Interview de François Troukens
Dans le cadre de la sortie du film "Tueurs"
29 novembre 2017
Dans le cadre de la sortie du film "Tueurs"
29 novembre 2017
Au lendemain de l’avant-première carolo de « Tueurs » (qui a eu lieu au cinéma Pathé en novembre dernier), François Troukens nous a consacré près d’une heure de son temps pour que l’on évoque avec lui son premier film, ses projets, ses joies, ses influences et les étapes qui l’ont amené à concrétiser son rêve. On se fait le plaisir de partager avec vous, ce dialogue instructif avec un repenti qui sourit chaque jour à la vie.
Véronique : « Tueurs » est votre premier long-métrage, mais pas votre première expérience dans le monde du cinéma. Vous avez pourtant co-réalisé ce long avec Jean-François Hensgens. Vous pensiez ne pas avoir les épaules assez larges pour le porter seul ou c’était une évidence que cette collaboration aurait lieu ?
Véronique : « Tueurs » est votre premier long-métrage, mais pas votre première expérience dans le monde du cinéma. Vous avez pourtant co-réalisé ce long avec Jean-François Hensgens. Vous pensiez ne pas avoir les épaules assez larges pour le porter seul ou c’était une évidence que cette collaboration aurait lieu ?
François Troukens : A la base, l’idée est venue lorsque j’ai rencontré mon producteur Olivier Bronkart. Il avait aimé le traitement mais ne savait pas qui j’étais. D’emblée, je lui ai expliqué mon parcours et ça l’a interpellé parce que j’avais quelque chose de plus. Il m’a demandé quelle était mon expérience en cinéma et je lui ai répondu que je n’en avais aucune. A part avoir suivi des cours à l’école « Agnès Varda », qui est une école de cinéma et de photographie, ou avoir participé à des stages de réalisation avec différents cinéastes venus dans les prisons, je n’en avais aucune. Mon expérience résidait plutôt dans l’énergie et dans l’envie de faire un film, surtout que je voulais à la fois écrire le scénario mais aussi le réaliser. Olivier n’a émis aucune réserve sur l’écriture, puisqu’il savait que je le faisais déjà, mais par contre il fallait avoir une vraie approche du traitement du film et ne pas faire un long-métrage de deux heures et demi avec mes deux cents pages de texte. Commercialement, le film avait tout intérêt à ne faire qu’une heure et demie… Sachant cela, je lui ai clairement dit que j’étais prêt à co-réaliser avec un chef opérateur pour encadrer et recentrer toutes les idées. Olivier connaissait Jean-François Hensgens avec qui il avait déjà travaillé. Ils avaient déjà collaboré sur d’autres films où Jean-François géraient les aspects plus techniques. C’était d’ailleurs déjà le cas pour un film de Joachim Lafosse et le duo avait bien fonctionné.
A refaire, je pense que j’aurais réalisé « Tueurs » seul car ce n’est pas évident de co-réaliser un film.On ne savait plus très bien qui réalisait, qui était le chef opérateur, quelle |
était la place de chacun… C’est comme avoir deux architectes dans la conception d’une maison : on a un même projet mais deux visions différentes. Ceci étant dit, c’était une belle expérience car on a pu mettre toute notre énergie et toute notre expérience dans le film. Le projet est là et j’en suis très content. Cette co-réalisation était sans doute plus rassurante pour tout le monde d’autant plus qu’on a fait beaucoup de choses inédites en Belgique. Personne n’avait jamais réalisé une scène de camion tombant d’un pont. Pour de telles prises, il fallait que le travail d’équipe soit total : on avait besoin d’un bon cascadeur, d’un bon conducteur, d’une bonne gestion des caméras… Même si Jean-François ne l’avait jamais fait non plus, on était sans doute plus à même d’y arriver si on était bien encadré.
A côté de cela, j’avais déjà travaillé avec Versus Productions sur d’autres projets. Pendant deux ans, j’ai pu me rendre sur des tournages en Belgique ou ailleurs et j’observais la façon dont travaillait le réalisateur, ça m’a beaucoup enrichi.
A côté de cela, j’avais déjà travaillé avec Versus Productions sur d’autres projets. Pendant deux ans, j’ai pu me rendre sur des tournages en Belgique ou ailleurs et j’observais la façon dont travaillait le réalisateur, ça m’a beaucoup enrichi.
Véronique : Vous aviez d’ailleurs déjà réalisé des courts métrages et notamment « Caïds ». De l’expérience, vous en aviez déjà…
François Troukens : Oui et non. J’ai signé pour le long-métrage avant de faire « Caïds ». Je suis retourné sept mois en prison car on m’a reproché d’avoir eu des contacts avec Joey Starr, à qui j’avais en effet proposé un rôle. Par chance, Versus ne m’a pas lâché et j’ai eu énormément de soutien pour me sortir de cette situation scandaleuse. Ce temps m’a permis de réécrire le scénario en prison mais aussi d’écrire « Caïds ». Quand je suis sorti, j’ai proposé à Jacques-Henri (Bronkart, producteur, ndlr) de réaliser tout de suite ce film, ce qu’il a accepté. Jean-François Hensgens était déjà sur ce projet là mais n’y était que chef opérateur. Je suis déjà en train d’écrire mon prochain film produit par Versus mais là, je serai le seul réalisateur.
Jean-François a finalement le même constat que moi : c’est qu’il est difficile de co-réaliser un film quand on est pas des frères comme les Cohen ou les Dardenne où chacun à son rôle bien défini. On ne l’a découvert qu’en travaillant mais si c’était à refaire, on ferait sans doute différemment. |
Véronique : Puisque vous évoquez des frères célèbres, je ne peux passer à côte des frères Safdie qui ont réalisé le très bon « Good time » où la photographie de la ville et le son avaient, tout comme dans « Tueurs », une importance capitale…
François Troukens : Oui oui je l’ai vu ! J’ai vraiment aimé le film ! Je pense que quand on réalise avec son frère, il y a dès le départ une écriture commune. De mon côté, j’avais écrit le scénario seul, j’avais déjà repéré des lieux qui intervenaient dans mon récit et je les avais bien en tête. On a d’ailleurs tourné dans la plupart d’entre eux, sauf quand nous n’avons pas reçu les autorisations. Pour illustrer cela, je dirais que c’est comme si je vous donnais un livre à lire : vous allez imaginer des tas de choses, vous représenter les lieux et vous aurez une vision très différente de la mienne. Dans mon cas, c’était parfois difficile de partager mes idées avec Jean-François alors que sur «Caïds », il suffisait que je dise ce que je voulais pour que ça se mette en place. Quand on co-réalise, il faut trouver un compromis. « Tueurs » est vraiment une belle expérience car techniquement, j’ai appris beaucoup de choses et je n’ai qu’une seule envie… y retourner ! (Rires)
Véronique : Le projet de « Tueurs » date de 2012. Le temps qui a été mis à votre disposition malgré vous vous a permis d’affiner le scénario, de le retravailler ?
François Troukens : J’ai surtout dû affiner mon projet à cause des moyens qui ont été mis à disposition. On l’a présenté à de nombreuses commissions et on avait un certain nombre d’heures de tournage de disponible, ce qui fait que le scénario devait répondre à toutes ces exigences pécuniaires et temporelles. En tant que réalisateur, on est toujours frustré de devoir mettre un halte-là dans certaines idées… Je pense notamment à Iñarritu qui avait à sa disposition 120 millions de dollars alors que pour faire le film dont il rêvait, il avait besoin de 40 de plus. A un moment donné, il faut savoir s’arrêter et réfléchir à comment raconter notre histoire sur base du budget qu’on nous a accordé. J’ai fait un gros travail de post-production, notamment sur le son, je ne sais pas si vous l’avez perçu ?
François Troukens : Oui oui je l’ai vu ! J’ai vraiment aimé le film ! Je pense que quand on réalise avec son frère, il y a dès le départ une écriture commune. De mon côté, j’avais écrit le scénario seul, j’avais déjà repéré des lieux qui intervenaient dans mon récit et je les avais bien en tête. On a d’ailleurs tourné dans la plupart d’entre eux, sauf quand nous n’avons pas reçu les autorisations. Pour illustrer cela, je dirais que c’est comme si je vous donnais un livre à lire : vous allez imaginer des tas de choses, vous représenter les lieux et vous aurez une vision très différente de la mienne. Dans mon cas, c’était parfois difficile de partager mes idées avec Jean-François alors que sur «Caïds », il suffisait que je dise ce que je voulais pour que ça se mette en place. Quand on co-réalise, il faut trouver un compromis. « Tueurs » est vraiment une belle expérience car techniquement, j’ai appris beaucoup de choses et je n’ai qu’une seule envie… y retourner ! (Rires)
Véronique : Le projet de « Tueurs » date de 2012. Le temps qui a été mis à votre disposition malgré vous vous a permis d’affiner le scénario, de le retravailler ?
François Troukens : J’ai surtout dû affiner mon projet à cause des moyens qui ont été mis à disposition. On l’a présenté à de nombreuses commissions et on avait un certain nombre d’heures de tournage de disponible, ce qui fait que le scénario devait répondre à toutes ces exigences pécuniaires et temporelles. En tant que réalisateur, on est toujours frustré de devoir mettre un halte-là dans certaines idées… Je pense notamment à Iñarritu qui avait à sa disposition 120 millions de dollars alors que pour faire le film dont il rêvait, il avait besoin de 40 de plus. A un moment donné, il faut savoir s’arrêter et réfléchir à comment raconter notre histoire sur base du budget qu’on nous a accordé. J’ai fait un gros travail de post-production, notamment sur le son, je ne sais pas si vous l’avez perçu ?
Véronique : Oui, que ce soit sur la bande originale ou sur le son à proprement parler. On a d’ailleurs sursauté quelque fois dans notre fauteuil, notamment lors de la scène du parking où résonnent les coups de fusil à pompe…
François Troukens : C’est très important pour moi ! D’ailleurs, quand Jean-François est parti comme chef opérateur sur un autre film, je me suis attelé à la post production et j’ai mis un soin particulier à ce que le son soit aussi très travaillé. Je suis très patient et je peux y passer des heures. Il faut aimer cela et pour moi, le son a autant d’importance que l’image. Avec ma monteuse son, on a travaillé chaque jour pour que le moindre bruit vienne faire la différence. J’avais lu que Michael Mann faisait cela aussi. Ce qui m’a fait énormément plaisir, c’est que lors de la présentation du film à la Mostra, le Président du festival m’a accueilli en me disant « J’ai adoré votre film et le son proche de celui de Michael Mann ». C’était un énorme compliment d’autant que c’est une vraie référence pour moi, même si je n’ai bien évidemment pas les moyens de faire un « Heat » (Rires).
François Troukens : C’est très important pour moi ! D’ailleurs, quand Jean-François est parti comme chef opérateur sur un autre film, je me suis attelé à la post production et j’ai mis un soin particulier à ce que le son soit aussi très travaillé. Je suis très patient et je peux y passer des heures. Il faut aimer cela et pour moi, le son a autant d’importance que l’image. Avec ma monteuse son, on a travaillé chaque jour pour que le moindre bruit vienne faire la différence. J’avais lu que Michael Mann faisait cela aussi. Ce qui m’a fait énormément plaisir, c’est que lors de la présentation du film à la Mostra, le Président du festival m’a accueilli en me disant « J’ai adoré votre film et le son proche de celui de Michael Mann ». C’était un énorme compliment d’autant que c’est une vraie référence pour moi, même si je n’ai bien évidemment pas les moyens de faire un « Heat » (Rires).
Tous les petits détails ont une importance dans mon cinéma. Je veux que les comédiens aient des armes bien distinctes, qu’ils les sentent, qu’ils se les approprient… Certains dormaient même avec (rires). Je voulais qu’elles soient réelles, parce que ce n’est pas pareil de jouer avec des armes factices qui pèsent 300 grammes et des authentiques qui pèsent 2 kilos. On ne tient pas l’arme de la même façon, et puisque ça demande un vrai apprentissage, ça se voit vraiment à l’image. Olivier (Gourmet, ndlr) et tous les membres du gang ont reçu une formation. Ils ont appris à monter et démonter une arme. C’est pareil pour le personnage de Nora, joué par Bérénice (Baoo, ndlr), il fallait qu’elle pilote vraiment les voitures et c’est ce qui fait la différence aussi. Elle est belle c’est vrai, mais ce n’est pas une pin up : elle est vraiment dans l’action et elle ne démérite pas par rapport aux hommes de la bande. Pour moi, le personnage principal c’est celui de Lubna (Azabal, ndlr). Elle tient la place du spectateur, elle cherche, elle est en lien avec tous les autres personnages. C’est elle qui fait avancer l’histoire.
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Véronique : Puisque vous venez d’évoquer une partie du casting, je voulais vous demander si, quand vous écriviez le scénario, vous pensiez déjà aux comédiens qui pourraient y participer ?
François Troukens : Oui mais j’ai fait l’erreur d’écrire le scénario en pensant à ceux qui pourraient jouer dans mon film. Le plus difficile c’était alors de trouver un comédien capable de reprendre le rôle si l’un d’entre eux n’était pas disponible pour le tournage. Pour Bouli Lanners, ça a été assez facile puisque nous étions déjà amis et qu’il m’avait déjà donné un accord verbal. Pour les autres acteurs, on s’est rendu compte que c’était compliqué de réunir tout le monde à une date bien définie. Lucie Debay, par exemple, avait très envie d’en faire partie mais n’a pas pu rejoindre l’équipe parce qu’elle est tombée enceinte. Olivier Gourmet est venu un peu plus tard et j’ai d’ailleurs réadapté le scénario parce que le personnage était plus jeune. On a construit le reste du casting autour d’Olivier, avec qui Jean-françois avait déjà travaillé sur « La promesse ». Il a adoré le scénario et voulait à tout prix être crédible.
Ma référence, c’était le personnage de Lino Ventura dans le film « La bonne année » de Claude Lelouch. C’est quelqu’un rempli de panache, émacié et élégant. Olivier n’a pas hésité à perdre du poids : il a maigri de vingt kilos, il a fait du sport, il s’est entraîné au maniement des armes. Il est éblouissant et je le remercie pour son investissement. Il m’a fait confiance et le résultat est bluffant. Je me rappelle que le premier jour de préparation, il s’est retrouvé à courir dans les couloirs avec un sac de 20 kilos sur les épaules et une arme de guerre… Il me disait que j’étais dingue et se demandait ce qu’il était venu faire dans cette galère (rires).
François Troukens : Oui mais j’ai fait l’erreur d’écrire le scénario en pensant à ceux qui pourraient jouer dans mon film. Le plus difficile c’était alors de trouver un comédien capable de reprendre le rôle si l’un d’entre eux n’était pas disponible pour le tournage. Pour Bouli Lanners, ça a été assez facile puisque nous étions déjà amis et qu’il m’avait déjà donné un accord verbal. Pour les autres acteurs, on s’est rendu compte que c’était compliqué de réunir tout le monde à une date bien définie. Lucie Debay, par exemple, avait très envie d’en faire partie mais n’a pas pu rejoindre l’équipe parce qu’elle est tombée enceinte. Olivier Gourmet est venu un peu plus tard et j’ai d’ailleurs réadapté le scénario parce que le personnage était plus jeune. On a construit le reste du casting autour d’Olivier, avec qui Jean-françois avait déjà travaillé sur « La promesse ». Il a adoré le scénario et voulait à tout prix être crédible.
Ma référence, c’était le personnage de Lino Ventura dans le film « La bonne année » de Claude Lelouch. C’est quelqu’un rempli de panache, émacié et élégant. Olivier n’a pas hésité à perdre du poids : il a maigri de vingt kilos, il a fait du sport, il s’est entraîné au maniement des armes. Il est éblouissant et je le remercie pour son investissement. Il m’a fait confiance et le résultat est bluffant. Je me rappelle que le premier jour de préparation, il s’est retrouvé à courir dans les couloirs avec un sac de 20 kilos sur les épaules et une arme de guerre… Il me disait que j’étais dingue et se demandait ce qu’il était venu faire dans cette galère (rires).
Lubna, elle, rêvait de jouer une braqueuse mais je trouvais qu’elle était bien mieux dans un rôle de flic. Son sens de l’honneur, de la vérité, son engagement dans la vie lui correspondent vraiment. Je trouvais ça fort d’avoir une enquêtrice de cet acabit là. J’avais d’ailleurs écrit que son personnage venait de quartiers peu fréquentables, qu’elle s’était battue pour être là, qu’elle s’était attachée au personnage de Bouli Lanners car il était une sorte de figure paternelle en qui elle a une confiance absolue. Ce genre de femme existe dans la vie, je me suis d’ailleurs inspiré de trois connaissances qui doivent gérer une équipe masculine tout en s’affirmant en tant que femmes. Lucie Tesla est une femme étrangère devenue commissaire, et alors ?
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Après, il y a des personnages qui sont restés, d’autres qui ont évolué surtout que je ne voulais pas qu’il n’y ait que des mauvais et des gentils. Pour moi, il y a cinquante nuances de gris. C’est ça aussi le cinéma: trouver des acteurs capables de casser ce qu’ils représentent ou à l’inverse, qui nécessitent que l’on réécrive le scénario pour qu’il corresponde à leur personnalité. Le travail du réalisateur, c’est de pouvoir s’adapter, rebondir, de s’organiser par rapport au planning et de se creuser la tête. Il ne faut jamais se décourager et au contraire, trouver des solutions pour que tout fonctionne. Personnellement, j’aime les défis et ça correspond à ce que je suis dans l’absolu, il n’y a donc pas de problèmes fondamentaux.
Véronique : En parlant de défi, celui de fermer le ring de Charleroi en pleine nuit en est un. Comment avez-vous fait ?
François Troukens : (Rires). C’est vrai que ça demandait une vraie organisation. Nous avons eu contact avec l’ingénieur du chantier car le ring était en travaux à ce moment-là. Il a accepté de fermer le tunnel et un tronçon extérieur durant deux nuits. C’était une course contre la montre parce que nous n’avions que ces deux moments-là pour tourner les scènes de nuit. On était toujours sur le fil et le tournage était sous tension à cause du retard. On regardait sans cesse nos montres en sachant qu’à 5h il ferait clair et que nous n’avions plus beaucoup de temps avant la réouverture du trafic. Heureusement, comme il y avait des travaux, les détournements étaient faciles à mettre en place. Après, c’est toujours une question d’argent : dans de grosses productions, ils auraient tourné trois ou quatre heures sur le ring et auraient achevé le tournage sur une autoroute en Bulgarie ou ailleurs. Ici, nous n’en avions pas les moyens et on est parvenu à faire ce que l’on voulait dans le temps qui était imparti.
Il faut savoir aussi que je suis quelqu’un de déterminé. J’avais ce projet dans mon cœur et dans ma tête depuis tellement d’années que même l’incarcération à cause de l’affaire Joey Starr m’a boostée pour affronter la prison de l’intérieur. Ca m’a permis de me replonger dans l’atmosphère réelle et plus dans celle des souvenirs pour guider Olivier Gourmet dans son ressenti, ses émotions. Cette plongée en abîme, c’était important.
Véronique : En parlant de défi, celui de fermer le ring de Charleroi en pleine nuit en est un. Comment avez-vous fait ?
François Troukens : (Rires). C’est vrai que ça demandait une vraie organisation. Nous avons eu contact avec l’ingénieur du chantier car le ring était en travaux à ce moment-là. Il a accepté de fermer le tunnel et un tronçon extérieur durant deux nuits. C’était une course contre la montre parce que nous n’avions que ces deux moments-là pour tourner les scènes de nuit. On était toujours sur le fil et le tournage était sous tension à cause du retard. On regardait sans cesse nos montres en sachant qu’à 5h il ferait clair et que nous n’avions plus beaucoup de temps avant la réouverture du trafic. Heureusement, comme il y avait des travaux, les détournements étaient faciles à mettre en place. Après, c’est toujours une question d’argent : dans de grosses productions, ils auraient tourné trois ou quatre heures sur le ring et auraient achevé le tournage sur une autoroute en Bulgarie ou ailleurs. Ici, nous n’en avions pas les moyens et on est parvenu à faire ce que l’on voulait dans le temps qui était imparti.
Il faut savoir aussi que je suis quelqu’un de déterminé. J’avais ce projet dans mon cœur et dans ma tête depuis tellement d’années que même l’incarcération à cause de l’affaire Joey Starr m’a boostée pour affronter la prison de l’intérieur. Ca m’a permis de me replonger dans l’atmosphère réelle et plus dans celle des souvenirs pour guider Olivier Gourmet dans son ressenti, ses émotions. Cette plongée en abîme, c’était important.
Véronique : Le personnage de Frank, joué par Olivier Gourmet, a beaucoup de points communs avec vous. On le découvre d’ailleurs un peu plus en lisant votre biographie (« Armé de résilience » paru aux éditions First) : il s’attaque aux transporteurs de fonds, il est accusé d’un crime qu’il n’a pas commis, … Chaque auteur laisse un peu de lui dans ses écrits mais peut-on dire ici qu’elle est plus importante que d’ordinaire ?
François Troukens : Evidemment ! Maintenant, ce n’est pas autobiographique non plus. Pour cela, il y a aussi la bande dessinée (« Forban », dessinée par Alain Bardet et éditée chez «Le Lombard », ndlr) qui est plus largement inspirée de ma vie. Dans mon livre, on trouve la genèse du projet, la façon dont on a travaillé, l’énergie que nous a demandé ce film. Ce n’est pas facile de persuader les gens de nous suivre. Avec le recul, je me dis que si j’étais à la place de mes investisseurs, je ne suis pas sûr que j’aurais pu donner de l’argent pour financer le projet d’un type qui vit dans une cellule. Il faut croire que j’avais dans les yeux une folie qui parlait aux gens. Je suis passionné et cette histoire, qui est en quelque sorte inspirée de la mienne, parle de l’innocence, d’une condamnation terriblement injuste et du combat pour le faire savoir. |
C’est ce que je fais déjà dans mes émissions sauf que là, c’est la vraie vie. On y voit que des gens sont condamnés par des indices qui convergent tous vers eux alors qu’ils sont innocents. L’ADN n’est pas une preuve, c’est un indice de présomption et on a des tas de dossiers qui montrent que les preuves n’en sont pas toujours. Dans les braquages, on est très vite condamné et jugé parce qu’il faut des coupables. Blesser quelqu’un, attenter à sa vie, je trouve ça très grave. Par contre, aujourd’hui encore, je suis admiratif de ces gens qui creusent des tunnels ou qui montent un stratagème complexe pour aller voler une banque. Le casse de Valken, dans mon film, je le trouve ingénieux et réalisable en plus (rires). C’est pour ça que j’admire le personnage. Il est différent de moi parce qu’il est plus âgé, il est en fin de carrière, il a envie d’autres choses… physiquement, on ne se ressemble pas non plus.
Si on avait tourné avec Matthias Schoenaerts, ça aurait été plus raccord dans les traits et la façon d’être mais il aurait peut-être été plus caricatural. Matthias a un côté bad boy qui colle beaucoup mieux avec l’univers du cinéma d’auteur de Roskam. C’est pour ça d’ailleurs que je le trouve très bien dans « Le fidèle ». « Tueurs » gagne à avoir un Olivier Gourmet qui joue à contre-emploi et que cela pousse le film vers le haut. Ca donne moins l’impression d’être un film de genre.
On a souvent tendance à mettre les réalisateurs ou les acteurs dans des cases mais pour moi, ça reste du cinéma, du spectacle. J’adorerais faire un film d’amour et prouver que je peux le faire aussi… Après, je n’ai pas de complexe à faire des films de gangster, parce que j’aime vraiment ça ! C’est un univers qui permet de raconter une histoire sociale. Simenon disait que c’était fantastique puisque ça permettait d’entrer dans la vie intime des gens. On va jusqu’à disséquer le corps de quelqu’un pour raconter les dernières heures de sa vie : a-t-il eu des rapports sexuels, qu’a-t-il mangé ? Avec l’enquête, on entre au plus près de la vie privée de la victime et on sait tout d’elle. D’un autre côté, c’est aussi horrible de savoir que quand quelqu’un meurt, tous ses secrets apparaissent.
Si on avait tourné avec Matthias Schoenaerts, ça aurait été plus raccord dans les traits et la façon d’être mais il aurait peut-être été plus caricatural. Matthias a un côté bad boy qui colle beaucoup mieux avec l’univers du cinéma d’auteur de Roskam. C’est pour ça d’ailleurs que je le trouve très bien dans « Le fidèle ». « Tueurs » gagne à avoir un Olivier Gourmet qui joue à contre-emploi et que cela pousse le film vers le haut. Ca donne moins l’impression d’être un film de genre.
On a souvent tendance à mettre les réalisateurs ou les acteurs dans des cases mais pour moi, ça reste du cinéma, du spectacle. J’adorerais faire un film d’amour et prouver que je peux le faire aussi… Après, je n’ai pas de complexe à faire des films de gangster, parce que j’aime vraiment ça ! C’est un univers qui permet de raconter une histoire sociale. Simenon disait que c’était fantastique puisque ça permettait d’entrer dans la vie intime des gens. On va jusqu’à disséquer le corps de quelqu’un pour raconter les dernières heures de sa vie : a-t-il eu des rapports sexuels, qu’a-t-il mangé ? Avec l’enquête, on entre au plus près de la vie privée de la victime et on sait tout d’elle. D’un autre côté, c’est aussi horrible de savoir que quand quelqu’un meurt, tous ses secrets apparaissent.
Le polar est très contemporain, il présente des techniques policières développées, une technologie avancée… cinquante ans plus tard, quand on le regarde, on se rend compte des moyens et du mode de vie de l’époque, c’est presqu’un instantané historique. Un des films qui me fascine, c’est « Point Break » de Kathryn Bigelow : un vrai bijou tant au niveau de la réalisation que dans la narration. Il y a une dimension sociale, des réflexions profondes sur le braquage de banques, sur la vie en général. Je le regarde souvent, au moins une fois par an. Il a plus de vingt cinq ans mais il n’a pas vieilli…
Pour revenir à votre question, c’est vrai qu’il y a de moi dans le personnage de Valken mais on pourrait aussi dire que j’en ai mis dans celui de Lucie Tesla. Comme beaucoup de gens, j’ai connu des séparations, l’amour, la jalousie, la trahison. Je suis très entier et fidèle à mes amis : la trahison a quelqu’un chose de violent parce que ça arrive forcément quand on ne s’y attend pas… |
Véronique : Puisqu’on parle de cases dans lesquelles on « range » le travail de certains réalisateurs, il y en a un qui est difficile classable et que vous avez approché de près : François Ozon…
François Troukens : Oui c’est vrai ! J’ai vu son dernier film, qui n’est pas un polar mais plutôt un film psychologique. Il a déjà dit qu’il aimerait faire un film de gangsters. Peut-être que le mien lui donnera des idées (rires). Il n’y a pas longtemps, on m’a dit que je faisais un film de personnages et j’ai trouvé le compliment très beau. François Ozon aussi fait des films de personnages. Comme lui, je pourrais raconter différentes histoires, mais pas faire des films d’époque, parce que ce n’est pas trop mon truc. Pour tout vous dire, mon prochain long métrage sera un thriller écologique et en parallèle, j’écris un film plutôt poétique sur fond de financements des partis politiques.
Ce qui m’intéresse, ce sont les films avec des personnages forts, qui ont des choses à raconter. Dans « Tueurs », ce qui m’a plu c’est de pouvoir mettre des petites histoires dans la trame générale. C’est ce que j’ai aimé dans « Rundskop » : suivre quelqu’un qui a du mal à vivre ses relations humaines, qui est introverti à cause d’un problème enfoui et parallèlement à cela, il y a l’histoire du trafic de d’hormones en Flandres, un sujet encore tabou. Dans mon film, il y a l’histoire de Frank qui veut s’échapper et refaire sa vie après un dernier casse. Ce dernier braquage symbolise le fantasme qu’ont tous les braqueurs de faire un dernier grand coup et se la couler douce mais qui n’y arrivent jamais parce qu’ils se font rattraper ensuite. C’est un peu comme si un mec jouait au loto tous les jours dans l’espoir de gagner le jackepot (rires).
Véronique : Votre cinéma pourrait donner l’impression d’être très belgo-belge, d’autant plus que vous ouvrez votre film avec un rappel des tueries du Brabant mais finalement, le sujet est très universel…
François Troukens : Oui c’est vrai ! J’ai vu son dernier film, qui n’est pas un polar mais plutôt un film psychologique. Il a déjà dit qu’il aimerait faire un film de gangsters. Peut-être que le mien lui donnera des idées (rires). Il n’y a pas longtemps, on m’a dit que je faisais un film de personnages et j’ai trouvé le compliment très beau. François Ozon aussi fait des films de personnages. Comme lui, je pourrais raconter différentes histoires, mais pas faire des films d’époque, parce que ce n’est pas trop mon truc. Pour tout vous dire, mon prochain long métrage sera un thriller écologique et en parallèle, j’écris un film plutôt poétique sur fond de financements des partis politiques.
Ce qui m’intéresse, ce sont les films avec des personnages forts, qui ont des choses à raconter. Dans « Tueurs », ce qui m’a plu c’est de pouvoir mettre des petites histoires dans la trame générale. C’est ce que j’ai aimé dans « Rundskop » : suivre quelqu’un qui a du mal à vivre ses relations humaines, qui est introverti à cause d’un problème enfoui et parallèlement à cela, il y a l’histoire du trafic de d’hormones en Flandres, un sujet encore tabou. Dans mon film, il y a l’histoire de Frank qui veut s’échapper et refaire sa vie après un dernier casse. Ce dernier braquage symbolise le fantasme qu’ont tous les braqueurs de faire un dernier grand coup et se la couler douce mais qui n’y arrivent jamais parce qu’ils se font rattraper ensuite. C’est un peu comme si un mec jouait au loto tous les jours dans l’espoir de gagner le jackepot (rires).
Véronique : Votre cinéma pourrait donner l’impression d’être très belgo-belge, d’autant plus que vous ouvrez votre film avec un rappel des tueries du Brabant mais finalement, le sujet est très universel…
François Troukens : Bien sûr ! Je pense que quand j’ai montré le film à la Mostra, les Italiens l’ont pris pour eux. C’est une thématique très présente dans leur cinéma : ils ont connu des tensions et de grandes tueries aussi dans les années 80 sauf qu’en l’occurrence, il semblerait que les services italiens n’y étaient pas pour rien. Côté américain, si on regarde les critiques de Screen et de Variety, on se rend compte qu’ils ont aimé le film aussi. Sans doute parce qu’ils aiment le cinéma de conspiration et que ça évoque pour eux des dossiers comme celui de l’assassinat de JFK… Je voulais rester dans le schéma d’une enquête où on fait tout pour que la vérité ne soit pas révélée sans non plus développer des théories du complot trop poussées. Les Illuminatis et ce genre de groupuscule, je laisse ça à d’autres (rires).
Dernièrement, j’ai vu et je n’ai pas aimé le film français « Money » avec Benoît Magimel, qui est une mauvaise caricature. En géopolitique, ce n’est pas foncièrement noir ou blanc, c’est une multitude de nuances de gris. Il y a des tas de choses qu’on ne comprend pas et qu’on découvre après parce qu’elles se font toujours au profit de quelqu’un. C’est beaucoup plus subtil que méchant ou bon…C’est d’ailleurs ce que j’ai voulu montrer avec « Tueurs » et les retours de sortie de projections sont l’occasion de savoir si le public l’a apprécié ou pas. |
Au-delà du message qu’on veut donner, ce qui m’intéresse, c’est le plaisir qu’a eu le spectateur de suivre le film durant une heure trente car le plus important, c’est d’avoir fait vivre un vrai divertissement, d’avoir capté l’attention du public par l’action et l’émotion. Souvent, c’est le cas. Hier encore, les retours étaient positifs et pas seulement par politesse.
Vous savez, ce n’est pas facile de faire du cinéma en Belgique parce que bien souvent, les spectateurs ont pour modèle l’univers des frères Dardenne. Ils ont révolutionné notre cinéma mais en même temps, je me rends compte que dans notre savoir-faire belge, on a des habitudes de travail qui font que souvent, on n’ose pas assez. Quand on pousse le curseur un peu plus loin, on sent les réticences de ceux qui ont peur de faire du cinéma américain. Dans le Nord du pays, ils sont bien plus décomplexés que nous. En Wallonie, on a peut-être trop tendance à faire du cinéma pour les gens du cinéma, pour ceux qui financent. A un moment, on tourne en rond parce que dans le Sud du pays, on fait mille entrées avec notre film et on est content alors qu’en Flandre, ils parviennent à en faire un million et à remplir les salles. C’est pour ça que je dirais que j’ai eu la chance de me retrouver à la Mostra, de montrer qu’on pouvait faire ça aussi chez nous, en Belgique mais surtout en Wallonie.
« Tueurs », le premier long-métrage de François Troukens, co-réalisé par Jean-François Hensgens sort dans nos salles ce mercredi 6 décembre. Pour découvrir notre avis, c’est par ici.
Vous savez, ce n’est pas facile de faire du cinéma en Belgique parce que bien souvent, les spectateurs ont pour modèle l’univers des frères Dardenne. Ils ont révolutionné notre cinéma mais en même temps, je me rends compte que dans notre savoir-faire belge, on a des habitudes de travail qui font que souvent, on n’ose pas assez. Quand on pousse le curseur un peu plus loin, on sent les réticences de ceux qui ont peur de faire du cinéma américain. Dans le Nord du pays, ils sont bien plus décomplexés que nous. En Wallonie, on a peut-être trop tendance à faire du cinéma pour les gens du cinéma, pour ceux qui financent. A un moment, on tourne en rond parce que dans le Sud du pays, on fait mille entrées avec notre film et on est content alors qu’en Flandre, ils parviennent à en faire un million et à remplir les salles. C’est pour ça que je dirais que j’ai eu la chance de me retrouver à la Mostra, de montrer qu’on pouvait faire ça aussi chez nous, en Belgique mais surtout en Wallonie.
« Tueurs », le premier long-métrage de François Troukens, co-réalisé par Jean-François Hensgens sort dans nos salles ce mercredi 6 décembre. Pour découvrir notre avis, c’est par ici.