Rencontre avec Joachim Lafosse
Avant-première du film « L’économie du couple », le 2 juin au Ciné Le Parc de Charleroi
Propos recueillis par Véronique
Joachim Lafosse était présent lors de l’avant-première de son dernier film « L’économie du couple », présenté à la Quinzaine des réalisateurs du Festival de Cannes 2016. Quel regard porte-t-il sur son dernier long métrage, comment a-t-il vécu le tournage. Questions/réponses :
* Mazarine Pingeot à l’écriture du scénario, c’est plutôt surprenant…
Joachim Lafosse a pris contact avec Mazarine Pingeot il y a quelques temps de cela car il était intéressé par son roman « Bon petit soldat » qu’il souhaitait porter à l’écran. Mais la fille du Président avait déjà cédé les droits et amatrice du cinéma du réalisateur belge, la jeune femme souhaitait néanmoins collaborer avec lui sur un long-métrage. D’abord partis sur une adaptation de « Britannicus » (la tragédie de Racine, ndlr) qui semblait trop bancale, ils se sont finalement tournés vers une écriture à plusieurs mains d’un scénario plus personnel. Ayant tous les deux vécus une séparation douloureuse, ils ont décidé d’aborder la difficulté de se quitter et ont mis près de deux ans pour terminer la rédaction de « L’économie du couple ». Joachim Lafosse précise qu’il a vécu les choses bien différemment de celles présentées dans son film, que l’argent n’était pas au centre des discussions mais qu’il s’est nourrit de tout ce qu’il a pu voir ou entendre. En effet, quand il a rencontré les différents producteurs de son film, chacun avait des anecdotes, des histoires vécues, rapportées et cela a enrichi le scénario déjà en place. Le réalisateur explique qu’en France, il n’est pas rare que des couples en crise cohabitent par manque de budget et qu’ils peinent à retrouver des appartements abordables tant les loyers sont élevés. On retrouve d’ailleurs quelques-unes de ces clés dans « L’économie du couple ». * Les acteurs enrichissent eux- aussi le scénario. |
Par leur interprétation, leur filiation avec leur personnage, chaque comédien se fait son idée propre de celui ou celle qu’il est amené à incarner. Aussi, lors du tournage, il n’est pas rare que chacun d’entre eux apporte des idées, des suggestions de dialogue, qu’il donne une profondeur à leur rôle. Cédric Kahn a beaucoup enrichi le personnage de Boris. Désireux de victimiser un peu plus son personnage, il a également appuyé le décalage « financier » qui existait avec Marie, apportant une petite touche marxiste au sein du couple. Joachim Lafosse avoue que les premières journées de tournage ne sont pas faciles pour les acteurs car il n’a pas toujours une idée précise sur la direction qu’il veut donner aux scènes.
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Les comédiens sont un peu laissés à eux-mêmes dans un premier temps et il est conscient de les mettre dans une zone d’inconfort. Mais à force de chercher ensemble, on trouve et l’équipe du tournage, habituée à travailler avec lui, se veut rassurante et confiante car même si c’est une façon originale de procéder, tout le monde finit par s’y retrouver.
*Un film qui parle à chacun de nous.
Pour Joachim Lafosse, c’est un beau compliment de dire que son film évoque des souvenirs chez quelques spectateurs, lui-même ayant mis une partie de son vécu dans cette aventure. Il nous explique qu’il a entamé ses études à l’IAD de Louvain-la-Neuve avec cette idée en tête : filmer la vie. En effet, dix ans avant ses études, ses parents se sont séparés et son frère jumeau et lui ont vécu cette séparation ensemble, à l’image de Margaux et Jade dans le film. Peu de temps après la rupture, son frère, sa mère et lui ont regardé « Kramer contre Kramer ». Après le film, ils ont discuté longuement et ont pu ainsi parler de leur situation personnelle sans véritablement parler d’eux… le film était un bon prétexte. Il a su après ce film que c’était ce qu’il voulait faire, que c’était ce cinéma-là qu’il réaliserait. Il espère d’ailleurs que son dernier long-métrage pourra lui aussi être un canal pour parler de soi sans se citer vraiment.
* La gémellité au centre du film.
Pour avoir vécu avec un frère jumeau, c’était important pour lui de mettre en scène un duo de jumelles face à une rupture. Pour lui, c’est « plus facile » d’aborder à deux une séparation, çà rapproche et çà aide à surmonter cette période difficile. Néanmoins, il faut savoir se séparer aussi, que chaque jumeau ait son univers et les parents doivent aider à cela. En cas de séparation des parents, celle des jumeaux se fait difficilement puisqu’il se rallie plus encore. Il est effrayé de voir que des adultes jumeaux sont toujours collés les uns aux autres car pour lui, ils ont raté leur désunion.
- L’encadrement des enfants
Un spectateur demande si Joachim Lafosse a fait appel à des psychopédagogues ou à des spécialistes de l’enfance pour encadrer les jumelles durant le tournage. En réalité, pas du tout. Le metteur en scène explique qu’il a d’abord « casté » les parents. Il a évité ceux qui voulaient que leurs enfants deviennent des stars et s’est tourné vers des parents qui lui semblaient « normaux » et lucides. Ensuite, il a choisi des enfants qui étaient capables de jouer dans le sens ludique du terme. L’avantage, selon lui, c’est que des jumeaux qui sont nés ensemble ont une plus grande propension de jouer/s’amuser ensemble et si on a une aisance dans le jeu, tourner ensemble sera plus facile. Il faut ensuite penser à créer des situations où les enfants auront envie de jouer (de faire l’acteur sans s’en rendre vraiment compte).
Au début, ils ont réalisé trente/quarante prises de la première scène pour qu’elle soit la plus correcte possible… pour au final garder la première qu’ils ont tournée. Joachim voulait que les enfants comprennent qu’on ne s’amuse pas, qu’on travaille et qu’il faut faire çà bien. Pareil le deuxième jour. Pour les enfants, pas de problème, elles rejouaient la scène sans sourciller par contre, c’était moins évident pour les comédiens qui s’imaginaient déjà tourner encore et encore les mêmes scènes durant de (trop) longs mois de tournage. Le réalisateur nous rassure, il n’en a pas été de même pour la suite et c’était bien plus facile pour tout le monde. Il nous cite l’exemple du repas se terminant par une crème glacée : « si on avait tourné cette scène dix fois, Margaux et Jade auraient eu mal au ventre (sic), on a donc tourné normalement au bout d’un certain temps »
*Un film qui parle à chacun de nous.
Pour Joachim Lafosse, c’est un beau compliment de dire que son film évoque des souvenirs chez quelques spectateurs, lui-même ayant mis une partie de son vécu dans cette aventure. Il nous explique qu’il a entamé ses études à l’IAD de Louvain-la-Neuve avec cette idée en tête : filmer la vie. En effet, dix ans avant ses études, ses parents se sont séparés et son frère jumeau et lui ont vécu cette séparation ensemble, à l’image de Margaux et Jade dans le film. Peu de temps après la rupture, son frère, sa mère et lui ont regardé « Kramer contre Kramer ». Après le film, ils ont discuté longuement et ont pu ainsi parler de leur situation personnelle sans véritablement parler d’eux… le film était un bon prétexte. Il a su après ce film que c’était ce qu’il voulait faire, que c’était ce cinéma-là qu’il réaliserait. Il espère d’ailleurs que son dernier long-métrage pourra lui aussi être un canal pour parler de soi sans se citer vraiment.
* La gémellité au centre du film.
Pour avoir vécu avec un frère jumeau, c’était important pour lui de mettre en scène un duo de jumelles face à une rupture. Pour lui, c’est « plus facile » d’aborder à deux une séparation, çà rapproche et çà aide à surmonter cette période difficile. Néanmoins, il faut savoir se séparer aussi, que chaque jumeau ait son univers et les parents doivent aider à cela. En cas de séparation des parents, celle des jumeaux se fait difficilement puisqu’il se rallie plus encore. Il est effrayé de voir que des adultes jumeaux sont toujours collés les uns aux autres car pour lui, ils ont raté leur désunion.
- L’encadrement des enfants
Un spectateur demande si Joachim Lafosse a fait appel à des psychopédagogues ou à des spécialistes de l’enfance pour encadrer les jumelles durant le tournage. En réalité, pas du tout. Le metteur en scène explique qu’il a d’abord « casté » les parents. Il a évité ceux qui voulaient que leurs enfants deviennent des stars et s’est tourné vers des parents qui lui semblaient « normaux » et lucides. Ensuite, il a choisi des enfants qui étaient capables de jouer dans le sens ludique du terme. L’avantage, selon lui, c’est que des jumeaux qui sont nés ensemble ont une plus grande propension de jouer/s’amuser ensemble et si on a une aisance dans le jeu, tourner ensemble sera plus facile. Il faut ensuite penser à créer des situations où les enfants auront envie de jouer (de faire l’acteur sans s’en rendre vraiment compte).
Au début, ils ont réalisé trente/quarante prises de la première scène pour qu’elle soit la plus correcte possible… pour au final garder la première qu’ils ont tournée. Joachim voulait que les enfants comprennent qu’on ne s’amuse pas, qu’on travaille et qu’il faut faire çà bien. Pareil le deuxième jour. Pour les enfants, pas de problème, elles rejouaient la scène sans sourciller par contre, c’était moins évident pour les comédiens qui s’imaginaient déjà tourner encore et encore les mêmes scènes durant de (trop) longs mois de tournage. Le réalisateur nous rassure, il n’en a pas été de même pour la suite et c’était bien plus facile pour tout le monde. Il nous cite l’exemple du repas se terminant par une crème glacée : « si on avait tourné cette scène dix fois, Margaux et Jade auraient eu mal au ventre (sic), on a donc tourné normalement au bout d’un certain temps »
Concernant l’encadrement des filles sur le tournage, ce sont Cédric Kahn et Bérénice Béjo qui ont dirigé les jeunes actrices. Etant donné qu’ils sont dans la scène, çà passe mieux. Si c’est quelqu’un de l’extérieur qui donne les directives, on « sort du contexte » et c’est plus compliqué de replonger dedans que là en expliquant les choses aux filles, on reste dans l’idée de la famille et on ne sort pas de l’ambiance de tournage. Amusé, Joachim Lafosse nous raconte qu’il a croisé la maman des jumelles hier encore et elle lui a confié que « les filles ont peur de toi », ce à quoi il répond, en professionnel : « tant mieux ». |
* Avec « L’économie du couple », on aborde la mixité sociale et économique. Compliqué de vivre en couple avec de telles différences ?
« Economie » vient du grec et à plusieurs sens. Parmi ceux-là, il y a la « gestion de la maison ». C’est çà aussi que le film met en avant, et pas seulement l’économie dans le sens « financier ». Le personnage de Boris a moins d’argent que Marie, il en parle, l’évoque régulièrement, c’est vrai. Mais ce n’est qu’un des symptômes de la séparation. Il y a 30 ans de cela, ce n’était pas courant de voir une femme gagner plus que son mari mais l’émancipation de la femme a permis çà, c’est comme çà. Durant le film, on constate une différence sociale. Est-ce que çà peut marcher ? Bien sûr puisque çà a marché auparavant… Marie reconnaît d’ailleurs l’avoir aimé. La mixité a marché pendant 15 ans après, c’est le couple qui ne fonctionne plus. Lui n’assume pas ses promesses (ou ne les tient pas) et elle le lui rappelle de temps en temps d’ailleurs. Le couple ne s’aime plus, pour différentes raisons, il faut transformer l’amour en amitié, c’est çà qui est compliqué. C’est faisable mais çà demande de nombreux efforts. « J’ai été interpellé par un psychologue lors d’une projection. Il avait appris que mon film serait traduit en anglais sous le titre « after love » et il n’était pas d’accord avec çà. Pour lui, ce n’est pas l’après amour… c’est toujours de l’amour mais de l’amour différent, de l’amour tendresse »
* Quels projets pour la suite ?
Le film sera distribué à l’étranger, en Amérique du Sud et au Moyen-Orient notamment. Il travaille actuellement sur une « bonne grosse tragédie car finalement, c’est ma marque de fabrique ».
« Economie » vient du grec et à plusieurs sens. Parmi ceux-là, il y a la « gestion de la maison ». C’est çà aussi que le film met en avant, et pas seulement l’économie dans le sens « financier ». Le personnage de Boris a moins d’argent que Marie, il en parle, l’évoque régulièrement, c’est vrai. Mais ce n’est qu’un des symptômes de la séparation. Il y a 30 ans de cela, ce n’était pas courant de voir une femme gagner plus que son mari mais l’émancipation de la femme a permis çà, c’est comme çà. Durant le film, on constate une différence sociale. Est-ce que çà peut marcher ? Bien sûr puisque çà a marché auparavant… Marie reconnaît d’ailleurs l’avoir aimé. La mixité a marché pendant 15 ans après, c’est le couple qui ne fonctionne plus. Lui n’assume pas ses promesses (ou ne les tient pas) et elle le lui rappelle de temps en temps d’ailleurs. Le couple ne s’aime plus, pour différentes raisons, il faut transformer l’amour en amitié, c’est çà qui est compliqué. C’est faisable mais çà demande de nombreux efforts. « J’ai été interpellé par un psychologue lors d’une projection. Il avait appris que mon film serait traduit en anglais sous le titre « after love » et il n’était pas d’accord avec çà. Pour lui, ce n’est pas l’après amour… c’est toujours de l’amour mais de l’amour différent, de l’amour tendresse »
* Quels projets pour la suite ?
Le film sera distribué à l’étranger, en Amérique du Sud et au Moyen-Orient notamment. Il travaille actuellement sur une « bonne grosse tragédie car finalement, c’est ma marque de fabrique ».
L'interview éclair d'Ecran et toile.
Après la projection, nous sommes allés à la rencontre de Joachim Lafosse pour lui donner nos impressions et lui poser quelques questions:
- Véronique: « Vous faites le choix de proposer un cinéma de la vie, un cinéma authentique. Ce n’est pas trop risqué de filmer la dure réalité de la vie, pas plus facile de l’édulcorer ? »
Personnellement, je trouve plus difficile de ne pas la filmer telle qu’elle est. C’est plus risqué de la rendre « optimiste » puisqu’elle sera moins réelle. Disney a beaucoup de travail que moi car çà ne doit pas être évident de l’enjoliver sans que cela ne s’écarte trop de la réalité…
- François: « Bérénice Béjo a confié avoir eu beaucoup de mal par rapport à son rôle qui n’était pas facile à jouer »…
C’est vrai que ce n’est pas facile d’interpréter un tel personnage car il faut aller chercher au fond de soi, c’est un exercice total et je comprends que ce ne soit pas évident, même pour de tels acteurs.
- Véronique: « On a parfois l’impression que pour être reconnu en Belgique, il faut être passé par la case « succès en France ». Ressentez-vous cela de votre côté ?
On le ressent oui, surtout en tant que réalisateur. Même si on est bien distribué en Belgique, on a parfois l’impression que c’est plus facile si le succès a été assuré ailleurs. Mais on rencontre notre public par des avant-premières et celle-ci était particulière car pour une fois, je vois des visages moins fermés. Il faut dire que le film est moins dur qu’ « A perdre la raison ». Je devrais peut-être faire plus de film de l’acabit de « L’économie du couple ».
Au terme de notre rencontre, nous avons demandé à Joachim de dédicacer l’affiche de son film. « C’est comique, c’est la première fois que je signe pour un couple... et l’ironie du sort, c’est que ce soit sur cette affiche là. J’espère que çà ne sera pas un mauvais présage (sic) »
- Véronique: « Vous faites le choix de proposer un cinéma de la vie, un cinéma authentique. Ce n’est pas trop risqué de filmer la dure réalité de la vie, pas plus facile de l’édulcorer ? »
Personnellement, je trouve plus difficile de ne pas la filmer telle qu’elle est. C’est plus risqué de la rendre « optimiste » puisqu’elle sera moins réelle. Disney a beaucoup de travail que moi car çà ne doit pas être évident de l’enjoliver sans que cela ne s’écarte trop de la réalité…
- François: « Bérénice Béjo a confié avoir eu beaucoup de mal par rapport à son rôle qui n’était pas facile à jouer »…
C’est vrai que ce n’est pas facile d’interpréter un tel personnage car il faut aller chercher au fond de soi, c’est un exercice total et je comprends que ce ne soit pas évident, même pour de tels acteurs.
- Véronique: « On a parfois l’impression que pour être reconnu en Belgique, il faut être passé par la case « succès en France ». Ressentez-vous cela de votre côté ?
On le ressent oui, surtout en tant que réalisateur. Même si on est bien distribué en Belgique, on a parfois l’impression que c’est plus facile si le succès a été assuré ailleurs. Mais on rencontre notre public par des avant-premières et celle-ci était particulière car pour une fois, je vois des visages moins fermés. Il faut dire que le film est moins dur qu’ « A perdre la raison ». Je devrais peut-être faire plus de film de l’acabit de « L’économie du couple ».
Au terme de notre rencontre, nous avons demandé à Joachim de dédicacer l’affiche de son film. « C’est comique, c’est la première fois que je signe pour un couple... et l’ironie du sort, c’est que ce soit sur cette affiche là. J’espère que çà ne sera pas un mauvais présage (sic) »