Interview de Thomas Gunzig
Dans le cadre de l'avant première de "Mon Ange" au BIFFF
14 avril 2017
Dans le cadre de l'avant première de "Mon Ange" au BIFFF
14 avril 2017
De passage au BIFFF pour l'avant-première de "Mon ange", Thomas Gunzig a accepté de nous rencontrer pour évoquer son travail de scénariste sur le dernier film d'Harry Cleven. Entre échanges cinéphiles et évocation de son travail de l'ombre, l'écrivain belge nous dit tout:
Véronique : Thomas Gunzig, vous avez écrit le scénario de « Mon ange » en collaboration avec Harry Cleven. Comment êtes vous arrivé dans ce projet d’écriture ?
Thomas Gunzig : Avec Harry Cleven, nous avions eu un premier projet. Lorsque nous sommes arrivés au bout de l’écriture du scénario, dont on était plutôt content, nous nous sommes retrouvés dans la phase de recherche de financements et de production. Comme nous étions dans l’attente de l’argent qui nous permettrait de financer ce film s’appelant initialement « True love », nous nous sommes mis à écrire un autre scénario. On discutait beaucoup, on était dans la recherche d’une idée et j’ai eu un petit embryon d’histoire d’une femme enceinte qui, malheureusement pour elle, est en prison et veut absolument cacher cette grossesse. Elle accouche en secret et, par chance, son petit garçon est invisible. J’ai réfléchi à cette idée et j’ai imaginé que ce bébé, puis ce petit garçon, allait grandir en observant les maisons qui se trouvent en face de la prison et que dans une d’entre elles vit une petite fille et sa famille. Lui, grandissant, va tomber amoureux de cette petite fille, sortir de la prison grâce à son invisibilité, la rencontrer, etc. Ca avait l’air simple écrit comme cela mais même si tout à toujours l’air simple, on se confronte vite à mille questions, à des centaines de difficultés qui nous ont obligé à retravailler cette idée avec Harry. |
Il faut savoir qu’Harry a un réel talent et un réel plaisir à filmer des univers particuliers, poétiques et évanescents. Il n’aime pas trop filmer une voiture, une maison, la réalité pure et dure ce qui fait qu’à un moment donné, je lui ai laissé le champ libre dans l’écriture. Il a terminé le scénario de son côté sur base de ce qu’on avait commencé et ça a donné « Mon ange ».
Véronique : En tant que spectateurs, on s’est interrogé sur le fait que personne ne décèle la présence de Mon Ange, à l’exception de Madeleine et de sa maman. Pourquoi avoir fait ce choix de ne pas évoquer son existence auprès des autres intervenants ?
Thomas Gunzig : Je pense que dans une des versions antérieures du scénario, il y avait des éléments qui étaient donnés aux spectateurs sur la manière dont sa maman et lui tenaient son existence secrète, choses qui ont disparu dans cette version-ci. Je ne sais pas si c’est bien ou pas…mais effectivement Harry avait envie de se concentrer sur l’histoire d’amour. Les récits périphériques, les pourquoi, les comment, ne l’intéressaient finalement pas plus que cela.
François : C’était donc un souhait de ne pas alourdir l’intrigue et se focaliser sur l’essentiel…
Thomas Gunzig : Voilà ! Le danger dans un scénario c’est que dès qu’on ouvre une porte, dès qu’on plante quelque chose, il faut qu’on aille jusqu’au bout. Il y a donc des portes qu’il vaut mieux ne pas ouvrir par moments. La difficulté, c’est le dosage évidemment. Jusqu’où peut-on aller ou non ? Comment rester crédible ? Ici, on se posait clairement dans l’idée du conte, du rêve et tant qu’on restait de ce côté-là de la forme narrative, on pouvait se permettre de ne pas répondre à certaines questions. Si on était allé dans quelque chose de plus réaliste, on aurait été forcé, en tout cas contraint, de répondre à certaines questions, ce qu’on a évité ici.
Véronique : Avec « Mon ange », on est en effet dans un film plus poétique. On s’attarde sur la lumière, sur l’atmosphère et on fait fi du concret. C’est finalement un film fantastique dans le sens premier du terme. Les codes du conte sont respectés finalement…
Thomas Gunzig : Je sais que ça peut, ça a ou ça va déconcerter des spectateurs. On a l’habitude de nous conter des histoires où on répond à toutes les questions et on perd d’ailleurs un peu la tradition onirique du conte. On revient ici à cette tradition narrative où on peut dire qu’il existe un ogre avec des plumes vivant sur une montagne et qu’un chevalier doit aller voler une plume sans qu’on se préoccupe du pourquoi.
Véronique : C’est vrai qu’on a souvent besoin de comprendre ce qu’on a vu durant 1h30 et que l’on peut peut-être passer à côté du film si on veut trop l’intellectualiser…
Thomas Gunzig : Oui, c’est le bon vieux principe du « Il était une fois ». C’est ce qui fait que « Mon ange » est un film quasiment expérimental. On n’aurait pas pu faire ça avec un vrai budget de film. Le fait qu’on ait un tout petit budget, apporté en plus par Jaco van Dormael, nous permet de revenir à un film parfaitement libre. Nous le produisons, nous l’écrivons, nous le commandons et nous le faisons sans nous confronter à de gros studios qui vont nous imposer des formes narratives ou des vedettes. Le cinéma, c’est certainement une industrie qui répond à plein de critères mais ça peut être purement de la création.
Véronique : En tant que spectateurs, on s’est interrogé sur le fait que personne ne décèle la présence de Mon Ange, à l’exception de Madeleine et de sa maman. Pourquoi avoir fait ce choix de ne pas évoquer son existence auprès des autres intervenants ?
Thomas Gunzig : Je pense que dans une des versions antérieures du scénario, il y avait des éléments qui étaient donnés aux spectateurs sur la manière dont sa maman et lui tenaient son existence secrète, choses qui ont disparu dans cette version-ci. Je ne sais pas si c’est bien ou pas…mais effectivement Harry avait envie de se concentrer sur l’histoire d’amour. Les récits périphériques, les pourquoi, les comment, ne l’intéressaient finalement pas plus que cela.
François : C’était donc un souhait de ne pas alourdir l’intrigue et se focaliser sur l’essentiel…
Thomas Gunzig : Voilà ! Le danger dans un scénario c’est que dès qu’on ouvre une porte, dès qu’on plante quelque chose, il faut qu’on aille jusqu’au bout. Il y a donc des portes qu’il vaut mieux ne pas ouvrir par moments. La difficulté, c’est le dosage évidemment. Jusqu’où peut-on aller ou non ? Comment rester crédible ? Ici, on se posait clairement dans l’idée du conte, du rêve et tant qu’on restait de ce côté-là de la forme narrative, on pouvait se permettre de ne pas répondre à certaines questions. Si on était allé dans quelque chose de plus réaliste, on aurait été forcé, en tout cas contraint, de répondre à certaines questions, ce qu’on a évité ici.
Véronique : Avec « Mon ange », on est en effet dans un film plus poétique. On s’attarde sur la lumière, sur l’atmosphère et on fait fi du concret. C’est finalement un film fantastique dans le sens premier du terme. Les codes du conte sont respectés finalement…
Thomas Gunzig : Je sais que ça peut, ça a ou ça va déconcerter des spectateurs. On a l’habitude de nous conter des histoires où on répond à toutes les questions et on perd d’ailleurs un peu la tradition onirique du conte. On revient ici à cette tradition narrative où on peut dire qu’il existe un ogre avec des plumes vivant sur une montagne et qu’un chevalier doit aller voler une plume sans qu’on se préoccupe du pourquoi.
Véronique : C’est vrai qu’on a souvent besoin de comprendre ce qu’on a vu durant 1h30 et que l’on peut peut-être passer à côté du film si on veut trop l’intellectualiser…
Thomas Gunzig : Oui, c’est le bon vieux principe du « Il était une fois ». C’est ce qui fait que « Mon ange » est un film quasiment expérimental. On n’aurait pas pu faire ça avec un vrai budget de film. Le fait qu’on ait un tout petit budget, apporté en plus par Jaco van Dormael, nous permet de revenir à un film parfaitement libre. Nous le produisons, nous l’écrivons, nous le commandons et nous le faisons sans nous confronter à de gros studios qui vont nous imposer des formes narratives ou des vedettes. Le cinéma, c’est certainement une industrie qui répond à plein de critères mais ça peut être purement de la création.
Véronique : Vous évoquez Jaco van Dormael avec qui vous avez fait un beau travail sur « Le tout nouveau testament ». Le travail d’écriture est très différent selon les réalisateurs avec qui vous collaborez ?
Thomas Gunzig : C’est très différent parce qu’un travail d’écriture se confronte forcément toujours à des individualités singulières. Avec Jaco, je pense qu’on a écrit le scénario jusqu’au bout, complètement ensemble. Avec Harry, on a beaucoup parlé et je lui ai finalement laissé la main. Là, j’écris un autre film avec un Manu Coeman, qui vient de la pub et du clip. Pour son film, il n’a rien écrit du tout même si quelques fois, il me suggérait des idées et qu’on les rajoutait si ça fonctionnait. Pour écrire un scénario, il faut prendre en compte les caractères, les tempéraments de chacun et c’est donc différent à chaque fois. C’est comme des relations d’amitié : on n’est pas ami de la même façon avec X ou avec Y… Véronique : Et en parlant d’amitié, pour « Mon ange », on vous retrouve vous, Harry Cleven et Jaco van Dormael… on peut dire que le cinéma belge est une petite famille ou un réseau d’amitiés? |
Thomas Gunzig : C’est sans doute parce que dans le travail comme dans la vie, on aime s’entourer de gens qu’on aime bien. Travailler, ce n’est pas ce qu’il y a de plus marrant au monde mais alors si on le fait avec des gens qu’on n’apprécie pas, ça complique plus les choses. Quand on la possibilité de choisir ses collègues, ses collaborateurs avec qui on travaille, c’est merveilleux et si en plus ce sont des amis en qui on peut avoir confiance, qui sont bienveillants et qui prendront ce qu’il y a de mieux en vous et vous porter, ça vaut mieux. Donc oui, autant essayer de travailler avec ce qu’on peut appeler une famille d’amis. Jaco, Harry, Fleur sont des gens avec qui on ne doit pas toujours être le meilleur. Quand eux aussi ont des petits coups de mou on les porte à notre tour. Je ne sais pas comment le film va être reçu ici (au BIFFF, ndlr). J’y viens depuis que je suis ado et je sais combien le public peut être génial ou d’une cruauté terrifiante et je nourris quelques inquiétudes quant à l’accueil que lui feront les spectateurs mais on se retrouvera tous après le lancer de tomates (rires).
Véronique : C’était d’ailleurs un peu risqué de programmer « Mon ange » dans ce festival, non ?
Thomas Gunzig : Après, on fait partie de ce grand ensemble de films fantastiques. C’est une des déclinaisons possibles du fantastique, qui n’est pas non plus dans le même registre que « Massacre à la tronçonneuse », ou des films de zombies ou de morts-vivants que j’adore et dont je suis hyper fan. On peut avoir aussi ce fantastique là, qui est plus abusif au niveau physique ou plus poétique. On reste dans l’étrange et dans le mystérieux mais on fait autre chose…
Véronique : Justement, l’inspiration de votre écriture scénaristique, vous la puisez dans la littérature, dans le cinéma ou dans les deux ?
Thomas Gunzig : Je dirais que les deux se nourrissent et j’essaie de ne pas faire d’exclusive entre le cinéma et la littérature. C’est vraiment tellement proche : c’est plus que deux membres de la même famille, c’est presque la même matière. Il y a un support visuel qu’on a dans le cinéma et qu’on ne trouve pas dans la littérature, même si celle-ci porte aussi beaucoup d’images. Je pense que le cinéma comme la littérature sont des arts visuels, narratifs où l’important est de raconter une histoire et comme le dit si bien Peter Brook « le diable c’est l’ennui », il faut juste ne pas ennuyer les gens. Hormis cela, on peut faire ce que l’on veut.
Véronique : Vous avez écrit le scénario avec Harry Cleven. Qu’en est-il des dialogues ?
Thomas Gunzig : Ca dépend d’une histoire à l’autre mais dans ce cas-ci, j’en avais écrit pas mal, Harry est repassé derrière et en a rajouter à lui. On ne saurait plus dire maintenant qui a écrit quoi à quel moment mais il n’y a pas eu de réelle division du travail. On a eu l’idée de base, on a fait un petit synopsis d’une dizaine de pages qu’on a ensuite scénarisé.
Véronique : Vous vous rendez parfois sur le tournage du film une fois le travail d’écriture terminé ?
Thomas Gunzig : Non. Je l’ai fait une fois sur « Le tout nouveau testament » parce que je devais tourner mon apparition en cyclope et je suis venu sur le plateau d’Harry le tout premier jour de tournage pour montrer qu’il avait mon soutien mais je pense qu’il vaut mieux laisser les gens travailler, se concentrer et que si un guignol vient alors qu’il n’a rien à faire là, ça peut être énervant (rires).
Véronique : C’était d’ailleurs un peu risqué de programmer « Mon ange » dans ce festival, non ?
Thomas Gunzig : Après, on fait partie de ce grand ensemble de films fantastiques. C’est une des déclinaisons possibles du fantastique, qui n’est pas non plus dans le même registre que « Massacre à la tronçonneuse », ou des films de zombies ou de morts-vivants que j’adore et dont je suis hyper fan. On peut avoir aussi ce fantastique là, qui est plus abusif au niveau physique ou plus poétique. On reste dans l’étrange et dans le mystérieux mais on fait autre chose…
Véronique : Justement, l’inspiration de votre écriture scénaristique, vous la puisez dans la littérature, dans le cinéma ou dans les deux ?
Thomas Gunzig : Je dirais que les deux se nourrissent et j’essaie de ne pas faire d’exclusive entre le cinéma et la littérature. C’est vraiment tellement proche : c’est plus que deux membres de la même famille, c’est presque la même matière. Il y a un support visuel qu’on a dans le cinéma et qu’on ne trouve pas dans la littérature, même si celle-ci porte aussi beaucoup d’images. Je pense que le cinéma comme la littérature sont des arts visuels, narratifs où l’important est de raconter une histoire et comme le dit si bien Peter Brook « le diable c’est l’ennui », il faut juste ne pas ennuyer les gens. Hormis cela, on peut faire ce que l’on veut.
Véronique : Vous avez écrit le scénario avec Harry Cleven. Qu’en est-il des dialogues ?
Thomas Gunzig : Ca dépend d’une histoire à l’autre mais dans ce cas-ci, j’en avais écrit pas mal, Harry est repassé derrière et en a rajouter à lui. On ne saurait plus dire maintenant qui a écrit quoi à quel moment mais il n’y a pas eu de réelle division du travail. On a eu l’idée de base, on a fait un petit synopsis d’une dizaine de pages qu’on a ensuite scénarisé.
Véronique : Vous vous rendez parfois sur le tournage du film une fois le travail d’écriture terminé ?
Thomas Gunzig : Non. Je l’ai fait une fois sur « Le tout nouveau testament » parce que je devais tourner mon apparition en cyclope et je suis venu sur le plateau d’Harry le tout premier jour de tournage pour montrer qu’il avait mon soutien mais je pense qu’il vaut mieux laisser les gens travailler, se concentrer et que si un guignol vient alors qu’il n’a rien à faire là, ça peut être énervant (rires).
Véronique : Vous l’avez évoqué tout à l’heure avec « Massacre à la tronçonneuse » mais quel cinéphile êtes-vous ?
Thomas Gunzig : J’aime tout en fait. J’aime le gros cinéma industriel, je peux adorer « Transformers », et « Star Trek » et je peux aimer un cinéma d’auteur suédois. Si c’est bien, si c’est fait avec talent, si c’est pas ennuyeux, je peux tout aimer je crois. Par contre, je n’aime pas le cinéma prétentieux, arrogant. Si l’histoire est bien contée, si elle bien amenée, je peux tout regarder. Ca peut aller de « La maman et la putain » de Jean Eustache à « Star Trek ». Véronique : Il y en a un en particulier qui vous a marqué ces derniers temps ? Thomas Gunzig : En science fiction, j’ai bien aimé le dernier Villeneuve (« Premier contact », ndlr) : c’était intelligent avec un beau twist. Ils ont beaucoup réfléchi le design des créatures, leur moyen de communication… je suis assez fan de cette science fiction intelligente. |
Il y a un petit film fantastique qui était sorti il y a un an ou deux qui s’appelait « It follows », et qui m’a beaucoup marqué dans la nouvelle façon de filmer. Et hier, j’en ai commencé un mais je ne l’ai pas encore fini : il est sur Netflix et c’est vachement bien. Il a un nom interminable, c’est « I don’t feel at home in this world anymore ». Je vous le conseille, même si je n’ai vu que la première demi-heure... c’est très drôle et vraiment, vraiment bien.
Véronique : Vous êtes papa et vous avez déjà écrit pour les plus petits. Avez-vous déjà eu l’envie de travailler dans le cinéma pour enfants ?
Thomas Gunzig : C’est marrant que tu m’en parles parce que j’ai des enfants de 16 à 5 ans et je constate qu’on a beaucoup de films que les adultes aiment montrer à leurs enfants mais qu’eux, ne voient pas du tout les choses comme nous. Si je devais faire un film pour les enfants, je voudrais faire un film qui les fasse marrer du début à la fin. Arriver à faire rire des petits de 5 à 7 ans, ce n’est pas facile. Il y a des films funs, des films avec des chasseur de dragons, les Pixar tout ça mais des films marrants, y’en a pas des masses. Y’a des super design de personnages, regarde « Tous en scène » : les animaux sont géniaux, l’histoire est bien, les musiques aussi mais ils ne captent pas toute la complexité…
Véronique : Vous êtes papa et vous avez déjà écrit pour les plus petits. Avez-vous déjà eu l’envie de travailler dans le cinéma pour enfants ?
Thomas Gunzig : C’est marrant que tu m’en parles parce que j’ai des enfants de 16 à 5 ans et je constate qu’on a beaucoup de films que les adultes aiment montrer à leurs enfants mais qu’eux, ne voient pas du tout les choses comme nous. Si je devais faire un film pour les enfants, je voudrais faire un film qui les fasse marrer du début à la fin. Arriver à faire rire des petits de 5 à 7 ans, ce n’est pas facile. Il y a des films funs, des films avec des chasseur de dragons, les Pixar tout ça mais des films marrants, y’en a pas des masses. Y’a des super design de personnages, regarde « Tous en scène » : les animaux sont géniaux, l’histoire est bien, les musiques aussi mais ils ne captent pas toute la complexité…