Interview de Jaco Van Dormael
Dans le cadre de l’inauguration du Quai10 de Charleroi
Véronique – 22 janvier 2017
Véronique – 22 janvier 2017
Jaco Van Dormael est un cinéaste belge qui compte dans notre culture belge. Le réalisateur, largement récompensé, a signé quatre longs métrages ses vingt-cinq dernières années : « Toto le Héros », « Le Huitième jour », « Mr Nobody » et « Le tout nouveau testament ». De passage au Quai 10 pour clôturer les festivités, ce parrain bienveillant nous a accordé quelques minutes de son temps.
Véronique : Jaco Van Dormael, dans le cadre de la carte blanche proposée par le Quai10, vous avez choisi de présenter « Rachel, Rachel » de Paul Newman qui, si mes calculs sont bons, est sorti lorsque vous aviez onze ans. Est-ce un des films qui amarqué votre enfance ou l’avez-vous choisi parce qu’il représente votre idéal de cinéma ?
Véronique : Jaco Van Dormael, dans le cadre de la carte blanche proposée par le Quai10, vous avez choisi de présenter « Rachel, Rachel » de Paul Newman qui, si mes calculs sont bons, est sorti lorsque vous aviez onze ans. Est-ce un des films qui amarqué votre enfance ou l’avez-vous choisi parce qu’il représente votre idéal de cinéma ?
Jaco Van Dormael : C’est un film qui m’a fait faire du cinéma. J’ai dû le voir à la télévision quand j’avais 14 ans et c’est un des premiers films où je me suis dit « Tiens, il est possible de ne pas reproduire la réalité mais reproduire la perception des personnages, » c'est-à-dire, d’avoir l’impression que c’est filmé de l’intérieur et pas de l’extérieur, que la caméra ne soit pas un voyeur mais qu’elle soit un acteur. C’est une narration à la première personne, une narration en « je » où on est à la fois dans la perception du réel et qui, d’un point de vue cinématographique, est très très bien fait. Pas seulement grâce à la voix off : ce sont aussi des flashes, des déformations. La caméra joue autant que l’acteur, le montage est magnifique aussi, la comédienne (Joanne Woodward ndlr) est formidable. Etrangement, c’est un premier film mais je crois que Newman était très bien aidé par les meilleurs chefs opérateurs et la meilleure monteuse de l’époque - elle s’appelait Dede Allen je crois. C’est donc un film qui m’avait beaucoup marqué parce que je ne savais pas que le cinéma pouvait avoir autant de liberté que la littérature, qu’il n’était pas englué dans le ici et maintenant, que l’on pouvait être dans la perception où on ne sait pas très bien ce qu’est la réalité, sans qu’on s’en aperçoive.
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C’était évident pour vous que vous seriez cinéaste ? Quand vous avez vu ce film, vous vous êtes dit : « c’est ça que je veux faire plus tard ? »
Non, en tout cas pas tout à fait. Après ça, j’ai voulu être cinéaste animalier, ce qui n’a finalement rien à voir (rires). Et je ne suis d’ailleurs jamais devenu cinéaste animalier mais ça m’a fait regarder les films autrement, ça m’a fait regarder d’autres films.
Ce soir, les spectateurs pourront redécouvrir « Toto le héros », votre tout premier long-métrage où le personnage central évoque une vie qu’il n’a pas vraiment vécue. Quand vous regardez votre parcours, vous vous dites « j’ai fait ce que j’ai voulu faire » ou au contraire, vous vous dites qu’il aurait pu être très différent ?
Non, en tout cas pas tout à fait. Après ça, j’ai voulu être cinéaste animalier, ce qui n’a finalement rien à voir (rires). Et je ne suis d’ailleurs jamais devenu cinéaste animalier mais ça m’a fait regarder les films autrement, ça m’a fait regarder d’autres films.
Ce soir, les spectateurs pourront redécouvrir « Toto le héros », votre tout premier long-métrage où le personnage central évoque une vie qu’il n’a pas vraiment vécue. Quand vous regardez votre parcours, vous vous dites « j’ai fait ce que j’ai voulu faire » ou au contraire, vous vous dites qu’il aurait pu être très différent ?
« Toto le héros », c’est l’histoire de quelqu’un qui s’est piégé à croire que sa vie était une histoire. Il a scénarisé sa vie et il s’est limité car il pensait que sa vie n’était que ça. C’était le grand danger de penser comme beaucoup d’entre nous, que la vie est une histoire, qu’elle nous mène quelque part et donc, d’avoir un jugement là-dessus. Quelques années après, j’ai fait « Mr Nobody » qui raconte effectivement que toutes les bifurcations nous amènent vers quelque chose de différent, que dans chacune il y a de la peine ou de la joie mais ça ressemble à la vie. « Toto le héros », c’est plutôt quelqu’un qui n’a pas vécu sa vie parce qu’il a voulu l’écrire. Moi, j’espère que je n’écris pas la mienne surtout que je passe assez de temps à ne rien foutre…
Vous avez réalisé quatre films depuis les années 90. Parce que pour vous, c’est comme les grands crus, ils doivent mûrir pour dégager le meilleur ou parce que c’est le temps que ça demande pour les écrire, réfléchir au casting, à la réalisation ? |
C’est le temps dont j’ai besoin pour penser que ça ne sera pas trop mauvais. 90% du temps que je passe à écrire c’est pour livrer un scénario qui ne marche pas : je suis un mauvais scénariste. Il n’y a qu’à la fin, pour les dix derniers pourcents que je découvre une idée qui a marché, mais je ne sais pas pourquoi. Ca marche par tâtonnements, par réécriture, mais je ne sais pas ce que je veux écrire, je ne sais pas ce que pourrait être le film. Je suis perdu dans la forêt quand j’écris parce que je n’ai pas une idée claire de où cela va me mener. Je sens quelque chose, comme une odeur et je me laisse porter par les intuitions mais je ne sais pas comment faire en sorte que ça marche ; pour moi-même déjà, pour qu’en tant que lecteur, je me dise que là, c’est bien.
Ce qui fait que la complicité avec Thomas Gunzig, qui écrit beaucoup pour les enfants comme pour les adultes, vous a sans doute aidée à accoucher du scénario du « Tout nouveau testament » ?
Oui ! Et puis, c’est surtout le fait qu’on se fait beaucoup rire l’un l’autre et que de toute façon, si on n’a pas une bonne séquence, on a passé une bonne après-midi et ça, c’est super important.
Vous avez aussi réalisé de nombreux courts métrages par le passé, et même quelques clips pour Elogie Frégé ou Indochine. Vous avez fait le choix de vous consacrer exclusivement aux longs ou vous envisagez d’y revenir un jour ?
Non, je ne pense pas. J’aurais pu ne faire que des courts-métrages comme quelqu’un pourrait n’écrire que des nouvelles. Je n’en vivrais pas et ils ne seraient probablement pas vus. A un moment donné je me suis dit qu’il fallait passer de la chanson à la symphonie. En musique, si tu crées une symphonie, tu risques de ne jamais beaucoup être joué mais si tu écris une chanson, ça va peut-être marcher. Au cinéma, c’est juste le contraire.
Certains cinéastes changent radicalement de support pour leurs films. Certains ne tournent qu’avec des appareils photos ou même des smartphones. Et vous ? Quel regard portez-vous sur ces nouveaux moyens ?
Je tourne parfois avec des appareils photos aussi. Dans mon dernier film, certains plans sont faits avec un Sony Alpha 7 et on les mélange avec ceux d’autres caméras. Après, si c’est l’histoire de quelqu’un qui filme avec un smartphone, alors c’est bien de filmer avec un téléphone. Si c’est juste pour avoir une image un peu moche, je préfère utiliser des appareils photographiques qui ne coûtent pas beaucoup d’argent en plus qu’un smartphone, et qui font des images bien meilleures. C’est l’objectif qui fait l’image et le capteur du téléphone ne sera jamais formidable, parce qu’il est tout petit.
Vous avez souvent été récompensé. Quel rapport entretenez-vous avec toutes ces distinctions ?
Ça fait plaisir car, je n’en ai pas toujours eu. Ça fait plaisir parce que ça reste toujours un malentendu. Quand des gens aiment mes films et viennent me le dire, je ne sais pas toujours ce qu’ils ont vu. Quand des gens m’écrivent en me disant « j’ai détesté votre film, arrêtez de faire du cinéma », je ne sais pas ce qu’ils ont vu non plus et moi-même, je ne verrai jamais mes films parce que je les connais par cœur.
Vous pensez qu’il faut passer par la case « internationale » pour être reconnu en Belgique ?
Non, je pense que des films comme « C’est arrivé près de chez vous » qui sont très belges peuvent fonctionner chez nous sans passer par la France comme les films flamands marchent en Flandre sans passer par la Hollande ou d’autres pays. C’est sûr que quand on a une reconnaissance internationale, il y a une fierté. C’est comme quand les Diables Rouges ont gagné à Mexico, on était très fier… De mon côté, le succès, je ne sais pas ce que c’est. Toucher quelques millions de personnes en profondeur, qui s’en souviendront toute leur vie ou quelques millions qui n’y pensent plus au bout de cinq minutes, je ne sais pas si ça fait le succès, personnellement en tout cas.
Vous ne le mesurez pas ?
Je ne sais pas si on sait mesurer son succès. En général, au cinéma, on m’envoie des colonnes de chiffres et ce n’est pas supra- émouvant (rires) mais c’est comme ça qu’on mesure le succès des films. C’est un peu comme des restaurants pleins et des restaurants vides. Quand plein de gens vont voir un film, plein d’autres gens ont envie de le voir alors que quand personne ne va le voir, personne n’a envie d’aller le voir… Parfois, effectivement, je passe devant un restaurant vide et je n’y entre pas alors que si ça se trouve, le cuisinier est tout aussi bien. Moi-même, j’ai fait la cuisine pour des films où les salles étaient pleines et d’autres où elles étaient vides alors que c’était la même cuisine.
Oui ! Et puis, c’est surtout le fait qu’on se fait beaucoup rire l’un l’autre et que de toute façon, si on n’a pas une bonne séquence, on a passé une bonne après-midi et ça, c’est super important.
Vous avez aussi réalisé de nombreux courts métrages par le passé, et même quelques clips pour Elogie Frégé ou Indochine. Vous avez fait le choix de vous consacrer exclusivement aux longs ou vous envisagez d’y revenir un jour ?
Non, je ne pense pas. J’aurais pu ne faire que des courts-métrages comme quelqu’un pourrait n’écrire que des nouvelles. Je n’en vivrais pas et ils ne seraient probablement pas vus. A un moment donné je me suis dit qu’il fallait passer de la chanson à la symphonie. En musique, si tu crées une symphonie, tu risques de ne jamais beaucoup être joué mais si tu écris une chanson, ça va peut-être marcher. Au cinéma, c’est juste le contraire.
Certains cinéastes changent radicalement de support pour leurs films. Certains ne tournent qu’avec des appareils photos ou même des smartphones. Et vous ? Quel regard portez-vous sur ces nouveaux moyens ?
Je tourne parfois avec des appareils photos aussi. Dans mon dernier film, certains plans sont faits avec un Sony Alpha 7 et on les mélange avec ceux d’autres caméras. Après, si c’est l’histoire de quelqu’un qui filme avec un smartphone, alors c’est bien de filmer avec un téléphone. Si c’est juste pour avoir une image un peu moche, je préfère utiliser des appareils photographiques qui ne coûtent pas beaucoup d’argent en plus qu’un smartphone, et qui font des images bien meilleures. C’est l’objectif qui fait l’image et le capteur du téléphone ne sera jamais formidable, parce qu’il est tout petit.
Vous avez souvent été récompensé. Quel rapport entretenez-vous avec toutes ces distinctions ?
Ça fait plaisir car, je n’en ai pas toujours eu. Ça fait plaisir parce que ça reste toujours un malentendu. Quand des gens aiment mes films et viennent me le dire, je ne sais pas toujours ce qu’ils ont vu. Quand des gens m’écrivent en me disant « j’ai détesté votre film, arrêtez de faire du cinéma », je ne sais pas ce qu’ils ont vu non plus et moi-même, je ne verrai jamais mes films parce que je les connais par cœur.
Vous pensez qu’il faut passer par la case « internationale » pour être reconnu en Belgique ?
Non, je pense que des films comme « C’est arrivé près de chez vous » qui sont très belges peuvent fonctionner chez nous sans passer par la France comme les films flamands marchent en Flandre sans passer par la Hollande ou d’autres pays. C’est sûr que quand on a une reconnaissance internationale, il y a une fierté. C’est comme quand les Diables Rouges ont gagné à Mexico, on était très fier… De mon côté, le succès, je ne sais pas ce que c’est. Toucher quelques millions de personnes en profondeur, qui s’en souviendront toute leur vie ou quelques millions qui n’y pensent plus au bout de cinq minutes, je ne sais pas si ça fait le succès, personnellement en tout cas.
Vous ne le mesurez pas ?
Je ne sais pas si on sait mesurer son succès. En général, au cinéma, on m’envoie des colonnes de chiffres et ce n’est pas supra- émouvant (rires) mais c’est comme ça qu’on mesure le succès des films. C’est un peu comme des restaurants pleins et des restaurants vides. Quand plein de gens vont voir un film, plein d’autres gens ont envie de le voir alors que quand personne ne va le voir, personne n’a envie d’aller le voir… Parfois, effectivement, je passe devant un restaurant vide et je n’y entre pas alors que si ça se trouve, le cuisinier est tout aussi bien. Moi-même, j’ai fait la cuisine pour des films où les salles étaient pleines et d’autres où elles étaient vides alors que c’était la même cuisine.
Ma toute dernière question est plutôt personnelle. Quel film vous a touché ou vous a étonné dernièrement ?
Le dernier, je crois que c’est celui de Villeneuve, « Premier contact ». Je trouvais que c’était une très très belle façon de faire de la science-fiction, avec des tentes et des sacs à dos. On ne voit pas vraiment grand-chose mais il arrive à faire un spectaculaire très différent. Du coup, j’y croyais beaucoup plus que dans les films de science-fiction où il y a beaucoup de bruit, de plans…
Le dernier, je crois que c’est celui de Villeneuve, « Premier contact ». Je trouvais que c’était une très très belle façon de faire de la science-fiction, avec des tentes et des sacs à dos. On ne voit pas vraiment grand-chose mais il arrive à faire un spectaculaire très différent. Du coup, j’y croyais beaucoup plus que dans les films de science-fiction où il y a beaucoup de bruit, de plans…