Interview de Jacques Gamblin
Dans le cadre de l'avant-première de "L'incroyable histoire du facteur Cheval"
18 avril 2019
Dans le cadre de l'avant-première de "L'incroyable histoire du facteur Cheval"
18 avril 2019
On ne présente plus Jacques Gamblin, l’un des grands acteurs français de notre temps. A l’affiche du film « L’incroyable histoire du Facteur Cheval », le comédien nous a accordé un peu de son temps pour évoquer son rôle, ses passions, son travail mais aussi ses aspirations. Une rencontre pudique autour d’un rôle qui lui colle à la peau de la plus belle des façons.
Véronique : Dans « L’incroyable histoire du Facteur Cheval », vous incarnez un personnage muet, très en retenue dans ses émotions et dans ses expressions. Comment vous êtes-vous préparé à ce rôle?
Jacques Gamblin : Dans un premier temps, c’est en lisant le scénario que j’ai compris que le personnage de Joseph ne parlait pas beaucoup, qu’il était très retenu. Ensuite, c’est en voyant ce qu’était sa vie et en prenant conscience de ses nombreuses heures de marche en solitaire et les autres à travailler sur cette œuvre que cela s’est ancré. On déduit qu’il ne devait pas parler beaucoup mais on ne le connait pas bien. Il semble qu’il parlait tout seul mais on n’en a aucune certitude. Quand on lit un scénario qu'on l'accepte c’est parce qu’on trouve le personnage très beau, qu’on a envie de le jouer sans trop savoir pourquoi. A ce moment-là, on est encore très en surface. J’ai senti que je voulais le faire, j’étais touché et j’étais séduit par son mystère, parce qu’il a accompli cette œuvre... Et puis des questions me viennent et elles sont excitantes alors que je ne suis pas encore dans le personnage. |
Peu à peu, avec la préparation et les essais de costume j’ai compris que j’étais à la bonne place au bon moment et ça m’a suffi. Il y a eu une intériorisation. Quand je lis une pièce ou un scénario, ça appuie sur un bouton de l'émotion et je sais alors que je suis au bon endroit.
Quant à son silence, je l’aimais beaucoup et je prenais de plus en plus de plaisir à enlever des phrases du scénario. Je crois que j’aurais pu jouer le personnage dans le silence total. Après, vient le moment du tournage et on s’accapare le personnage jour après jour. La préparation se fait sans le savoir... Je ne parle pas de la préparation technique à la manipulation de la pierre, de la chaux, de la truelle, ni du vieillissement, du maquillage. De cela, je pourrais en parler de façon très anecdotique comme on dit j’ai pris ou perdu X kilos pour le rôle, je me suis coupé les cheveux, ... c’est intéressant mais ce n’est rien par rapport à ce qui se passe à l’intérieur. J’ai découvert que ce personnage me vrillait , qu’il entrait en moi dans ce silence un peu plus chaque jour.
Ce personnage du Facteur Cheval vous a permis de faire un voyage intérieur?
Jacques Gamblin : Oui, C’est devenu un voyage intérieur parce qu’il y avait des scènes tellement fortes, tellement denses à jouer que ça m’a donné une émotion importante. Lorsqu’on répétait, je ne pouvais pas utiliser cette émotion telle quelle mais quelques minutes après, lors du tournage. Ça me servait de matériel et je me laissais aller à mon émotion. J’espérais que cela se verrait et que ces émotions intériorisées montreraient que le personnage n’est pas insensible mais juste incapable de les exprimer... Il n’a pas appris à parler, à les livrer ni à étreindre qui que ce soit, on ne lui a pas appris à dire "Je t’aime".
Quant à son silence, je l’aimais beaucoup et je prenais de plus en plus de plaisir à enlever des phrases du scénario. Je crois que j’aurais pu jouer le personnage dans le silence total. Après, vient le moment du tournage et on s’accapare le personnage jour après jour. La préparation se fait sans le savoir... Je ne parle pas de la préparation technique à la manipulation de la pierre, de la chaux, de la truelle, ni du vieillissement, du maquillage. De cela, je pourrais en parler de façon très anecdotique comme on dit j’ai pris ou perdu X kilos pour le rôle, je me suis coupé les cheveux, ... c’est intéressant mais ce n’est rien par rapport à ce qui se passe à l’intérieur. J’ai découvert que ce personnage me vrillait , qu’il entrait en moi dans ce silence un peu plus chaque jour.
Ce personnage du Facteur Cheval vous a permis de faire un voyage intérieur?
Jacques Gamblin : Oui, C’est devenu un voyage intérieur parce qu’il y avait des scènes tellement fortes, tellement denses à jouer que ça m’a donné une émotion importante. Lorsqu’on répétait, je ne pouvais pas utiliser cette émotion telle quelle mais quelques minutes après, lors du tournage. Ça me servait de matériel et je me laissais aller à mon émotion. J’espérais que cela se verrait et que ces émotions intériorisées montreraient que le personnage n’est pas insensible mais juste incapable de les exprimer... Il n’a pas appris à parler, à les livrer ni à étreindre qui que ce soit, on ne lui a pas appris à dire "Je t’aime".
Il y a plein de gens comme lui qui expriment les choses autrement que par les mots ou que par les larmes. C’était donc un voyage intérieur fort mais avec tous les risques que ça ne se voit pas, que ce soit linéaire. Les scènes d’humeur sont rares, les scènes où il s’extraverti aussi et plus que la marche ou le transport de pierres, ça crée un investissement dans la retenue. La retenue est sportive. On dit d’ailleurs que « l’acteur est un athlète de l’émotion » ou en tout cas, un athlète affectif. J’ai ressenti cela dans les scènes impossibles, où on ne sait pas si on doit exploser de douleur ou au contraire tout retenir car on ne sait quoi dire quoi faire devant la tragédie. Le film est beau dans ce qu’il raconte d’une vie et dans le désir de mettre en route son amour et de l’exprimer quelque part.
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Est-ce que le tournage au Palais Idéal a été important dans le processus de construction ?
Jacques Gamblin : Ce qui est beau et ce qui porte, c’est la gratuité du geste. Ce palais est un cadeau à sa fille. C’est la performance de cet homme et sa ténacité qui importent. Si je visite ce palais et que je ne sais pas que le mec a mis 33 ans pour faire ça, ce n’est pas pareil. Ce qui fascine c’est le fait qu’il l’a fait toute sa vie, que ça n’a pas dû être facile. On ne sait pas où il a été chercher tout cela musculairement et mentalement, on peut même penser que c’est un surhomme. Ce qui m’intéresse dans l’œuvre, c’est ce que ça raconte de l’homme. Il n’y a quasiment pas d’espace vide, il y a des petites pierres partout, des ribambelles, des sculptures, des colonnes et on peut imaginer qu’il y a une peur du vide chez cet homme pour qu’il veuille remplir le moindre petit espace. Il y a une accumulation dans son œuvre, un règne de la fantaisie…Moi qui aime les listes et les obsessions, ça me parle (rires).
Sans ce métier de comédien, vous seriez-vous rapproché de ce personnage ?
Jacques Gamblin : Je n'aurais peut-être pas touché à l’art si je n’avais pas été comédien. J’ai une certaine sensibilité et mon métier m’a permis de la cueillir et de l’exprimer. Si j’avais fait un métier plus manuel ou si j’avais été menuisier, je ne sais pas si je me serais senti proche de ce facteur Cheval. Je n’aurais sans doute pas écrit de spectacles, je n’aurais pas découvert l’écriture… Ce sont les personnages et les pièces qui m’ont fait découvrir le bonheur d’écrire et ça fait entièrement partie de ma vie maintenant. Quand on a une sensibilité, elle s’exprime à un endroit et l’art et ce métier m’ont permis d'exploiter cette sensibilité, de trouver un terrain de jeu pour les émotions et les explorer.
Tout comme le Facteur Cheval, vous avez un violon d’Ingres : l’écriture de spectacle de jazz avec Laurent De Wilde. Vous saviez qu’un morceau avait été écrit en l’honneur du facteur Cheval ?
Jacques Gamblin : Ah non, dites moi qui l’a écrit…
C’est Edouard Bineau qui l’a composé au piano et qui s’est fait accompagner par un clarinettiste. Le morceau s’appelle « L’obsessioniste, hommage au palais idéal du facteur Cheval ».
Jacques Gamblin : Ah yes ! C’est top ça ! Le spectacle de jazz, c’est un rôle de composition aussi. Un jour, Denis Giard le directeur du festival jazz « Sous les pommiers » de Coutances m’a demandé de faire l’ouverture du festival pour ses trente ans. On s’est retrouvé avec une équipe de six musiciens, Laurent de Wilde, un DJ et mes textes en slam. J’écoute des vinyles de jazz mais je ne suis pas un grand passionné. Je dirais que mon métier me permet de me cultiver. Je suis plutôt quelqu’un qui aime le plein air, le sport et les activités physiques. Lorsque j’étais gamin, je ne lisais pas beaucoup, je n’allais pas au cinéma car j’habitais une ville de 15 000 habitants. Je suis un grand complexé même si ça se calme avec le temps (rires) mais ma culture, j’ai dû me la fabriquer. Chaque pièce m’a permis de découvrir des auteurs et ce spectacle, de m’intéresser au jazz.
Jacques Gamblin : Ce qui est beau et ce qui porte, c’est la gratuité du geste. Ce palais est un cadeau à sa fille. C’est la performance de cet homme et sa ténacité qui importent. Si je visite ce palais et que je ne sais pas que le mec a mis 33 ans pour faire ça, ce n’est pas pareil. Ce qui fascine c’est le fait qu’il l’a fait toute sa vie, que ça n’a pas dû être facile. On ne sait pas où il a été chercher tout cela musculairement et mentalement, on peut même penser que c’est un surhomme. Ce qui m’intéresse dans l’œuvre, c’est ce que ça raconte de l’homme. Il n’y a quasiment pas d’espace vide, il y a des petites pierres partout, des ribambelles, des sculptures, des colonnes et on peut imaginer qu’il y a une peur du vide chez cet homme pour qu’il veuille remplir le moindre petit espace. Il y a une accumulation dans son œuvre, un règne de la fantaisie…Moi qui aime les listes et les obsessions, ça me parle (rires).
Sans ce métier de comédien, vous seriez-vous rapproché de ce personnage ?
Jacques Gamblin : Je n'aurais peut-être pas touché à l’art si je n’avais pas été comédien. J’ai une certaine sensibilité et mon métier m’a permis de la cueillir et de l’exprimer. Si j’avais fait un métier plus manuel ou si j’avais été menuisier, je ne sais pas si je me serais senti proche de ce facteur Cheval. Je n’aurais sans doute pas écrit de spectacles, je n’aurais pas découvert l’écriture… Ce sont les personnages et les pièces qui m’ont fait découvrir le bonheur d’écrire et ça fait entièrement partie de ma vie maintenant. Quand on a une sensibilité, elle s’exprime à un endroit et l’art et ce métier m’ont permis d'exploiter cette sensibilité, de trouver un terrain de jeu pour les émotions et les explorer.
Tout comme le Facteur Cheval, vous avez un violon d’Ingres : l’écriture de spectacle de jazz avec Laurent De Wilde. Vous saviez qu’un morceau avait été écrit en l’honneur du facteur Cheval ?
Jacques Gamblin : Ah non, dites moi qui l’a écrit…
C’est Edouard Bineau qui l’a composé au piano et qui s’est fait accompagner par un clarinettiste. Le morceau s’appelle « L’obsessioniste, hommage au palais idéal du facteur Cheval ».
Jacques Gamblin : Ah yes ! C’est top ça ! Le spectacle de jazz, c’est un rôle de composition aussi. Un jour, Denis Giard le directeur du festival jazz « Sous les pommiers » de Coutances m’a demandé de faire l’ouverture du festival pour ses trente ans. On s’est retrouvé avec une équipe de six musiciens, Laurent de Wilde, un DJ et mes textes en slam. J’écoute des vinyles de jazz mais je ne suis pas un grand passionné. Je dirais que mon métier me permet de me cultiver. Je suis plutôt quelqu’un qui aime le plein air, le sport et les activités physiques. Lorsque j’étais gamin, je ne lisais pas beaucoup, je n’allais pas au cinéma car j’habitais une ville de 15 000 habitants. Je suis un grand complexé même si ça se calme avec le temps (rires) mais ma culture, j’ai dû me la fabriquer. Chaque pièce m’a permis de découvrir des auteurs et ce spectacle, de m’intéresser au jazz.
Après oui, j’aurais aimé faire de la musique, j’ai d’ailleurs essayé d’apprendre la guitare classique. Ça m’aurait plu de jouer des percussions mais j’ai arrêté trop vite et ma musique me vient de mes mots. Ce spectacle me manque parce que j’ai beaucoup aimé cela. Avec la musique, on n’est plus dans le laborieux, comme dans la danse ou le théâtre, on est dans l’abstrait, un peu comme dans la création du Palais du facteur Cheval. On se demande pourquoi le gars a fait ça, d’où il a tiré ses idées mais on sait juste qu’il l’a fait durant 33 ans. On a quelques lignes de sa main mais ça ne dit rien de plus. Ce qu’il y a de plus beau dans son travail et dans le film c’est la musique de son silence. Qu’y a t-il de plus beau que sa respiration lorsqu’il marche ? L’animalité de ce silence est belle.
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Et vous, à quoi pensez-vous quand vous marchez ?
Jacques Gamblin : Quand je marche, je pense lentement alors je cours. Et quand je cours, mes pensées s’accélèrent. Je pense à la vitesse de mon effort, de mon déplacement, du corps. Ce que j’aime dans la course, c’est que ça défile, c’est presque de la méditation. En marchant, je m’arrête trop sur les pensées et comme je trouve que je pense déjà beaucoup trop, je préfère un rythme accéléré. Courir, c’est avoir pensé déjà (rires) et comme on fabrique des endorphines, tout ce que je pense est positif. Quand le corps est en action, il me vient des solutions, ça passe et ça me traverse. Autrement, il faut faire l’amour mais si en pense en faisant l’amour, il y a un petit problème (rires)
Jacques Gamblin : Quand je marche, je pense lentement alors je cours. Et quand je cours, mes pensées s’accélèrent. Je pense à la vitesse de mon effort, de mon déplacement, du corps. Ce que j’aime dans la course, c’est que ça défile, c’est presque de la méditation. En marchant, je m’arrête trop sur les pensées et comme je trouve que je pense déjà beaucoup trop, je préfère un rythme accéléré. Courir, c’est avoir pensé déjà (rires) et comme on fabrique des endorphines, tout ce que je pense est positif. Quand le corps est en action, il me vient des solutions, ça passe et ça me traverse. Autrement, il faut faire l’amour mais si en pense en faisant l’amour, il y a un petit problème (rires)