Interview de Christophe Hermans et Victor
Dans le cadre du Festival International du Film Francophone de Namur
3 octobre 2019
Dans le cadre du Festival International du Film Francophone de Namur
3 octobre 2019
Diffusé sur la Trois ce lundi 7 octobre et dans le cadre du Festival International du Film Francophone de Namur, Victor et Christophe Hermans nous ont accueilli à leur table afin de discuter du quotidien du jeune homme et du regard bienveillant de son réalisateur. Une rencontre riche en enseignements qui prolonge à merveille leur documentaire intitulé sobrement « Victor ». Au diapason dans l’écoute comme dans les réponses, Christophe et Victor nous répondent tour à tour, connectés et enthousiastes à l’idée de nous parler de leur parcours commun. Normal donc qu’ils évoquent la rencontre qui a donné vie à ce beau métrage
Christophe Hermans : Victor fait partie d’une trilogie sur l’adolescence. Il y a eu « Corps étranger » et « Les éclaireurs ». Le premier racontait le parcours de jeunes qui pesait 180 Kg et qui au bout d’un an n’en faisait plus que 70. « Eclaireurs », lui, racontait le joyeux chaos d’un camp scout. Derrière ça, je me questionne toujours sur l’idée qu’un enfant, ou le corps d’un enfant, est fait par le bruit des parents. Quelle charge les enfants portent-ils sur leurs épaules ?
J’ai rencontré Victor à travers l’asbl La Lumière après avoir lu un article où il disait que l'association n’aidait qu’une bande d’assistés. J’ai tout de suite compris que Victor avait un caractère bien trempé et j’ai eu envie de rencontrer ce jeune garçon. On me l’avait déconseillé parce qu’ils étaient persuadés que Victor n’accepterait jamais mais deux semaines après, j’avais rendez-vous avec lui. C’est là qu’a commencé cette histoire qui ne devait durer qu’un an et qui finalement en a pris six. Véronique : Avant de vous rencontrer, je me demandais d’ailleurs si certains moments avaient été tournés à nouveau – je pense à celle du collège – ou si au contraire, vous l’aviez filmé sur toute une période de sa vie… |
Christophe Hermans : Non, j’ai suivi Victor de façon assez assidue et ensuite dans des moments clés de sa vie. On a eu à peu près 65 jours de tournage et 180 heures de rush donc il était intéressant, surtout dans la deuxième partie du film, de pouvoir cerner son évolution et montrer comment il est passé de la dépendance à l’indépendance. Tout reposait sur la façon dont j’allais traiter ce thème de l’indépendance et j’ai choisi de le faire à travers son parcours universitaire, sa maladie qui évolue mais aussi à l’histoire d’un jeune homme en recherche, en quête de sens.
Véronique : On aurait pu appeler votre documentaire « La détermination de Victor »
Christophe Hermans : Oui, ou l’émancipation de Victor...
Victor : … A chaque fois que je regarde le documentaire, je me rends compte que lorsque j’ai fini un défi, j’en cherche un nouveau. Ça peut être épuisant pour les gens qui m’entourent. Je ne suis jamais à bout d’énergie pour entamer de nouvelles choses.
La sortie de ce documentaire est l’occasion pour moi de me poser, de voir le chemin parcouru. C’est impressionnant parce que forcément, on a le nez dans le guidon, on vit à 180 à l’heure et on n’a pas vraiment le temps de voir tout ce qui a déjà été fait. C’est très positif. Je ne minimise pas mon énergie pour obtenir un résultat car je dois pousser de nombreuses portes, repousser des barrières à cause de mon handicap. Je pense que c’est ça le plus énergivore dans ma vie : trouver à chaque fois une adaptation, un moyen pour moi, qui suis une personne différente, de faire partie de la société et faire en sorte que ce ne soit pas à la société qui doive s’adapter à moi. Je dois toujours repartir à l’attaque pour retenter l’intégration à 200%. C’est un combat de tous les jours, une façon de vivre. Je pourrais rester dans mon fauteuil toute la journée, vivre de mes allocations d’handicapé, ne rien faire de ma vie et regarder les « Anges de la réalité » (rires). Ce n’est pas du tout quelque chose qui m’attire, je n’ai pas cette envie-là. J’ai la chance d’avoir une mère très présente et des frères qui sont toujours là pour moi. Ma force, c’est aussi ma fratrie, et même si j’ai toujours été le troisième ou la roue de rechange, je me suis pris autant de baffes comme les autres. Ils ne m’ont pas considéré comme quelqu’un d’handicapé que du contraire, et c’est ça qui m’a forgé aussi.
Véronique : D’autant que vous ne choisissez pas la facilité. Vous avez décidé de suivre des études de droits à l’université et de koter à Louvain-la-Neuve…
Véronique : On aurait pu appeler votre documentaire « La détermination de Victor »
Christophe Hermans : Oui, ou l’émancipation de Victor...
Victor : … A chaque fois que je regarde le documentaire, je me rends compte que lorsque j’ai fini un défi, j’en cherche un nouveau. Ça peut être épuisant pour les gens qui m’entourent. Je ne suis jamais à bout d’énergie pour entamer de nouvelles choses.
La sortie de ce documentaire est l’occasion pour moi de me poser, de voir le chemin parcouru. C’est impressionnant parce que forcément, on a le nez dans le guidon, on vit à 180 à l’heure et on n’a pas vraiment le temps de voir tout ce qui a déjà été fait. C’est très positif. Je ne minimise pas mon énergie pour obtenir un résultat car je dois pousser de nombreuses portes, repousser des barrières à cause de mon handicap. Je pense que c’est ça le plus énergivore dans ma vie : trouver à chaque fois une adaptation, un moyen pour moi, qui suis une personne différente, de faire partie de la société et faire en sorte que ce ne soit pas à la société qui doive s’adapter à moi. Je dois toujours repartir à l’attaque pour retenter l’intégration à 200%. C’est un combat de tous les jours, une façon de vivre. Je pourrais rester dans mon fauteuil toute la journée, vivre de mes allocations d’handicapé, ne rien faire de ma vie et regarder les « Anges de la réalité » (rires). Ce n’est pas du tout quelque chose qui m’attire, je n’ai pas cette envie-là. J’ai la chance d’avoir une mère très présente et des frères qui sont toujours là pour moi. Ma force, c’est aussi ma fratrie, et même si j’ai toujours été le troisième ou la roue de rechange, je me suis pris autant de baffes comme les autres. Ils ne m’ont pas considéré comme quelqu’un d’handicapé que du contraire, et c’est ça qui m’a forgé aussi.
Véronique : D’autant que vous ne choisissez pas la facilité. Vous avez décidé de suivre des études de droits à l’université et de koter à Louvain-la-Neuve…
Christophe Hermans : Il y a aussi une idée de milieu, de territoire. Les parents de Victor sont agriculteurs, ses frères reprennent la ferme et Victor est celui qui décide d’aller faire un master à l’université. Va-t-il être capable de faire des études ? Cette question ne se pose pas que par rapport à son handicap mais aussi par rapport à ses capacités intellectuelles. Il a baigné dans un univers très sain, ses parents l’ont fait grandir dans un cocon tout en lui ouvrant la porte des arts. On voit dans le documentaire que Victor fait du piano mais il aime aussi cuisiner, jardiner, il fait plein de choses et est ouvert sur beaucoup de choses. Il a pris un chemin différent et ça rend sa famille fière. Il est le seul à faire de telles études!
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Victor : Dans ma famille nombreuse, chacun a dû trouver sa place, son utilité. Pour ma part, je sais que je ne pourrai pas conduire de tracteur, que je ne pourrai pas aider à la ferme. Il a donc fallu que je trouve mon petit plus à moi, ce qui va me permettre de vivre et d’être autonome. Je peux compter sur ma famille mais je dois aussi trouver ma place, mon travail. Ce qui importe chez les jeunes d’aujourd’hui, c’est d’être ancré dans quelque chose de réaliste, dans une passion, dans un « bien vivre ». Mon éducation fait que chez nous, ce qui est important c’est de vivre par le travail et c’est ce qui me donne l’énergie de faire des études ou de travailler. Je n’ai jamais voulu rater une année à l’université parce que je ne voulais pas que mon handicap minimise un échec éventuel. Si je rate, c’est par manque de travail, pas à cause de mon handicap. J’ai eu la chance d’avoir rencontré des instituteurs et des profs compréhensifs et qui croyaient en moi mais ça n’a pas toujours été le cas.
Quand je cherchais une école pour entamer mes secondaires, ma maman a téléphoné à l’école où mon frère était scolarisé pour savoir s’ils pouvaient m’accepter et comment se ferait l’intégration. Ils lui ont demandé s’il n’existait pas des écoles spéciales pour cela et on a tout de suite compris que ça n’irait pas, que ce n’est pas là que je devais aller… et puis, je ne voulais pas non plus être le « petit frère de » alors j’ai trouvé une école où je suis parvenu à me faire une place et où les gens m’ont accepté pour ce que j’étais. Mes vrais amis sont ceux qui me permettent d’être moi-même et qui ne voient pas que mon handicap. Mon plus gros échec, c’est quand on ne me comprend pas ou quand on ne me fait pas confiance. Si je prends un couteau, je ne vais pas me couper avec… Je vis seul, je sais me débrouiller!
Véronique : Dans votre documentaire, vous laissez aussi la parole à l’entourage de Victor, à sa maman, à ceux qui font partie de son environnement et vous avez réussi à montrer comment ils réagissent aussi face à son handicap, ses choix de vie, son émancipation …
Christophe Hermans : Dans tous mes documentaires je traite beaucoup de la relation entre le parent et l’enfant ou l’adolescent. On sent ici que la maman de Victor porte aussi le souci de son fils et je dirais même qu’elle a le même déni que lui. Il y a cette question posée sur sa vision de Victor dans 5 ans et elle répond qu’elle ne sait pas. Je pense qu’elle le sait très bien mais elle préfère dire que non. Elle a une idée du parcours qui l’attend.
Maintenant, ce qui est super avec Victor, c’est qu’il est imprévisible. On croit qu’il va emprunter un chemin mais il va en prendre un autre. Je ne sais pas ce qui lui résiste. Encore aujourd’hui, il m’annonce qu’il va poursuivre ses études au Luxembourg, dans un cursus en anglais alors qu’on voit qu’au début du film que l’anglais, ce n’est pas tout à fait ça pour lui (rires) … Je trouve ça beau parce qu’effectivement les adolescents ont du mal à savoir ce qu’ils veulent faire, ils ont parfois une vision pessimiste, une envie de laisser aller ou alors ils rendent tout le monde responsable de leur malheur alors que Victor c’est tout le contraire. Il a tellement un poids sur ses épaules, une épée de Damoclès sur sa tête qu’il choisit de ne jamais se plaindre. Il a un caractère de cochon – ça, c’est lui qui le dit – mais ça lui permet d’avancer.
C’est le message que j’aimerais faire passer par mon film, que Victor est un héros du quotidien, quelqu’un qui n’est pas hors norme. Il n’a pas plus de capacités intellectuelles qu’un autre, il a une famille aimante comme beaucoup d’autres l’ont aussi mais lui, il a handicap lourd. Venir aujourd’hui ici avec son chien, dans un environnement qu’il ne connait pas, ça peut être une grande difficulté pour lui mais il est là, il l’affronte et je trouve cela admirable, à l’image de son parcours. J’avais envie d’en faire une figure de héros pour la première fois, notamment avec l’image du relais dans le triathlon. Il y a peut-être un petit côté grandiloquent, je le conçois, mais en même temps, il y a ce retour à la réalité après où Victor dit qu’il sera toujours un martien pour les autres mais que ça ne l’empêchera pas d’avancer.
Quand je cherchais une école pour entamer mes secondaires, ma maman a téléphoné à l’école où mon frère était scolarisé pour savoir s’ils pouvaient m’accepter et comment se ferait l’intégration. Ils lui ont demandé s’il n’existait pas des écoles spéciales pour cela et on a tout de suite compris que ça n’irait pas, que ce n’est pas là que je devais aller… et puis, je ne voulais pas non plus être le « petit frère de » alors j’ai trouvé une école où je suis parvenu à me faire une place et où les gens m’ont accepté pour ce que j’étais. Mes vrais amis sont ceux qui me permettent d’être moi-même et qui ne voient pas que mon handicap. Mon plus gros échec, c’est quand on ne me comprend pas ou quand on ne me fait pas confiance. Si je prends un couteau, je ne vais pas me couper avec… Je vis seul, je sais me débrouiller!
Véronique : Dans votre documentaire, vous laissez aussi la parole à l’entourage de Victor, à sa maman, à ceux qui font partie de son environnement et vous avez réussi à montrer comment ils réagissent aussi face à son handicap, ses choix de vie, son émancipation …
Christophe Hermans : Dans tous mes documentaires je traite beaucoup de la relation entre le parent et l’enfant ou l’adolescent. On sent ici que la maman de Victor porte aussi le souci de son fils et je dirais même qu’elle a le même déni que lui. Il y a cette question posée sur sa vision de Victor dans 5 ans et elle répond qu’elle ne sait pas. Je pense qu’elle le sait très bien mais elle préfère dire que non. Elle a une idée du parcours qui l’attend.
Maintenant, ce qui est super avec Victor, c’est qu’il est imprévisible. On croit qu’il va emprunter un chemin mais il va en prendre un autre. Je ne sais pas ce qui lui résiste. Encore aujourd’hui, il m’annonce qu’il va poursuivre ses études au Luxembourg, dans un cursus en anglais alors qu’on voit qu’au début du film que l’anglais, ce n’est pas tout à fait ça pour lui (rires) … Je trouve ça beau parce qu’effectivement les adolescents ont du mal à savoir ce qu’ils veulent faire, ils ont parfois une vision pessimiste, une envie de laisser aller ou alors ils rendent tout le monde responsable de leur malheur alors que Victor c’est tout le contraire. Il a tellement un poids sur ses épaules, une épée de Damoclès sur sa tête qu’il choisit de ne jamais se plaindre. Il a un caractère de cochon – ça, c’est lui qui le dit – mais ça lui permet d’avancer.
C’est le message que j’aimerais faire passer par mon film, que Victor est un héros du quotidien, quelqu’un qui n’est pas hors norme. Il n’a pas plus de capacités intellectuelles qu’un autre, il a une famille aimante comme beaucoup d’autres l’ont aussi mais lui, il a handicap lourd. Venir aujourd’hui ici avec son chien, dans un environnement qu’il ne connait pas, ça peut être une grande difficulté pour lui mais il est là, il l’affronte et je trouve cela admirable, à l’image de son parcours. J’avais envie d’en faire une figure de héros pour la première fois, notamment avec l’image du relais dans le triathlon. Il y a peut-être un petit côté grandiloquent, je le conçois, mais en même temps, il y a ce retour à la réalité après où Victor dit qu’il sera toujours un martien pour les autres mais que ça ne l’empêchera pas d’avancer.
Victor : Je pense aussi que ma personnalité peut être clivante pour certaines personnes parce qu’à force d’aller chercher de l’énergie ou les conflits, j’agace aussi les gens, sans doute aussi parce qu’ils peuvent ne pas se reconnaître en moi. Je suis exigeant avec moi mais avec mes amis aussi. Je les ménage mais à un moment, je suis tellement investi à 100% dans tout, que je le suis aussi dans mes relations... C’est quelque chose qui m’a causé du tort plusieurs fois dans mes relations d’amitié... |
Véronique : J’ai relevé une phrase forte dans votre documentaire, celle où Victor dit être dégouté par les gens qui tiennent une canne blanche. C’est étonnant…
Christophe Hermans : Oui, je suis d’accord avec vous mais après, il y a cette question de la psy qui lui demande s’il s’aime. Le propos est dur et je crois que Victor est d’accord avec ça, mais c’est parce que ce constat le renvoie en fait à lui-même.
Victor : C’est là toute la justesse du documentaire. Tout ce qui montre que rien n’est joué, que c’est moi. Je suis dur avec moi, avec les autres et là, ça se voit. Je n’aime pas le handicap et les aménagements que ça demande. À part au ski où je bénéficie d’une aide pour malvoyant, ce n’est pas quelque chose que je fais quotidiennement. D’ailleurs, je ne fréquente pas le milieu des malvoyants. Certains ont besoin d’être entre eux pour vivre une communauté mais moi, je ne supporte pas cela. Je suis un jeune homme qui vit sa vie, j’entame mon deuxième master, je veux être confronté au marché du travail comme tout le monde. On m’a proposé un boulot il y a peu parce qu’il fallait remplir un quota d’embauche de personnes handicapées et j’ai refusé. Je veux finir mes études, chercher un travail où je vais pouvoir être compétitif. Ce sont des étapes supplémentaires et je sais qu’il faut un sacré caractère pour refuser un job, mais là, la proposition s’est faite pour de mauvaises raisons et je n’en avais aucune de l’accepter. J’existe en dehors de mon handicap et son acceptation n’est pas encore totalement digérée. J’ai appris à vivre avec, en faire une force mais au fond, je le trouverai toujours profondément injuste.
Véronique : Vous êtes admiratif de Victor ?
Christophe Hermans : Outre le film, je suis admiratif de l’homme qu’il est devenu. Il fait partie des gens que l’on rencontre et dont on sait que ce sont des belles personnes. On a besoin de rencontrer des gens comme lui pour nous permettre d’avancer nous aussi. Ce que Victor m’a offert me fait avancer dans ma vie de tous les jours. C’est le protagoniste du film mais c’est surtout quelqu’un de proche. On s’est confié, il m’a aidé, écouté tout simplement et c’est en cela que le film dépasse la fiction.
Véronique : Il y a un grand jeu de confiance entre vous deux et là, il va falloir faire confiance au public qui va découvrir votre histoire…
Christophe Hermans : C’est ce que je disais à Victor il n'y a pas longtemps. On a fait ce travail ensemble mais aujourd’hui, plus rien ne nous appartient. Victor et ses parents ont vu le film, maintenant je sais l’appréhension qu’il peut y avoir dans un public. Notre relation se voit dans le film, sa bienveillance aussi et je suis prêt à accepter ce qu’il va se passer. Ce documentaire, c’est sa vie sous mon prisme, les regards que les gens y porteront ne seront que des interprétations...
Victor : ... On va interpréter ma vie en sortant de ce film mais je sais maintenant que les images capturées ne nous appartiennent plus et je n’ai pas peur de cela. La vie est trop courte pour avoir plusieurs vies différentes, je n’en ai qu’une et je la vis intensément. Chez moi comme à Louvain-la-Neuve c’est partout pareil et je suis fier des actes que je porte. Le principal, c’est d’être en accord avec moi-même et c’est ce qui fait que je suis heureux.
Véronique : Si Victor est boulimique de la vie, vous, vous semblez l’être dans le travail. Quand je vois votre filmographie, vous n’avez jamais arrêté : documentaires, fictions, les projets s’enchainent…
Christophe Hermans : Je suis boulimique dans le travail mais je suis surtout boulimique du genre humain. J’ai envie de filmer plein de choses, de rencontrer plein de gens. Je n’ai pas l’impression d’avoir un rythme rapide mais je ne suis pas quelqu’un qui se repose sur ses lauriers, j’ai au contraire toujours envie de construire. Où j’ai plus de mal, c’est d’être en festival, de jouer une carte qui ne me ressemble pas trop parce que je suis plutôt de l’intime et j’ai toujours du mal de parler de mon travail ou de vivre des moments où je dois avoir un rapport au public, aux médias. J’ai effectivement envie de raconter plein d’histoires, de rencontrer des gens tous les jours... Je suis retourné dans la fiction - ce que je n’avais plus fait depuis 2011 - parce qu’il fallait que je traite d’un sujet particulier - la bipolarité de ma mère - et grâce à cela, j’ai pu travailler avec des comédiennes fabuleuses pour le film, j’ai retrouvé goût à cela et je pense que le film parle derrière.
Pour « Victor », je sais que ce film ne peut exister que par les autres documentaires que j’ai faits. J’essaie d’aller de plus en plus dans l’humour, j’évolue avec le temps. On me demande pourquoi à un moment, j’ai dirigé le film vers sa mère. A cela, je réponds que c’est peut-être parce que j’ai enterré la mienne durant le montage du film et que d’une certaine manière, j’ai voulu rendre hommage à tout ce qu’elle a fait pour moi. Il y a un côté cathartique dans ce que nous faisons et peut-être que la relation qu’entretient Victor avec la sienne est ce que j’aurais voulu vivre avec la mienne.
Victor : Avec ma mère, c’est amour-haine. C’est incompréhensible par moments (rires). J’ai une grande chance d’avoir ma mère et ma grand-mère, je vois qu’on a des caractères semblables. On aime trop l’humain et les gens que pour être fâchés. Je ne sais pas être rancunier… Les gens peuvent faire et dire ce qu’ils veulent du film, je m’en fous. Je n’ai jamais pas juger l’image. La culture de Snapchat et des autres moyens de communiquer par l’image, je ne la possède pas du tout. Ce sont des codes qui m’échappent. Je me fiche totalement du paraître puisque je ne joue pas là-dedans. Je vis ma vie de mon côté et je le vis bien.
Christophe Hermans : Oui, je suis d’accord avec vous mais après, il y a cette question de la psy qui lui demande s’il s’aime. Le propos est dur et je crois que Victor est d’accord avec ça, mais c’est parce que ce constat le renvoie en fait à lui-même.
Victor : C’est là toute la justesse du documentaire. Tout ce qui montre que rien n’est joué, que c’est moi. Je suis dur avec moi, avec les autres et là, ça se voit. Je n’aime pas le handicap et les aménagements que ça demande. À part au ski où je bénéficie d’une aide pour malvoyant, ce n’est pas quelque chose que je fais quotidiennement. D’ailleurs, je ne fréquente pas le milieu des malvoyants. Certains ont besoin d’être entre eux pour vivre une communauté mais moi, je ne supporte pas cela. Je suis un jeune homme qui vit sa vie, j’entame mon deuxième master, je veux être confronté au marché du travail comme tout le monde. On m’a proposé un boulot il y a peu parce qu’il fallait remplir un quota d’embauche de personnes handicapées et j’ai refusé. Je veux finir mes études, chercher un travail où je vais pouvoir être compétitif. Ce sont des étapes supplémentaires et je sais qu’il faut un sacré caractère pour refuser un job, mais là, la proposition s’est faite pour de mauvaises raisons et je n’en avais aucune de l’accepter. J’existe en dehors de mon handicap et son acceptation n’est pas encore totalement digérée. J’ai appris à vivre avec, en faire une force mais au fond, je le trouverai toujours profondément injuste.
Véronique : Vous êtes admiratif de Victor ?
Christophe Hermans : Outre le film, je suis admiratif de l’homme qu’il est devenu. Il fait partie des gens que l’on rencontre et dont on sait que ce sont des belles personnes. On a besoin de rencontrer des gens comme lui pour nous permettre d’avancer nous aussi. Ce que Victor m’a offert me fait avancer dans ma vie de tous les jours. C’est le protagoniste du film mais c’est surtout quelqu’un de proche. On s’est confié, il m’a aidé, écouté tout simplement et c’est en cela que le film dépasse la fiction.
Véronique : Il y a un grand jeu de confiance entre vous deux et là, il va falloir faire confiance au public qui va découvrir votre histoire…
Christophe Hermans : C’est ce que je disais à Victor il n'y a pas longtemps. On a fait ce travail ensemble mais aujourd’hui, plus rien ne nous appartient. Victor et ses parents ont vu le film, maintenant je sais l’appréhension qu’il peut y avoir dans un public. Notre relation se voit dans le film, sa bienveillance aussi et je suis prêt à accepter ce qu’il va se passer. Ce documentaire, c’est sa vie sous mon prisme, les regards que les gens y porteront ne seront que des interprétations...
Victor : ... On va interpréter ma vie en sortant de ce film mais je sais maintenant que les images capturées ne nous appartiennent plus et je n’ai pas peur de cela. La vie est trop courte pour avoir plusieurs vies différentes, je n’en ai qu’une et je la vis intensément. Chez moi comme à Louvain-la-Neuve c’est partout pareil et je suis fier des actes que je porte. Le principal, c’est d’être en accord avec moi-même et c’est ce qui fait que je suis heureux.
Véronique : Si Victor est boulimique de la vie, vous, vous semblez l’être dans le travail. Quand je vois votre filmographie, vous n’avez jamais arrêté : documentaires, fictions, les projets s’enchainent…
Christophe Hermans : Je suis boulimique dans le travail mais je suis surtout boulimique du genre humain. J’ai envie de filmer plein de choses, de rencontrer plein de gens. Je n’ai pas l’impression d’avoir un rythme rapide mais je ne suis pas quelqu’un qui se repose sur ses lauriers, j’ai au contraire toujours envie de construire. Où j’ai plus de mal, c’est d’être en festival, de jouer une carte qui ne me ressemble pas trop parce que je suis plutôt de l’intime et j’ai toujours du mal de parler de mon travail ou de vivre des moments où je dois avoir un rapport au public, aux médias. J’ai effectivement envie de raconter plein d’histoires, de rencontrer des gens tous les jours... Je suis retourné dans la fiction - ce que je n’avais plus fait depuis 2011 - parce qu’il fallait que je traite d’un sujet particulier - la bipolarité de ma mère - et grâce à cela, j’ai pu travailler avec des comédiennes fabuleuses pour le film, j’ai retrouvé goût à cela et je pense que le film parle derrière.
Pour « Victor », je sais que ce film ne peut exister que par les autres documentaires que j’ai faits. J’essaie d’aller de plus en plus dans l’humour, j’évolue avec le temps. On me demande pourquoi à un moment, j’ai dirigé le film vers sa mère. A cela, je réponds que c’est peut-être parce que j’ai enterré la mienne durant le montage du film et que d’une certaine manière, j’ai voulu rendre hommage à tout ce qu’elle a fait pour moi. Il y a un côté cathartique dans ce que nous faisons et peut-être que la relation qu’entretient Victor avec la sienne est ce que j’aurais voulu vivre avec la mienne.
Victor : Avec ma mère, c’est amour-haine. C’est incompréhensible par moments (rires). J’ai une grande chance d’avoir ma mère et ma grand-mère, je vois qu’on a des caractères semblables. On aime trop l’humain et les gens que pour être fâchés. Je ne sais pas être rancunier… Les gens peuvent faire et dire ce qu’ils veulent du film, je m’en fous. Je n’ai jamais pas juger l’image. La culture de Snapchat et des autres moyens de communiquer par l’image, je ne la possède pas du tout. Ce sont des codes qui m’échappent. Je me fiche totalement du paraître puisque je ne joue pas là-dedans. Je vis ma vie de mon côté et je le vis bien.