Interview de Harry Cleven
Dans le cadre de l'avant première de "Mon Ange" au BIFFF
14 avril 2017
Dans le cadre de l'avant première de "Mon Ange" au BIFFF
14 avril 2017
Metteur en scène du film poétique et sensoriel « Mon ange », Harry Cleven a partagé quelques minutes de son temps pour prolonger avec nous la découverte de son dernier long-métrage. Amitié, authenticité et artisanat sont sans conteste les mots qui résumeraient à merveille l’échange que nous avons eu avec le réalisateur belge.
Véronique : Vous présentez votre dernier film ici, au Festival du Film Fantastique de Bruxelles, un festival un peu particulier. Quel effet cela vous fait de proposer « Mon Ange » dans ce contexte ? Harry Cleven : En fait, cela fait des années que je fréquente le BIFFF, parce que je trouve que c’est un festival génial et complètement fou mais aussi parce que je suis très copain avec Jésus et Freddy (il sourit). Un de mes premiers films, « Pourquoi se marier le jour de la fin du monde » est déjà passé ici et ça m’avait beaucoup aidé au moment de sa sortie. Ils m’avaient mis dans le jury aussi, j’ai fait plein de festivals grâce à eux ce qui fait que je suis extrêmement reconnaissant de leur aide. Maintenant, chaque fois que je fais un film, je veux aller au BIFFF, même si je suis à chaque fois mort de peur et que ce soir, je pense qu’ils vont chahuter (rires). Véronique : Avec Thomas Gunzig, nous avons parlé de l’écriture du scénario (son interview est à découvrir ici, ndlr). S’il a eu l’idée générale, il vous a laissé carte blanche pour écrire la suite. Comment s’est passé ce passage de relais ? |
Harry Cleven : Au tout début, c’est Jaco qui m’a donné le premier coup de pouce. Je galérais avec un autre projet et il m’a conseillé de faire un petit film, avec un petit budget, deux acteurs et je me suis dit, « s’il y en a un d’invisible, c’est déjà ça de gagné » (rires). Il m’a proposé de financer l’écriture, on en a parlé à Thomas et il nous a proposé son idée à savoir celle d’une femme qui accouche dans une prison ou dans un hôpital psychiatrique d’un bébé invisible. J’ai trouvé l’idée pas mal et je me suis dit qu’on pouvait faire une belle histoire d’amour à partir de là. On a cherché, on a un peu pataugé au début, et à un moment donné, j’ai eu l’idée de la petite fille aveugle. Le déclic a eu lieu et on s’est dit qu’il ne pouvait rien arriver de mieux à Mon Ange que de rencontrer une fille aveugle et que le pire serait qu’elle recouvre la vue…Une fois qu’on a eu la structure, on a peaufiné ensemble le traitement et après, j’ai écrit le scénario alors que Thomas relisait plutôt les propositions et les différentes versions du scénario…
François : Et du coup, l’intrigue sert le côté poétique de votre film…
Harry Cleven : Tout à fait ! Je voulais faire un film complètement intemporel et ça s’est radicalisé au fil du tournage. Dans le scénario, il était prévu que Mon Ange traverse la ville à un moment donné, que Madeleine téléphonait à sa maman ou qu ils regarderaient un film ensemble à la télé mais quand j’ai vu le téléphone portable dans la scène, je me suis dit que ce n’était pas possible. Petit à petit c’est devenu comme un conte de Grimm : on est dans la forêt la plupart du temps... J’éliminais tous les éléments réalistes au point de ne garder que le bus et même si je voulais garder des trucs un peu rétro, on sent que c’est aujourd’hui que ça se passe. J’ai enlevé tous les figurants et les rues sont vides pour que ce soit totalement onirique.
C’est une histoire très imaginaire, on pourrait même penser que cela se passe dans la tête de la maman de Mon Ange. Il y a d’ailleurs un switch dans le film mais je ne sais pas si vous l’avez remarqué : à la toute fin, la voix off de Madeleine se transforme en la voix de la maman lorsqu’elle dit « surtout, je t’apprendrai à nager … » J’ai construit tout l’environnement autour de cette idée. Dès le début, ce sont les sons de la conception de Mon Ange, de sa naissance, même si ça reste très utérin. A chaque fois que la maman évoque la cabane, on retrouve ces sons là et lorsqu’ils y retournent à la fin du film, on retrouve à nouveau ces sons particuliers, ce qui fait que toute l’histoire pourrait se dérouler dans l’imaginaire un peu fou de la maman.
Véronique : La lumière est très travaillée dans votre film, notamment grâce aux reflets du soleil. Vous avez attendu des moments particuliers de la journée ou vous avez joué avec la technique pour obtenir ce résultat ?
Harry Cleven : C’est un peu des deux en réalité. On a beaucoup préparé le travail avec Juliette (van Dormael, directrice de la photographie, ndlr) et notamment au moment du découpage. On a tout pré-monté, pré-filmé pour être sûr de savoir quels effets spéciaux je voulais, si on restait dans du mécanique ou dans un effet 3D, et après, on s’est balancé des photos, on s’envoyait des exemples de style de lumière pour affiner peu à peu ce qu’on voulait. Ensuite est venu tout le travail artistique sur les couleurs : je voulais que les murs soient très sombres, que les cheveux et la peau blanche ressortent vraiment, et de son côté, Juliette a eu des idées très poétiques comme la projection des ombres de feuilles sur le corps de Madeleine, de jolies choses comme ça. Et puis, on a eu des moments de grâce, des lumières matinales sublimes notamment pour la scène du bus. Il y un peu des deux mais je dirais que c’est tout de même Juliette qui faisait des petites choses, qui apportait cette lumière féminine dans un monde de femmes. Ce qu’elle a amené était très sensuel, très sensible et surtout parfait pour le film.
Véronique : Vous auriez pu tomber dans la facilité de maquiller Mon Ange, de lui mettre des vêtements, une casquette ou des lunettes ce qui est finalement peu le cas…
Harry Cleven : Ca a tellement déjà été fait… Globalement, je ne voulais pas. A la fin, quand il y a le masque et qu’elle le regarde, on voit que Madeleine se rend compte que c’est bizarre… on y a pensé mais on ne l’a pas fait
François : Si on veut apprécier le film, il faut finalement accepter de ne pas trop l’intellectualiser…
Harry Cleven : J’ai voulu faire un film complètement sensoriel et pas du tout réaliste. Je ne voulais plus faire ce que j’avais déjà fait apparemment où il subsiste des éléments de réalisme. C’est un choix, c’est un style, je voulais tout raconter d’un point de vue exclusivement sensoriel. L’idée de la caméra subjective pour être dans la peau du personnage, la bande son qui a une grande importance, tout est prévu pour que la sensation soit presque palpable.
Véronique : C’est vrai que la caméra subjective rapproche le spectateur des scènes qui se jouent…
Harry Cleven : C’est ça, c’est de l’immersion sensorielle. Après, certains spectateurs ne sont pas sensibles à cela, je savais que ça ne plairait pas à tout le monde mais je vois que d’autres se laissent emporter dans ce voyage poétique parce qu’ils ne rationalisent pas…
François : Et du coup, l’intrigue sert le côté poétique de votre film…
Harry Cleven : Tout à fait ! Je voulais faire un film complètement intemporel et ça s’est radicalisé au fil du tournage. Dans le scénario, il était prévu que Mon Ange traverse la ville à un moment donné, que Madeleine téléphonait à sa maman ou qu ils regarderaient un film ensemble à la télé mais quand j’ai vu le téléphone portable dans la scène, je me suis dit que ce n’était pas possible. Petit à petit c’est devenu comme un conte de Grimm : on est dans la forêt la plupart du temps... J’éliminais tous les éléments réalistes au point de ne garder que le bus et même si je voulais garder des trucs un peu rétro, on sent que c’est aujourd’hui que ça se passe. J’ai enlevé tous les figurants et les rues sont vides pour que ce soit totalement onirique.
C’est une histoire très imaginaire, on pourrait même penser que cela se passe dans la tête de la maman de Mon Ange. Il y a d’ailleurs un switch dans le film mais je ne sais pas si vous l’avez remarqué : à la toute fin, la voix off de Madeleine se transforme en la voix de la maman lorsqu’elle dit « surtout, je t’apprendrai à nager … » J’ai construit tout l’environnement autour de cette idée. Dès le début, ce sont les sons de la conception de Mon Ange, de sa naissance, même si ça reste très utérin. A chaque fois que la maman évoque la cabane, on retrouve ces sons là et lorsqu’ils y retournent à la fin du film, on retrouve à nouveau ces sons particuliers, ce qui fait que toute l’histoire pourrait se dérouler dans l’imaginaire un peu fou de la maman.
Véronique : La lumière est très travaillée dans votre film, notamment grâce aux reflets du soleil. Vous avez attendu des moments particuliers de la journée ou vous avez joué avec la technique pour obtenir ce résultat ?
Harry Cleven : C’est un peu des deux en réalité. On a beaucoup préparé le travail avec Juliette (van Dormael, directrice de la photographie, ndlr) et notamment au moment du découpage. On a tout pré-monté, pré-filmé pour être sûr de savoir quels effets spéciaux je voulais, si on restait dans du mécanique ou dans un effet 3D, et après, on s’est balancé des photos, on s’envoyait des exemples de style de lumière pour affiner peu à peu ce qu’on voulait. Ensuite est venu tout le travail artistique sur les couleurs : je voulais que les murs soient très sombres, que les cheveux et la peau blanche ressortent vraiment, et de son côté, Juliette a eu des idées très poétiques comme la projection des ombres de feuilles sur le corps de Madeleine, de jolies choses comme ça. Et puis, on a eu des moments de grâce, des lumières matinales sublimes notamment pour la scène du bus. Il y un peu des deux mais je dirais que c’est tout de même Juliette qui faisait des petites choses, qui apportait cette lumière féminine dans un monde de femmes. Ce qu’elle a amené était très sensuel, très sensible et surtout parfait pour le film.
Véronique : Vous auriez pu tomber dans la facilité de maquiller Mon Ange, de lui mettre des vêtements, une casquette ou des lunettes ce qui est finalement peu le cas…
Harry Cleven : Ca a tellement déjà été fait… Globalement, je ne voulais pas. A la fin, quand il y a le masque et qu’elle le regarde, on voit que Madeleine se rend compte que c’est bizarre… on y a pensé mais on ne l’a pas fait
François : Si on veut apprécier le film, il faut finalement accepter de ne pas trop l’intellectualiser…
Harry Cleven : J’ai voulu faire un film complètement sensoriel et pas du tout réaliste. Je ne voulais plus faire ce que j’avais déjà fait apparemment où il subsiste des éléments de réalisme. C’est un choix, c’est un style, je voulais tout raconter d’un point de vue exclusivement sensoriel. L’idée de la caméra subjective pour être dans la peau du personnage, la bande son qui a une grande importance, tout est prévu pour que la sensation soit presque palpable.
Véronique : C’est vrai que la caméra subjective rapproche le spectateur des scènes qui se jouent…
Harry Cleven : C’est ça, c’est de l’immersion sensorielle. Après, certains spectateurs ne sont pas sensibles à cela, je savais que ça ne plairait pas à tout le monde mais je vois que d’autres se laissent emporter dans ce voyage poétique parce qu’ils ne rationalisent pas…
Véronique : Et puis le choix de mettre plusieurs étapes de la vie de Madeleine avec Hannah et Maya permet de comprendre un peu plus ce personnage central. Comment avez-vous dirigé ces jeunes filles ?
Harry Cleven : C’était incroyable. Au départ, on cherchait le personnage de Madeleine adulte, et on a rencontré Fleur. Ca nous a pris un temps fou parce qu’il fallait qu’on trouve la bonne personne, quelqu’un qui était capable de jouer avec la caméra et pas avec un acteur et d’avoir la capacité d’imaginer Mon Ange. Quand on a trouvé Fleur, ça a été une vraie révélation surtout qu’au début, j’avais imaginé une fille rousse avec des yeux clairs... |
Après, on a cherché l’adolescente et la petite fille. On a auditionné des dizaines de jeunes filles mais à chaque fois qu’on tombait sur la meilleure prestation, il s’avérait que la fillette avait les yeux clairs, les cheveux presque roux et ressemblait à Fleur. La difficulté pour Hannah et Maya, c’était de jouer une enfant aveugle car ça demande un niveau de concentration incroyable. Sur le tournage, je leur conseillais d’ailleurs de regarder avec leurs oreilles. Il ne fallait jamais bouger les yeux pour regarder mais sentir l’air sur le coup, se tourner, etc. Hannah a réussi à le faire tout de suite. Avec Maya, on est allé voir les aveugles pour qu’elle puisse observer comment ça se passe et jouer sur la continuité. Maya, c’est une vraie révélation : elle est magique, elle a une peau, elle capte la caméra… Ce qui est fou c’est que les trois se ressemblent.
François : On a rencontré Fleur Geffrier juste avant vous et on a évoqué ce besoin de prendre le temps, de se poser, d’entrer dans un rôle très différent de ce qu’elle est dans la vraie vie
Harry Cleven : C’est vrai qu’elle parvenait en un petit clic à entrer dans le personnage. Il y a des scènes où elle y arrivait tout de suite et d’autres où elle avait plus de mal. On y travaillait ensemble et d’un coup, ce n’était plus Fleur car elle était devenue Madeleine. La première fois que je l’aie vue en dehors du casting et qu’on est allé manger ensemble, j’ai été étonné car elle n’est absolument pas comme son personnage. Dès qu’on refaisait des essais, elle y était. Elle a cette capacité à s’immerger dans le rôle de Madeleine, c’est presque magique.
Véronique : Quand on regarde l’équipe du film, on ne peut que se dire que c’est très belge tout ça : Jaco à la production, Thomas Gunzig au scénario. « Mon Ange », c’est une histoire de famille, d’amitiés ?
Harry Cleven : Tout à fait, ce ne sont que des Belges. Comme le dit Thomas, c’est tellement gai de travailler avec des amis. C’est marrant parce que je regardais hier une interview de Cassavetes quand il était jeune et je me suis dit qu’il avait bossé toute sa vie avec ses enfants, sa femme, ses amis. Du coup, il disait qu’il s’en foutait si le film ne marchait pas, qu’il voulait faire des films où il se sentait libre et heureux et qu’il faisait son film pour lui. Avec « Mon Ange », j’ai eu la chance de partir avec un petit budget et que Jaco me laissait une totale liberté ce qui fait que je suis allé au bout de ce que je voulais faire, d’aller dans la sensibilité et faire un film très sensoriel. Pour revenir à la notion d’amitié, c’est vrai qu’on est un vrai trio, dans lequel on a intégré Juliette, et on travaille les uns pour les autres… Jaco m’avait demandé un coup de main pour le montage de « Mr Nobody », il est venu voir le mien, on s’invite tout le temps, on lit le scénario de l’un et de l’autre… On fait ça tout le temps depuis 25 ou 30 ans. Il y a une sorte d’émulation. Quand j’ai connu Jaco au tout début, on se voyait une fois par semaine avec un petit groupe d’artistes, des metteurs en scène, des réalisateurs et des comédiens, et tour à tour, quelqu’un dirigeait les autres. Chacun apprenait aux autres sa manière de diriger les acteurs, ce qui nous a permis de développer des choses ensemble, de faire des recherches tous ensemble sur le conte, l’apport de la caméra. On donnait un cours à l’INSAS (l’Institut national supérieur des arts du spectacle, situé à Ixelles, ndlr) autour de ce thème là : raconter une histoire avec la caméra, en faire une sorte de caméra stylo.
Véronique : Justement, pour développer ou garder cette sensibilité, vous vous nourrissez de films « sensibles » ?
Harry Cleven: Oui, j’adore ce genre de films, ceux qui apportent une certaine sensorialité ou qui apporte une importance au langage du cinéma. J’avais l’impression qu’on n’avait jamais fait un film où quelqu’un qui ne voit pas aime quelqu’un qu’on ne peut pas voir… du coup, comment porter cela à l’écran à travers la caméra ? Ca soulevait plein de questions de grammaire du cinéma et j’ai trouvé ça vraiment intéressant. C’est vraiment de l’artisanat et ce qui m’excite le plus, c’est d’essayer de faire quelque chose qui parait impossible à réaliser. Ca demande du temps, c’est sûr, mais ça fait forcément évoluer le film. Sur une grosse production, on n’aurait pas pu se permettre cela !
François : On a rencontré Fleur Geffrier juste avant vous et on a évoqué ce besoin de prendre le temps, de se poser, d’entrer dans un rôle très différent de ce qu’elle est dans la vraie vie
Harry Cleven : C’est vrai qu’elle parvenait en un petit clic à entrer dans le personnage. Il y a des scènes où elle y arrivait tout de suite et d’autres où elle avait plus de mal. On y travaillait ensemble et d’un coup, ce n’était plus Fleur car elle était devenue Madeleine. La première fois que je l’aie vue en dehors du casting et qu’on est allé manger ensemble, j’ai été étonné car elle n’est absolument pas comme son personnage. Dès qu’on refaisait des essais, elle y était. Elle a cette capacité à s’immerger dans le rôle de Madeleine, c’est presque magique.
Véronique : Quand on regarde l’équipe du film, on ne peut que se dire que c’est très belge tout ça : Jaco à la production, Thomas Gunzig au scénario. « Mon Ange », c’est une histoire de famille, d’amitiés ?
Harry Cleven : Tout à fait, ce ne sont que des Belges. Comme le dit Thomas, c’est tellement gai de travailler avec des amis. C’est marrant parce que je regardais hier une interview de Cassavetes quand il était jeune et je me suis dit qu’il avait bossé toute sa vie avec ses enfants, sa femme, ses amis. Du coup, il disait qu’il s’en foutait si le film ne marchait pas, qu’il voulait faire des films où il se sentait libre et heureux et qu’il faisait son film pour lui. Avec « Mon Ange », j’ai eu la chance de partir avec un petit budget et que Jaco me laissait une totale liberté ce qui fait que je suis allé au bout de ce que je voulais faire, d’aller dans la sensibilité et faire un film très sensoriel. Pour revenir à la notion d’amitié, c’est vrai qu’on est un vrai trio, dans lequel on a intégré Juliette, et on travaille les uns pour les autres… Jaco m’avait demandé un coup de main pour le montage de « Mr Nobody », il est venu voir le mien, on s’invite tout le temps, on lit le scénario de l’un et de l’autre… On fait ça tout le temps depuis 25 ou 30 ans. Il y a une sorte d’émulation. Quand j’ai connu Jaco au tout début, on se voyait une fois par semaine avec un petit groupe d’artistes, des metteurs en scène, des réalisateurs et des comédiens, et tour à tour, quelqu’un dirigeait les autres. Chacun apprenait aux autres sa manière de diriger les acteurs, ce qui nous a permis de développer des choses ensemble, de faire des recherches tous ensemble sur le conte, l’apport de la caméra. On donnait un cours à l’INSAS (l’Institut national supérieur des arts du spectacle, situé à Ixelles, ndlr) autour de ce thème là : raconter une histoire avec la caméra, en faire une sorte de caméra stylo.
Véronique : Justement, pour développer ou garder cette sensibilité, vous vous nourrissez de films « sensibles » ?
Harry Cleven: Oui, j’adore ce genre de films, ceux qui apportent une certaine sensorialité ou qui apporte une importance au langage du cinéma. J’avais l’impression qu’on n’avait jamais fait un film où quelqu’un qui ne voit pas aime quelqu’un qu’on ne peut pas voir… du coup, comment porter cela à l’écran à travers la caméra ? Ca soulevait plein de questions de grammaire du cinéma et j’ai trouvé ça vraiment intéressant. C’est vraiment de l’artisanat et ce qui m’excite le plus, c’est d’essayer de faire quelque chose qui parait impossible à réaliser. Ca demande du temps, c’est sûr, mais ça fait forcément évoluer le film. Sur une grosse production, on n’aurait pas pu se permettre cela !
Véronique : Puisqu’on parle de grosse production, j’aimerais que l’on évoque un de vos longs-métrages, « Trouble » avec Benoît Magimel, entre autres. Le film propose un casting plus populaire, plus « vendeur ». C’est très différent de tourner un film de cet acabit ?
Harry Cleven : Oui, c’est très différent. Pour ma part, ça a été l’expérience la moins agréable sur le plateau parce qu’il fallait tenir compte de paramètres extérieurs contraignants. Par exemple, Benoit était dans sa caravane, il fallait aller le chercher mais il mettait une heure pour arriver… il fallait gérer les caprices de star ou tous les trucs du genre et c’est tellement loin de mes préoccupations de cinéma que ça ne me donne aucune envie de recommencer cela. Bien sûr on écrit parfois des films et si on veut être sur de le faire, il faut passer par là. C’est d’ailleurs le cas d’un de mes prochains longs que je ferai avec Olivier Rausin. Il coûtera un peu plus cher et j’ai déjà un peu peur des contraintes et donc des concessions que cela peut impliquer. J’essaie toujours d’aller au bout de mon travail d’artisan et dès qu’il y a de l’argent en jeu, c’est plus compliqué. Pour donner un exemple, « Pourquoi se marier le jour de la fin du monde » a aussi été fait avec 450 000 euros et c’était super parce que j’avais une totale liberté. C’est d’ailleurs dans les films où on se sent les plus libres qu’on se sent les plus heureux… Ce qui nous échappe, c’est si les gens vont aimer ou pas. Ce qui ne nous échappe pas, c’est le plaisir qu’on ressent lorsqu’on se trouve sur le plateau… |