Interview de Sandrine Bonnaire
Dans le cadre de la sortie du film "Prendre le large "
- 13 novembre 2017
Dans le cadre de la sortie du film "Prendre le large "
- 13 novembre 2017
Sandrine Bonnaire est une comédienne française à la filmographie impressionnante. De Maurice Pialat à Patrice Leconte en passant par Claude Lelouch ou Agnès Varda, l’actrice a côtoyé les plus grands, recevant des César dès ses premiers pas au cinéma et gardant un naturel et une grâce que beaucoup peuvent lui envier. Échanger avec elle lors de la sortie de son prochain film « Prendre le large » (de Gaël Morel) était un véritable cadeau. Rencontre avec une femme extraordinaire.
Véronique : Dans le film de Gaël Morel, vous interprétez une femme déterminée, que l’on pourrait rencontrer dans la vie de tous les jours. Comment prépare-t-on un tel personnage si fort et fragile à la fois ? Sandrine Bonnaire : Je pense qu’il faut accepter de se laisser guider par un metteur en scène, jouer sans artifice parce que le rôle le demande et s’investir dans de petites choses… J’ai pris beaucoup de plaisir à jouer la naïveté d’Edith par exemple mais je ne me suis pas vraiment préparé parce que c’est un domaine que je connais, même si j’en suis partie il y a fort longtemps. J’avais un père ouvrier, j’ai des amis qui le sont toujours, et je connais donc très bien ce milieu là. A vrai dire, je ne me sentais pas loin de l’histoire, ni du rôle et je ne me sentais pas loin non plus de cette prise de risque, de cette envie de partir. C’est d’ailleurs ce qui m’a plu aussi dans le film, de refaire sa vie après cinquante ans. Ce n’est pas évident mais elle le fait quand même et ça, ça me parle ! Véronique : Edith est d’ailleurs une femme esseulée, qui n’a que son travail et peu de vie sociale. C’était un choix risqué de tout quitter ? |
Sandrine Bonnaire : C’est vrai qu’elle fait le choix de partir alors qu’elle pourrait prendre les indemnités de départ, rester chez elle et profiter du système français mais elle le refuse. Elle choisit de changer de vie, de partir ailleurs et de gagner moins d’argent. Elle dit d’ailleurs que rien ne la retient en France, qu’elle n’a rien à perdre et c’est sans doute ce qui la motive à partir…
Véronique : Et une fois arrivée au Maroc, elle fait de belles rencontres, même si ce n’était pas gagné au départ…
Sandrine Bonnaire : Oui, effectivement. Elle a rencontré une famille, un fils de substitution. Ce qui va d’ailleurs faire écho chez son propre fils, qui, quand il viendra la voir au Maroc, va comprendre certaines choses et l’éclairer : il prendra conscience qu’il a raté quelque chose avec sa mère et ce sera là aussi un nouveau départ.
Véronique : Le Maroc dans lequel entre Edith paraît archaïque. Elle rencontre une misère économique mais pas une misère humaine, comme si les priorités étaient ailleurs…
Sandrine Bonnaire : Les priorités sont en effet ailleurs. Ce ne sont pas les mêmes codes mais il y a malgré tout une solidarité, même si parfois, comme ce qu’on peut voir dans le film, les filles se tirent dans les pattes. Je pense que cette vraie solidarité est propre au Maroc. Là-bas, des tas de gens vivent ensemble, s’occupent de leurs parents. Les gens travaillent pour la famille. Ce sont toutes des choses qu’elle découvre et qu’elle aime aussi.
Véronique : Et une fois arrivée au Maroc, elle fait de belles rencontres, même si ce n’était pas gagné au départ…
Sandrine Bonnaire : Oui, effectivement. Elle a rencontré une famille, un fils de substitution. Ce qui va d’ailleurs faire écho chez son propre fils, qui, quand il viendra la voir au Maroc, va comprendre certaines choses et l’éclairer : il prendra conscience qu’il a raté quelque chose avec sa mère et ce sera là aussi un nouveau départ.
Véronique : Le Maroc dans lequel entre Edith paraît archaïque. Elle rencontre une misère économique mais pas une misère humaine, comme si les priorités étaient ailleurs…
Sandrine Bonnaire : Les priorités sont en effet ailleurs. Ce ne sont pas les mêmes codes mais il y a malgré tout une solidarité, même si parfois, comme ce qu’on peut voir dans le film, les filles se tirent dans les pattes. Je pense que cette vraie solidarité est propre au Maroc. Là-bas, des tas de gens vivent ensemble, s’occupent de leurs parents. Les gens travaillent pour la famille. Ce sont toutes des choses qu’elle découvre et qu’elle aime aussi.
Véronique : Vous avez d’ailleurs rencontré des comédiennes très populaires au Maroc, je pense notamment à Mouna Fettou . Vous la connaissiez avant de tourner avec elle ?
Sandrine Bonnaire : Non, c’est vrai que Mouna est très connue là-bas mais je ne connaissais rien d’elle, je n’avais vu aucun de ses films. C’est une belle actrice, c’est sûr ! On a beaucoup rit du personnage de Mina, la femme qu’elle interprète. Elle n’était pas très sympathique mais en même temps, on la comprend. Dans des pays comme cela, la femme doit être plus déterminée pour s’imposer. Dans un premier temps, elle accueille cette française avec beaucoup de suspicions car quelque part, c’est l’immigration dans l’autre sens ! C’est très étrange qu’une femme blanche vienne travailler dans son pays. Elle dit d’ailleurs dans le film qu’on va souvent là pour le tourisme, pas pour chercher du travail. Ce qui est très beau, c’est que c’est elle qui va émanciper Edith et qui va la faire sourire. |
Véronique : En effet, les première fois où l’on voit Edith heureuse, c’est quand elle vit au Maroc. Elle semble s’émerveiller de tout, comme si elle reprenait goût à la vie…
Sandrine Bonnaire : Absolument ! Il y a une vraie renaissance. Elle va de plus en plus vers la lumière, parce qu’elle se sent aimée et utile, elle est adoptée, réintégrée, des gens la regardent, la soutiennent et la respectent. C’est important pour elle !
Véronique : Mais malgré tout, votre personnage doit encore se surpasser, faire ses preuves alors qu’on pensait que tout serait « facile »…
Sandrine Bonnaire : Absolument ! Il y a une vraie renaissance. Elle va de plus en plus vers la lumière, parce qu’elle se sent aimée et utile, elle est adoptée, réintégrée, des gens la regardent, la soutiennent et la respectent. C’est important pour elle !
Véronique : Mais malgré tout, votre personnage doit encore se surpasser, faire ses preuves alors qu’on pensait que tout serait « facile »…
Sandrine Bonnaire : Tout à fait ! Tout son parcours est une question de survie ! Elle est prête à prendre n’importe quel travail et elle le fait sans même réfléchir. Ce n’est pas le travail qui lui fait peur : tant qu’elle résiste, elle y va et elle s’en sort à chaque fois. Elle va jusqu’au bout des choses... On a peur pour elle parce qu’elle a une certaine force d’inconscience et c’est peut-être ce qui la sauve. Elle doit payer sa pension et elle monte d’ailleurs dans ce camion parce qu’il faut qu’elle ait de l’argent coûte que coûte. Elle n’est pas dans la réflexion de quoi que ce soit, elle agit. C’est quelqu’un qui fonce sans savoir où aller. Et ça commence dès le départ, par son choix d’aller au Maroc.
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Véronique : A la vision du film, on a l’impression que tout est très écrit. Vous avez tout de même apporté une touche personnelle à votre personnage ?
Sandrine Bonnaire : Pas vraiment non. Je n’avais qu’à m’approprier mon personnage. Même si Gaël changeait les choses en cours de route, la trame du scénario était là. Il a épuré certaines choses parce que parfois, il trouvait cela trop explicatif ou trop bavard. Ca a laissé la place à ces touches que j’ai créées : ces silences, cette fragilité et cette force qui étaient déjà dans le scénario mais que j’ai pu mettre un peu plus en avant.
Véronique : Il a confié dans une interview qu’il pensait à vous en écrivant ce personnage, que vous aviez une grâce naturelle et que vous étiez une muse pour lui. C’est joli de parler ainsi de vous et ça doit être d’autant plus magique pour lui que vous acceptiez de jouer ce rôle ?
Sandrine Bonnaire : C’est génial parce que très honnêtement, je pense qu’on était amené à se rencontrer. J’avais défendu un scénario qu’il avait écrit lorsque je faisais partie d’un comité de lecture d’un organisme qui permettait d’accorder des subventions supplémentaires pour financer des films. J’avais vraiment défendu le scénario d’un film qu’il a pu faire : « Après lui », avec Catherine Deneuve, qui a d’ailleurs le même sujet qu’un film que j’ai fait après : « J’enrage de son absence ». La première fois que j’ai rencontré Gaël c’était à la projection du film « Après lui » est c’est là que j’ai appris qu’il écrivait pour moi. Il y a plein de petites connections qui font qu’on était amené à se rencontrer et c’est évident qu’on finirait par travailler ensemble.
Véronique : Vous filmographie est impressionnante. Comment faites-vous vos choix de personnages ou de films ?
Sandrine Bonnaire : Ça dépend. Ça peut être lié à un metteur en scène ou à une histoire. C’est souvent le cas d’ailleurs : s’il y a un beau scénario et qu’il y a un rôle intéressant, je suis. C’est très simple en fait, il faut que ça me parle. Après, il y a des metteurs en scène qui ont des scénarios un peu plus faibles mais qui m’expliquent ce qu’ils veulent faire et ça me donne du coup l’envie d’y aller aussi. Il y a plein de manière de choisir de faire un film, je ne sais pas s’il y a une recette toute faite.
Sandrine Bonnaire : Pas vraiment non. Je n’avais qu’à m’approprier mon personnage. Même si Gaël changeait les choses en cours de route, la trame du scénario était là. Il a épuré certaines choses parce que parfois, il trouvait cela trop explicatif ou trop bavard. Ca a laissé la place à ces touches que j’ai créées : ces silences, cette fragilité et cette force qui étaient déjà dans le scénario mais que j’ai pu mettre un peu plus en avant.
Véronique : Il a confié dans une interview qu’il pensait à vous en écrivant ce personnage, que vous aviez une grâce naturelle et que vous étiez une muse pour lui. C’est joli de parler ainsi de vous et ça doit être d’autant plus magique pour lui que vous acceptiez de jouer ce rôle ?
Sandrine Bonnaire : C’est génial parce que très honnêtement, je pense qu’on était amené à se rencontrer. J’avais défendu un scénario qu’il avait écrit lorsque je faisais partie d’un comité de lecture d’un organisme qui permettait d’accorder des subventions supplémentaires pour financer des films. J’avais vraiment défendu le scénario d’un film qu’il a pu faire : « Après lui », avec Catherine Deneuve, qui a d’ailleurs le même sujet qu’un film que j’ai fait après : « J’enrage de son absence ». La première fois que j’ai rencontré Gaël c’était à la projection du film « Après lui » est c’est là que j’ai appris qu’il écrivait pour moi. Il y a plein de petites connections qui font qu’on était amené à se rencontrer et c’est évident qu’on finirait par travailler ensemble.
Véronique : Vous filmographie est impressionnante. Comment faites-vous vos choix de personnages ou de films ?
Sandrine Bonnaire : Ça dépend. Ça peut être lié à un metteur en scène ou à une histoire. C’est souvent le cas d’ailleurs : s’il y a un beau scénario et qu’il y a un rôle intéressant, je suis. C’est très simple en fait, il faut que ça me parle. Après, il y a des metteurs en scène qui ont des scénarios un peu plus faibles mais qui m’expliquent ce qu’ils veulent faire et ça me donne du coup l’envie d’y aller aussi. Il y a plein de manière de choisir de faire un film, je ne sais pas s’il y a une recette toute faite.
Véronique : Si on se tourne vers les rives du passé, on se doit d’évoquer Maurice Pialat, un cinéaste qui a marqué vos débuts en tant qu’actrice. Commencer votre carrière avec un tel monstre sacré, ça ne devait pas être simple, surtout quand on connaît ses méthodes de tournage…
Sandrine Bonnaire : C’est vrai que tourner avec Maurice Pialat, c’était très particulier mais heureusement, ça, je ne le savais pas à l’époque (Rires). Quand j’ai travaillé avec lui, je pensais que c’était ainsi avec tous les cinéastes. Ça m’a sauvé car si j’avais rencontré Pialat beaucoup plus tard, j’aurais été terrifiée. Là, j’avais cette inconscience, cette naïveté. J’allais dans ce qu’il me demandait de faire, même s’il était assez dur. |
En même temps, il pouvait être tellement adorable aussi… Je n’étais pas impressionnée parce que je n’avais aucune référence : si je n’étais pas d’accord, je pouvais exprimer mes mécontentements parce que je ne savais tout simplement pas qui c’était.
Véronique : On sait d’ailleurs qui Pialat aimait réserver des surprises à ses acteurs et improvisait parfois certaines scènes. J’en veux pour exemple le film « A nos amours » où son personnage fait un retour inattendu…
Sandrine Bonnaire : Faire un film, c’est un jeu. Quand je l’ai vu arriver, je me suis dit « qu’est-ce qu’il fait là ? » Son personnage devait mourir dans le film mais il était tellement heureux de son personnage que plus il se donnait de scène, plus il était content. Je me disais « OK, il se donne une nouvelle scène »... (rires), ça ne me préoccupait pas plus que cela.
Véronique : On sait d’ailleurs qui Pialat aimait réserver des surprises à ses acteurs et improvisait parfois certaines scènes. J’en veux pour exemple le film « A nos amours » où son personnage fait un retour inattendu…
Sandrine Bonnaire : Faire un film, c’est un jeu. Quand je l’ai vu arriver, je me suis dit « qu’est-ce qu’il fait là ? » Son personnage devait mourir dans le film mais il était tellement heureux de son personnage que plus il se donnait de scène, plus il était content. Je me disais « OK, il se donne une nouvelle scène »... (rires), ça ne me préoccupait pas plus que cela.
Véronique : Et puis il y a eu Agnès Varda, qui a reçu il y a quelques jours un Oscar d’honneur et qui vous a confié un rôle incroyable dans « Sans toit ni loi », film qui vous a récompensé d’un second César. Que retenez-vous d’elle ?
Sandrine Bonnaire : Je serai toujours reconnaissante envers elle ! C’est elle qui m’a confirmé dans ce métier car grâce à ce rôle tellement fort, ça a marqué beaucoup de gens. C’était mon quatrième film et même si « A nos amours » a été plus percutant, j’aurais pu avoir moins d’assise dans le métier si elle n’avait pas été là. Je suis en quelque sorte restée crédible auprès de la profession. Véronique : Vous êtes vous-même passée derrière la caméra à trois reprises, pour deux documentaires et une fiction. Vous aviez le besoin de raconter des histoires ? |
Sandrine Bonnaire : Je ne me suis pas vraiment posée la question. La première fois que je l’ai fait, c’est parce que je voulais tenter de faire bouger les pouvoirs publics et le public sur la cause de l’autisme. J’avais besoin de dénoncer les aberrations et les maltraitances qu’on a fait subir à ma sœur et aux autistes en général. Chez nous, on n’a pas de structure pour ces personnes là et la seule alternative semblait être l’hôpital. Parce qu’on est différent, on doit vivre dans un hôpital ? Que fait-on si les parents disparaissent ? Qui va s’occuper d’eux ? J’avais beaucoup de colère en moi et je voulais dénoncer cela, faire bouger les choses. J’ai pris l’exemple de Sabine pour parler de cela de manière générale. C’était avant tout un coup de gueule politique. Et en faisant ce film, ça m’a nourri et beaucoup enrichi, ça m’a donné envie d’en faire d’autres. J’ai réalisé ensuite ma première et seule fiction pour l’instant et puis le documentaire… C’est venu naturellement et j’ai découvert que j’avais des choses à dire de manière différente, avec mon regard à moi… Le dire à travers les yeux d’un acteur c’est bien, mais c’est se soumettre à celui d’un autre...
Véronique : Ma dernière question, plus personnelle, est en rapport avec le duo que vous avez formé avec Jacques Higelin sur la chanson « duo d’anges heureux ». Que pourrais-je vous souhaiter pour que vous restiez un ange heureux ?
Sandrine Bonnaire : (Rires). Je ne sais pas… Des choses toutes simples, qui font du bien à tout le monde. Continuez à être amoureuse de la vie... et peut-être ne jamais être loin de Jacques Higelin. (Rires). |
(c) Xavier Léoty / AFP
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