Interview de Kim Keukeleire
Dans le cadre de l’avant-première au Festival 2 Valenciennes
- 24 mars 2018-
Dans le cadre de l’avant-première au Festival 2 Valenciennes
- 24 mars 2018-
« Isle of dogs », le nouveau film de Wes Anderson, entièrement tourné en stop motion est une petite pépite qui vaut amplement le détour. Par son histoire, ses discours, ses dialogues croustillants et sa mise en scène ! Mais sans animateur, difficile de donner vie aux marionnettes du film. C'est ainsi que nous avons rencontré Kim Keukeleire, la lead animator du film, dans la foulée de l’avant-première organisée par le Festival 2 Valenciennes et peu avant la cérémonie de clôture où le long-métrage « L’île aux chiens » recevait le Prix Ciné Pass, décerné par les cinéphiles et cinéphages du Gaumont Pathé de Valenciennes. L’occasion d’évoquer avec nous ses relations de travail avec Wes Anderson, son parcours professionnel, « L’île aux chiens » et l’univers de la stop motion en général… Véronique : On vous connaît peu, Kim Keukeleir et pourtant, vous êtes responsable de l’animation dans de nombreux longs-métrages et notamment pour « L’île aux chiens ». Au début de vos études et de votre parcours, vous saviez déjà que vous travailleriez dans le cinéma d’animation ? |
Kim Keukeleire : Non non, c’est par accident que je suis tombée dedans. Je ne m’étais même jamais posée la question de savoir comment était fait un film d’animation (rires)… même si j’ai avalé des films quand j’étais petite. Le hasard a fait que je voulais me diriger vers un métier artistique et créatif et comme l’animation touchait un peu à l’image, au son, à la sculpture, au dessin, je m’y suis intéressée et c’est ainsi que je suis entrée dans cet univers. De fil en aiguille, je me suis dirigée de plus en plus vers la stop motion et son côté plutôt acting.
Véronique : Vous avez étudié à La Cambre, là où sont aussi passés nos compatriotes Vincent Patar et Stéphane Aubier (« Panique au village », « Cowboy et indien »). Il y a un vrai vivier de talents à la Cambre, qui ne demandait d’ailleurs qu’à s’exprimer, malgré les règles plutôt strictes de l’école. Comment y avez-vous exprimé votre créativité ?
Kim Keukeleire: C’est amusant parce que nous étions dans la même classe avec Patar et Aubier et je ne rentrais pas dans les cases non plus (rires). Pas pour les mêmes raisons qu’eux mais parce que je n’étais pas très présente aux cours et je revenais vite en fin d’année, au moment des travaux pratiques. C’était rigolo parce que Stéphane et Vincent avaient toujours un scénario totalement déjanté et je me souviens très bien de séances de cours de scénario où un de nos professeurs essayait de comprendre ce qu’ils racontaient (rires). Mes scénarios à moi étaient moins compliqués, sans doute parce que je ne suis pas une grande scénariste non plus… La Cambre c’était une école empirique, chacun s’y exprimait à sa manière…
Véronique : Vous avez d’ailleurs été maître de conférence à La Cambre…
Kim Keukeleire : J’ai fait quelques workshops oui. C’est très amusant de rencontrer les étudiants. Je ne me rendais pas compte qu’on était si naïf quand on était jeune (rires) et c’est drôle de se retrouver en face de gens qui ont telle envie, une telle naïveté par rapport à la vie ou au métier. J’ai beaucoup aimé motiver les gens, à travers ces ateliers, qui ne durent que trois jours. Je sais que les exercices que j’ai proposés ont parfois marqué et contribué au développement du parcours de certains étudiants. J’en retrouve parfois qui me disent combien ils ont apprécié s’amuser à travers mes supports et qui continuent de le faire. C’est très informel mais aussi très enrichissant !
Véronique : Vous avez étudié à La Cambre, là où sont aussi passés nos compatriotes Vincent Patar et Stéphane Aubier (« Panique au village », « Cowboy et indien »). Il y a un vrai vivier de talents à la Cambre, qui ne demandait d’ailleurs qu’à s’exprimer, malgré les règles plutôt strictes de l’école. Comment y avez-vous exprimé votre créativité ?
Kim Keukeleire: C’est amusant parce que nous étions dans la même classe avec Patar et Aubier et je ne rentrais pas dans les cases non plus (rires). Pas pour les mêmes raisons qu’eux mais parce que je n’étais pas très présente aux cours et je revenais vite en fin d’année, au moment des travaux pratiques. C’était rigolo parce que Stéphane et Vincent avaient toujours un scénario totalement déjanté et je me souviens très bien de séances de cours de scénario où un de nos professeurs essayait de comprendre ce qu’ils racontaient (rires). Mes scénarios à moi étaient moins compliqués, sans doute parce que je ne suis pas une grande scénariste non plus… La Cambre c’était une école empirique, chacun s’y exprimait à sa manière…
Véronique : Vous avez d’ailleurs été maître de conférence à La Cambre…
Kim Keukeleire : J’ai fait quelques workshops oui. C’est très amusant de rencontrer les étudiants. Je ne me rendais pas compte qu’on était si naïf quand on était jeune (rires) et c’est drôle de se retrouver en face de gens qui ont telle envie, une telle naïveté par rapport à la vie ou au métier. J’ai beaucoup aimé motiver les gens, à travers ces ateliers, qui ne durent que trois jours. Je sais que les exercices que j’ai proposés ont parfois marqué et contribué au développement du parcours de certains étudiants. J’en retrouve parfois qui me disent combien ils ont apprécié s’amuser à travers mes supports et qui continuent de le faire. C’est très informel mais aussi très enrichissant !
Véronique : Après vos études, vous avez réalisé des pubs pour Duracel, Fujifilm, notamment. C’est très différent ce que vous allez faire dans vos longs-métrages j’imagine…
Kim Keukeleire: Au début, j’ai fait des publicités que je ne montre même pas parce que ce n’était que le début et qu’on avait peu de moyens. Mes débuts étaient très candides : les pubs sont mignonnes mais c’est loin d’être ma spécialité (rires). Après, je suis allée en Angleterre et j’ai commencé à travailler avec du matériel plus développé, et notamment, avec du digital. Là, je suis entrée dans le monde du long-métrage, un univers dans lequel je me sens beaucoup plus à l’aise. |
Véronique : Vous êtes d’ailleurs entrée chez Aardman et avez travaillé avec Peter Lord, un vrai passionné de l’animation. Ça a dû être une expérience incroyable…
Kim Keukeleire : Oui ! Ca a été probablement un grand moment dans ma vie ! C’est là que j’ai découvert comment fonctionnait le long-métrage. C’était aussi la première fois que je travaillais avec une équipe qui mettait tout en œuvre pour qu’on ait les moyens techniques de faire un film, tout en me permettant de me concentrer sur l’animation. J’y ai rencontré plein de gens, Aardman et « Chicken run », ont constitué une étape clé de ma carrière, c’est certain !
Véronique : Et puis, un autre grand nom est arrivé dans votre parcours : Wes Anderson avec qui vous avez travaillé sur « Fantastic Mr Fox », son premier long-métrage d’animation en tant que key animator …
Kim Keukeleire : Après, je suis allée aux Etats-Unis, entre autres choses, parce j’ai aussi travaillé en Suisse mais en effet, je suis arrivée dans l’équipe de Wes Anderson pour son film « Fantastic Mr Fox ». J’ai reçu assez vite le scénario du film pour que je puisse participer à son tournage. Après, on s’est rencontré avec l’équipe, le directeur de l’animation et Wes afin de parler des personnages, de leur caractère, leur façon de bouger et une fois qu’on reçoit les voix, on peut commencer l’animation. Il faut savoir qu’un animateur qui arrive sur un tournage a en général deux semaines pour tester, animer les poupées et s’habituer à la structure, au style. On ne l’envoie jamais directement sur un plan car c’est important qu’il intègre l’histoire du film en respectant sa structure.
Kim Keukeleire : Oui ! Ca a été probablement un grand moment dans ma vie ! C’est là que j’ai découvert comment fonctionnait le long-métrage. C’était aussi la première fois que je travaillais avec une équipe qui mettait tout en œuvre pour qu’on ait les moyens techniques de faire un film, tout en me permettant de me concentrer sur l’animation. J’y ai rencontré plein de gens, Aardman et « Chicken run », ont constitué une étape clé de ma carrière, c’est certain !
Véronique : Et puis, un autre grand nom est arrivé dans votre parcours : Wes Anderson avec qui vous avez travaillé sur « Fantastic Mr Fox », son premier long-métrage d’animation en tant que key animator …
Kim Keukeleire : Après, je suis allée aux Etats-Unis, entre autres choses, parce j’ai aussi travaillé en Suisse mais en effet, je suis arrivée dans l’équipe de Wes Anderson pour son film « Fantastic Mr Fox ». J’ai reçu assez vite le scénario du film pour que je puisse participer à son tournage. Après, on s’est rencontré avec l’équipe, le directeur de l’animation et Wes afin de parler des personnages, de leur caractère, leur façon de bouger et une fois qu’on reçoit les voix, on peut commencer l’animation. Il faut savoir qu’un animateur qui arrive sur un tournage a en général deux semaines pour tester, animer les poupées et s’habituer à la structure, au style. On ne l’envoie jamais directement sur un plan car c’est important qu’il intègre l’histoire du film en respectant sa structure.
Véronique : Le tournage est forcément très différent d’un film live. Comment s’organise-t-il en règle générale ?
Kim Keukeleire : Ca dépend du film mais souvent, on ne tourne pas dans l’ordre chronologique de l’histoire car on dépend de l’accès aux différents plateaux, des poupées disponibles, … On tourne des séquences dans un ordre presque aléatoire. Ce serait plus facile de le faire dans l’ordre mais c’est une logistique tellement énorme que c’est impossible. Ce qui prend le plus de temps, c’est la conception des poupées. |
Une fois qu’on reçoit les marionnettes, on se rend compte qu’il y a des problèmes, qu’il faut les rôder, les changer et c’est là aussi qu’on intervient : on peut faire des corrections sur les personnages, pour qu’ils soient plus malléables. D’ailleurs, les concepteurs sont toujours dans l’attente de nos retours. C’est un vrai travail d’équipe !
Véronique : Quand Wes Anderson vous a proposé « Isle of dogs », c’était évident pour vous que vous referiez partie de l’aventure ?
Kim Keukeleire : Oui ! C’est un des réalisateurs à qui j’aurais du mal à refuser quoi que ce soit ! J’ai adoré travailler avec lui, comme avec tous les réalisateurs que j’ai rencontré, même si Tim Burton est sans doute le seul avec qui j’ai eu peu de contacts car il était peu présent. Wes a un univers particulier et il est très perfectionniste. Quand il n’est pas avec l’équipe, il filme les idées qu’il a eues et nous les envoie pour qu’on voie le résultat espéré. Il est très impliqué !
Véronique : Quand Wes Anderson vous a proposé « Isle of dogs », c’était évident pour vous que vous referiez partie de l’aventure ?
Kim Keukeleire : Oui ! C’est un des réalisateurs à qui j’aurais du mal à refuser quoi que ce soit ! J’ai adoré travailler avec lui, comme avec tous les réalisateurs que j’ai rencontré, même si Tim Burton est sans doute le seul avec qui j’ai eu peu de contacts car il était peu présent. Wes a un univers particulier et il est très perfectionniste. Quand il n’est pas avec l’équipe, il filme les idées qu’il a eues et nous les envoie pour qu’on voie le résultat espéré. Il est très impliqué !
Véronique : De tous les personnages que vous avez manipulé ou mis en scène, il y en a un qui vous « touche » de par ses caractéristiques.
Kim Keukeleire : J’ai beaucoup aimé animer les personnages de « Mr Fox ». Dans « Isle of Dogs », je dirais que ce sont Spots et Oracle mes chiens préférés mais c’est sans doute parce que je les ai beaucoup manipulé. Dans l’univers de Wes, tous les personnages sont attachants, c’est ça qui est génial : ils ont tous leur personnalité, leur dysfonctionnement et leur complexité propres et c’est ça qui les rend crédibles. |
Véronique : Wes Anderson se serait beaucoup inspiré du travail fait par Rankin et Bass Productions (qui ont notamment fait le film « La dernière licorne) pour ce film-ci en particulier. C’est une influence que vous avez ressentie ?
Kim Keukeleire : Pas vraiment non mais je pense que Wes s’est surtout inspiré de toutes ces influences parce qu’elles lui ont donné de l’envie de faire du stop motion. Il ne veut utiliser de vrais effets spéciaux et préfère largement la matière et c’est, à mon avis, pour cela qu’il évoque ces studios-là. Ce sont des films en stop motion pure et on n’est pas du tout dans les films où les effets sont faits en post-production. Il adore le bricolage et ce côté très artisanal de la marionnette qu’on manipule.
Kim Keukeleire : Pas vraiment non mais je pense que Wes s’est surtout inspiré de toutes ces influences parce qu’elles lui ont donné de l’envie de faire du stop motion. Il ne veut utiliser de vrais effets spéciaux et préfère largement la matière et c’est, à mon avis, pour cela qu’il évoque ces studios-là. Ce sont des films en stop motion pure et on n’est pas du tout dans les films où les effets sont faits en post-production. Il adore le bricolage et ce côté très artisanal de la marionnette qu’on manipule.
Véronique : Le public est parfois réticent face aux films faits en stop motion. Comment feriez-vous pour les convaincre d’aller voir « Isle of dogs » ?
Kim Keukeleire : Je leur dirais que ce sont des mondes originaux et imaginaires et beaucoup plus créatifs que les grosses machineries auxquelles nous sommes habitués mais que c’est important d’avoir des films plus intimistes, plus déjantés. C’est indispensable d’entretenir l’imaginaire des gens et les films en stop motion le permettent. Plus je le vois et plus je me dis que « Isle of dogs » est d’ailleurs un film très onirique, bien plus que « Fantastic Mr Fox » d’ailleurs. Il est moins drôle, bien que… mais plus touchant et plus sensible. |
Véronique : « L’île aux chiens » est tellement dense et rempli d’une multitude de détails qu’il faut assurément une deuxième vision pour en cerner tous les contours…
Kim Keukeleire : C’est vrai que le film est très sophistiqué ! Moi-même, à chaque fois que je le revois, j’aperçois des petits détails que je n’avais pas vu à la première ou la deuxième vision. Ce que j’aime dans « L’île aux chiens », c’est son côté très poétique.
Véronique : Les films en stop motion ont d’ailleurs de plus en plus belle réputation et sont aussi très récompensés, je pense à « Chicken Run » ou « Ma vie de courgette », deux films sur lesquels vous avez travaillé…
Kim Keukeleire : Oui c’est vrai ! Je pense que c’est bien d’avoir des films peu conventionnels. Il n’y a pas assez de films en stop motion pour en faire un festival, même si je pense qu’il y en a un au Canada, mais ils sont parfois sélectionnés et ça donne une belle visibilité. Finalement, ce qui compte, c’est l’histoire, le film dans son ensemble. Ça reste quelque chose de très attendu car quand on annonce leur sortie, il y a une vraie curiosité alors que des films en images de synthèse, il y en a plein qui se retrouvent dans les salles et dont on n’entend pas parler.
Ce qui est chouette avec Wes Anderson, c’est qu’on ne le case pas dans la catégorie « stop motion », c’est aussi un réalisateur live : il entreprend un film en stop motion comme n’importe quel autre film et il raconte une histoire. Ce support, ce genre, lui permet de faire ce qu’il veut et contrôler tout comme il le souhaite. La stop motion lui permet d’aller plus loin et se prête assez bien à son univers. Après, on pourrait faire un film live avec des chiens, ou des bouts de ficelles et des assemblages de poils mais ça serait tout de suite moins bien (rires).
Kim Keukeleire : C’est vrai que le film est très sophistiqué ! Moi-même, à chaque fois que je le revois, j’aperçois des petits détails que je n’avais pas vu à la première ou la deuxième vision. Ce que j’aime dans « L’île aux chiens », c’est son côté très poétique.
Véronique : Les films en stop motion ont d’ailleurs de plus en plus belle réputation et sont aussi très récompensés, je pense à « Chicken Run » ou « Ma vie de courgette », deux films sur lesquels vous avez travaillé…
Kim Keukeleire : Oui c’est vrai ! Je pense que c’est bien d’avoir des films peu conventionnels. Il n’y a pas assez de films en stop motion pour en faire un festival, même si je pense qu’il y en a un au Canada, mais ils sont parfois sélectionnés et ça donne une belle visibilité. Finalement, ce qui compte, c’est l’histoire, le film dans son ensemble. Ça reste quelque chose de très attendu car quand on annonce leur sortie, il y a une vraie curiosité alors que des films en images de synthèse, il y en a plein qui se retrouvent dans les salles et dont on n’entend pas parler.
Ce qui est chouette avec Wes Anderson, c’est qu’on ne le case pas dans la catégorie « stop motion », c’est aussi un réalisateur live : il entreprend un film en stop motion comme n’importe quel autre film et il raconte une histoire. Ce support, ce genre, lui permet de faire ce qu’il veut et contrôler tout comme il le souhaite. La stop motion lui permet d’aller plus loin et se prête assez bien à son univers. Après, on pourrait faire un film live avec des chiens, ou des bouts de ficelles et des assemblages de poils mais ça serait tout de suite moins bien (rires).