel que vous vous êtes retrouvée devant la Reine d’Angleterre alors que vous n’étiez qu’une enfant. Quelle histoire incroyable !
Brigitte Fossey : En fait, tout cela a commencé par un concours de circonstance et de hasard. Mon père, qui était professeur d’anglais et d’allemand, était aussi un cinéphile et il allait voir tous les grands films parmi lesquels « La bataille du rail », le film qui précédait « Jeux Interdits ». Artistes dans l’âme, mes parents auraient aimé être comédien et musicienne je crois, ou chanteuse d’opéra car ma mère chantait toute la journée dans la maison. A côté de cela, il y avait la sœur aînée de ma mère, qui n’avait pas d’enfant et qui avait projeté tout ce qu’elle aurait aimé faire, tous ses rêves sur moi.
Un jour, nous étions tous en vacances chez elle à Cannes et alors que nous prenions le café sous le magnolia, elle lit l’annonce de René Clément qui cherche des enfants de 9 à 11 ans pour faire un court métrage. Ma tante, persuadée que le rôle était pour moi - alors que je n’avais que 5 ans et que j’étais encore un bébé - a parié 100 francs que René Clément me choisirait s’il me voyait. Ma mère, qui ne supportait plus ses mises en plis et ses envies de faire de moi un singe savant, y a vu l’occasion de lui montrer une bonne fois pour toute que ce n’était pas pour moi et qu’il fallait préserver mon jardin d’enfant.
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Très vite, je me rends compte que je suis l’objet d’un pari et même si je suis encore toute petite, cela ne me plait pas du tout. Quelques heures plus tard, nous voilà parties touts les trois pour Nice, sous la canicule, dans une Simca où j’avais épouvantablement chaud, pour nous rendre dans la salle du casino de l’hôtel Ruhl où avaient lieu les auditions. On arrive en retard et dans cette immense salle, je vois un monsieur de dos, entourée d’une cinquantaine de jeunes filles, bien plus âgées que moi, et qui écoutent bien religieusement ce qui se dit.
Assise à l’écart, sur une chaise posée sur une estrade, je vois une dame, qui a une vue plongeante sur ce groupe d’enfants. René Clément, dérangé dans ses explications, se retourne vers nous et nous demande ce qu’on lui veut. Il baisse les yeux vers moi et constate que je suis bien trop petite pour le rôle. Par contre, Bella, sa femme, insiste pour que je rejoigne les autres filles et me voilà assise, en face de lui, pendant qu’il raconte une histoire. A la fin, il nous interroge pour savoir qui l’a comprise mais aucune ne répond, probablement trop intimidées par la situation. Et moi, fièrement, du haut de mes cinq ans et trois mois, je lève le doigt et dis que j’avais bien compris son histoire. Comme je n’étais pas encore timide, que je n’avais pas de pression sociale, ni d’objectif, je raconte son récit avec toute mon innocence et ma liberté de propos et cela semble lui plaire. Il me demande de la raconter à nouveau en riant, puis en pleurant, et je m’exécute parce que, à cet à l’âge, je joue souvent au papa ou à la maman et cela ne change pas beaucoup de ce que je fais habituellement. Convaincu, il demande à ma mère et ma tante de me revoir et les deux se dégonflent en disant que ce n’était qu’un pari mais René Clément insiste et dit qu’elles ne peuvent pas apporter quelqu’un comme moi et dire que ce n’était qu’un pari. Alors il me demande si ça m’intéresse de le revoir et de travailler avec lui, ce qui bien évidemment serait mon plus grand plaisir.
On s’est revu plusieurs fois, avec l’auteur de « Croix en bois, croix en fer » dont est tiré le film et avec Jean Aurenche, le scénariste. Les liens se sont tissés, René Clément m’a apprivoisée et on s’est revu à Paris pour que je rencontre le comédien qu’il avait trouvé, Georges Poujouly. C’est ainsi que ça a commencé et que le court métrage a été tourné durant l’été parce que ma mère ne voulait pas que je manque l’école.
Assise à l’écart, sur une chaise posée sur une estrade, je vois une dame, qui a une vue plongeante sur ce groupe d’enfants. René Clément, dérangé dans ses explications, se retourne vers nous et nous demande ce qu’on lui veut. Il baisse les yeux vers moi et constate que je suis bien trop petite pour le rôle. Par contre, Bella, sa femme, insiste pour que je rejoigne les autres filles et me voilà assise, en face de lui, pendant qu’il raconte une histoire. A la fin, il nous interroge pour savoir qui l’a comprise mais aucune ne répond, probablement trop intimidées par la situation. Et moi, fièrement, du haut de mes cinq ans et trois mois, je lève le doigt et dis que j’avais bien compris son histoire. Comme je n’étais pas encore timide, que je n’avais pas de pression sociale, ni d’objectif, je raconte son récit avec toute mon innocence et ma liberté de propos et cela semble lui plaire. Il me demande de la raconter à nouveau en riant, puis en pleurant, et je m’exécute parce que, à cet à l’âge, je joue souvent au papa ou à la maman et cela ne change pas beaucoup de ce que je fais habituellement. Convaincu, il demande à ma mère et ma tante de me revoir et les deux se dégonflent en disant que ce n’était qu’un pari mais René Clément insiste et dit qu’elles ne peuvent pas apporter quelqu’un comme moi et dire que ce n’était qu’un pari. Alors il me demande si ça m’intéresse de le revoir et de travailler avec lui, ce qui bien évidemment serait mon plus grand plaisir.
On s’est revu plusieurs fois, avec l’auteur de « Croix en bois, croix en fer » dont est tiré le film et avec Jean Aurenche, le scénariste. Les liens se sont tissés, René Clément m’a apprivoisée et on s’est revu à Paris pour que je rencontre le comédien qu’il avait trouvé, Georges Poujouly. C’est ainsi que ça a commencé et que le court métrage a été tourné durant l’été parce que ma mère ne voulait pas que je manque l’école.
Le court métrage, qui devait être intégré dans un ensemble de trois courts, a été montré et notamment à Jacques Tati, un ami de René Clément. Quand il l’a vu, il lui a conseillé de le rallonger et d’en faire un long-métrage, ce que le producteur a accepté. Coup de téléphone à Tourcoing, où j’habitais, pour que je tourne dans le long-métrage mais ma mère ne voulait pas. Finalement, après quelques négociations, nous avons trouvé un compromis et elle a accepté que l’on tourne le film durant les vacances de Pâques. Seulement, six mois plus tard, j’avais changé et j’avais perdu une dent de lait, dent qui a fait l’objet d'un raccord alors que de son côté, Georges Poujouly venait de tourner « Nous sommes tous des assassins » où il avait les cheveux coupés et a dû porter un postiche au début du tournage (rires). On avait tous les deux grandi de 12 cm et on a dû changer nos vêtements mais heureusement, on ne voit pas cette différence dans le film.
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Véronique : Après René Clément, vous avez rencontré de nombreux cinéastes tout au long de votre carrière. Parmi eux, Bertrand Blier, Claude Chabrol, Claude Lelouch, François Truffaut. Il y en a un qui vous a particulièrement marqué?
Brigitte Fossey : J’ai beaucoup aimé le travail de François Truffaut, sa direction d’acteurs et la façon dont il prend possession de l’espace. J’ai vraiment apprécié l’ambiance qu’il y avait sur ce tournage ; il était très bien entouré et son assistante, Suzanne Schiffman, était très proche de nous. J’ai aussi eu la grande chance de jouer pour Claude Sautet, un homme qui avait une vraie sensibilité et un sens de la musicalité très développé. Il y avait beaucoup de rythme dans ses scènes, il aimait le jazz et cela s’en ressentait dans son travail car les choses étaient toujours très orchestrées. Le résultat est très naturel alors qu’au fond, il accordait beaucoup d’importance au rythme des mots.
Brigitte Fossey : J’ai beaucoup aimé le travail de François Truffaut, sa direction d’acteurs et la façon dont il prend possession de l’espace. J’ai vraiment apprécié l’ambiance qu’il y avait sur ce tournage ; il était très bien entouré et son assistante, Suzanne Schiffman, était très proche de nous. J’ai aussi eu la grande chance de jouer pour Claude Sautet, un homme qui avait une vraie sensibilité et un sens de la musicalité très développé. Il y avait beaucoup de rythme dans ses scènes, il aimait le jazz et cela s’en ressentait dans son travail car les choses étaient toujours très orchestrées. Le résultat est très naturel alors qu’au fond, il accordait beaucoup d’importance au rythme des mots.
Claude Sautet m’a confié un rôle de composition et je lui suis encore reconnaissante aujourd’hui parce que j’ai dû étudier ce qu’était la drogue. Ce rôle m’a habité pendant six mois au point d’avoir refusé deux autres tournages pour me concentrer sur ce personnage. J’ai aussi adoré tourner au Canada avec Robert Altman où j’ai rencontré Paul Newman, Vittorio Gassman, Fernando Rey, Bibi Andersson, … ça a été un moment de pur bonheur.
Et puis il y a « Au nom de tous les miens », un film qui m'a marqué parce que Dina Gray, mon personnage, a existé et j’ai eu la chance de rencontrer Martin Gray qui m’a fait partager toute son expérience impressionnante. Il y a aussi le « Grand Meaulnes » parce qu’Yvonne de Quiévrecourt, qui a inspiré le personnage de Yvonne de Galais, a aussi existé dans la vie. Je suis toujours inspirée par les personnages qui ont réellement vécu, comme Dina Gray, Yvonne de Galais ou encore Madame Caillaux qui est un personnage de « L’affaire Caillaux » que j’ai fait pour la télévision avec Marcel Bozzuffi. |
Véronique : Vous prêtez aussi vos traits à des personnages de cinéma d’auteur et participez à des courts métrages de jeunes réalisatrices. Comment opérez-vous ces choix ? Est-ce par souhait de mettre votre expérience au profit des débutants ?
Brigitte Fossey : Je n’en ai pas fait beaucoup mais ce sont souvent de très bons courts métrages. Je ne le fais pas du tout pour aider les jeunes qui se lancent dans le cinéma mais parce que je les trouve bons. Je n’ai pas la prétention de vouloir aider ou de faire de bonnes œuvres car mon seul critère artistique, c’est de savoir si j’ai envie de le faire ou non. Je pense qu’il faut suivre son instinct et si un jeune me propose un projet dont le scénario est bon, j’y vais, bien sûr !
Véronique : Il vous arrive parfois de retrouver des réalisateurs ou des partenaires de film dans d’autres longs-métrages, je pense notamment à Patrick Dewaere. Vous avez partagé l’affiche des « Valseuses » de Bertrand Blier mais aussi de « Un mauvais fils » de Claude Sautet. Que pouvez-vous nous dire de la collaboration avec cet immense comédien ?
Brigitte Fossey : Je n’en ai pas fait beaucoup mais ce sont souvent de très bons courts métrages. Je ne le fais pas du tout pour aider les jeunes qui se lancent dans le cinéma mais parce que je les trouve bons. Je n’ai pas la prétention de vouloir aider ou de faire de bonnes œuvres car mon seul critère artistique, c’est de savoir si j’ai envie de le faire ou non. Je pense qu’il faut suivre son instinct et si un jeune me propose un projet dont le scénario est bon, j’y vais, bien sûr !
Véronique : Il vous arrive parfois de retrouver des réalisateurs ou des partenaires de film dans d’autres longs-métrages, je pense notamment à Patrick Dewaere. Vous avez partagé l’affiche des « Valseuses » de Bertrand Blier mais aussi de « Un mauvais fils » de Claude Sautet. Que pouvez-vous nous dire de la collaboration avec cet immense comédien ?
Brigitte Fossey : Je le connaissais car j’allais le voir jouer au « Café de la Gare » et on était de la même génération. C’était un garçon absolument adorable, très sensible mais aussi mélancolique et rempli d’humour en même temps. C’était un merveilleux comédien. Je l’ai connu comme enfant acteur lorsque nous avons tourné un film avec Gene Kelly alors que j’étais moi-même enfant. Toute la famille Maurin était dans la film et on jouait à ramasser la chandelle en tournant autour des uns et des autres et c’était drôle de le retrouver après, adulte. On n’a jamais oublié ce clin d’œil qui a évidemment aidé nos relations.
François: Votre carrière au cinéma est très riche mais elle l’est tout autant dans le domaine du théâtre. Quelle importance accordez-vous à cet art ?
Brigitte Fossey : Dans ma carrière, j’ai toujours veillé à ne pas faire de préférence pour un des arts que j’ai pratiqués. J’ai fait autant de cinéma que de télévision ou de théâtre. A présent, je travaille beaucoup avec la musique, la poésie ou la correspondance. J’ai d’ailleurs toujours souhaité élargir mes expériences et essayer de travailler avec des metteurs en scène différents. J’ai aussi écrit des livres mais de façon très pudique parce que je me suis servie de certains auteurs pour donner un aperçu des textes qui m’ont aidé à vivre. J’aime la poésie, les textes fondateurs, …
Véronique : Puisque vous parlez littérature, je me permets d’évoquer un auteur qui semble beaucoup compter pour vous et à qui vous avez consacré un ouvrage intitulé « A la recherche de Victor Hugo ». Pour quelles raisons ce personnage historique vous parle-t-il ?
François: Votre carrière au cinéma est très riche mais elle l’est tout autant dans le domaine du théâtre. Quelle importance accordez-vous à cet art ?
Brigitte Fossey : Dans ma carrière, j’ai toujours veillé à ne pas faire de préférence pour un des arts que j’ai pratiqués. J’ai fait autant de cinéma que de télévision ou de théâtre. A présent, je travaille beaucoup avec la musique, la poésie ou la correspondance. J’ai d’ailleurs toujours souhaité élargir mes expériences et essayer de travailler avec des metteurs en scène différents. J’ai aussi écrit des livres mais de façon très pudique parce que je me suis servie de certains auteurs pour donner un aperçu des textes qui m’ont aidé à vivre. J’aime la poésie, les textes fondateurs, …
Véronique : Puisque vous parlez littérature, je me permets d’évoquer un auteur qui semble beaucoup compter pour vous et à qui vous avez consacré un ouvrage intitulé « A la recherche de Victor Hugo ». Pour quelles raisons ce personnage historique vous parle-t-il ?
Brigitte Fossey : Ca a été mon maître toute ma vie. Ce qui m’a plu, c’est qu’il y a toujours un aspect de Victor Hugo qu’on ne connaît pas et qu’on découvre. Il y a le romancier, le poète, l’homme politique, un homme engagé. Il a été le premier à aborder les droits des femmes, il a tenu un discours mémorable sur la misère à l’Assemblée Nationale, … J’aime son évolution et voir d’où il est parti et où il est arrivé. Ce qui m’a fasciné aussi chez lui, c’est que c’était un homme politique qui est entré dans l’Histoire alors qu’en même temps il avait toujours ce recul du poète. Quand on s’intéresse à lui, on comprend qu’il était dans le cosmos, passionné par l’univers et la puissance créatrice qui est à l’œuvre derrière tout cela… Il est anti-clérical mais parle aussi beaucoup de Dieu.
François : Ce discours de la misère fait forcément écho à votre investissement dans cette lutte, à travers l’association « ATD Quart Monde »… |
Brigitte Fossey : ATD Quart Monde était une association extraordinaire car elle se battait pour la beauté et la culture pour les plus démunis et ce sont eux qui nous rappellent que l’accès à la culture est un privilège, qu’on a une chance extraordinaire de pouvoir la pratiquer. Depuis que je suis enfant, je suis persuadée qu’il y a quelque chose à faire pour les pauvres, surtout pour ceux qui ne sont pas répertoriés, comme ceux qui se cachent dans les forêts… C’est l’héritage du Moyen Age et le Père Joseph Wresinski a beaucoup fait avancer les choses dans ce domaine-là, heureusement.