Interview de Jean-Pierre Jeunet
Invité d'honneur du Festival 2 Cinéma de Valenciennes
-23 mars 2019-
Invité d'honneur du Festival 2 Cinéma de Valenciennes
-23 mars 2019-
Jean-Pierre Jeunet. Voilà un cinéaste qu’on ne doit plus présenter tant il a marqué le septième art de son empreinte artistique singulière. Mais que sait-on au fond du papa d’Amélie Poulain, de celui qui a traversé l’Atlantique pour tourner avec Sigourney Weaver et Winona Ryder ou fait vivre des aventures extraordinaires à un tout jeune inventeur issu de l’imaginaire de Reif Larsen? Invité d'honneur du Festival 2 Valenciennes, le célèbre réalisateur français nous a accordé un peu de son temps, l'occasion d'évoquer son livre « Je me souviens… (500 anecdotes de tournage » , quelques anecdotes et souvenirs de tournage mais aussi sa vision du cinéma , ses collaborateurs et quelques-uns de ses acteurs.
Heureux d'être de passage à Valenciennes, notre entrevue commence de façon on ne peut plus décontractée. En effet, à son arrivée dans la pièce et lorsque l’attachée de presse du festival nous présente en tant que média belge, Jean-Pierre Jeunet se lance dans une première anecdote amusante. Le ton est donné... |
JP Jeunet : Ah, les belges ! Je me souviens qu'un journaliste belge m’a scotché il y a quelques années lorsque je faisais une tournée de promotion pour un de mes films, Durant de longues minutes, il s’est mis à me raconter l’histoire de mon film. Les deux autres journalistes qui étaient avec lui hallucinaient et se rendaient compte du temps précieux qui filait. Lorsqu’il a fini par arrêter de parler, je lui ai demandé quelle était sa question ? Et lui de me répondre: "Jean-Pierre Jeunet, pouvez-vous développer ? "(Rires)
Véronique : Je vous rassure, on a potassé et on ne va pas vous faire le coup de raconter vos films l’un après l’autre sinon, on resterait ici toute l’après-midi. D’ailleurs, on vous propose de revenir sur certaines étapes de votre vie, de votre filmographie, comme vous l’avez fait dans « Je me souviens… » qu’on a dévoré…
JP Jeunet : C’est vrai ? Tout est là-dedans du coup, je n’ai plus grand-chose à vous dire. Au revoir et merci (rires). Il y en a un autre si vous voulez compléter votre lecture, c’est un peu le catalogue de l’exposition qui est présentée pour l’instant à Lyon et que je vous recommande. Il est sorti chez Dargaux et il reprend plein d’illustrations, des interviews… J'ai essayé de faire en sorte qu’il n’y ait pas de doublons entre les deux. Véronique : Pour qui aime aller à la rencontre des gens, des acteurs du cinéma, des cinéastes, votre livre permet cela. Une fois qu’on le commence, on ne peut plus le déposer, si bien qu’on passe quatre heures en votre compagnie… JP Jeunet : C’est cool, merci beaucoup ! Véronique : Du coup, on vous propose de revenir sur certaines des anecdotes que vous avez évoquées dans ce livre et de faire découvrir à notre lectorat qui se cache derrière le nom de Jean-Pierre Jeunet. |
JP Jeunet : Super. Je vais essayer de ne pas radoter du coup (rires)
Véronique : Si on veut commencer par le début, on a relevé trois éléments déclencheurs qui ont fait de vous le cinéaste d’aujourd’hui. Cette idée vous vient à l’esprit lorsqu’un ami de vos parents vous fait essayer sa Super 8 alors que vous n’êtes encore qu’un jeune adolescent…
JP Jeunet : C’est un moment inoubliable ! C’est une vraie prise de conscience. Jusqu’ici, le rêve de devenir metteur en scène est quelque chose d’abstrait mais cette révélation tient dans un objet en plastique. J’ai eu des éclairs qui me sont tombés dessus et j’ai travaillé pour pouvoir m’acheter une caméra et devenir metteur en scène. C’est aussi simple que ça : qui a une caméra peut devenir metteur en scène.
Véronique : Si on veut commencer par le début, on a relevé trois éléments déclencheurs qui ont fait de vous le cinéaste d’aujourd’hui. Cette idée vous vient à l’esprit lorsqu’un ami de vos parents vous fait essayer sa Super 8 alors que vous n’êtes encore qu’un jeune adolescent…
JP Jeunet : C’est un moment inoubliable ! C’est une vraie prise de conscience. Jusqu’ici, le rêve de devenir metteur en scène est quelque chose d’abstrait mais cette révélation tient dans un objet en plastique. J’ai eu des éclairs qui me sont tombés dessus et j’ai travaillé pour pouvoir m’acheter une caméra et devenir metteur en scène. C’est aussi simple que ça : qui a une caméra peut devenir metteur en scène.
J’essaie de communiquer cela aux étudiants parce que souvent, ils me demandent ce qu’il faut faire pour devenir metteur en scène et la question que je leur pose alors est « Est-ce que tu veux être ou est-ce que tu veux faire ? » C’est différent. Si tu veux faire des films, tu prends un téléphone, un ordinateur et tu le fais. A l’époque, c’était plus compliqué car la pellicule coutait cher. Le plus important, c’est de prendre plaisir à le faire. Aujourd’hui, ça parait plus difficile de faire des films, de les monter mais parfois, il suffit de prendre des petites bestioles, de les animer et ça donne des petits films. J’ai fait il n’y a pas longtemps « Deux escargots s’en vont », on l’a mis sur youtube et on a fait 20 000 vues. C’est pas énorme mais c’est le plaisir de faire quelque chose et si je le fais, je suis content.
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Véronique : On sent que vous aimez cela, mais que vous aimez le cinéma en général. Avant la découverte de l’objet caméra, vous regardez des films et avez une vraie passion cinéphile…
JP Jeunet : Oui c’est vrai ! C’est rare d’avoir une vocation, je ne savais même pas que ce mot existait quand j’étais môme mais je voyais des films le dimanche après-midi avec mes parents et ça me plaisait. Mais celui qui a tout déclenché, c’est « Il était une fois dans l’Ouest ». Quand j’avais 16 ou 17 ans, je lisais beaucoup de bouquins de cinéma. A la bibliothèque du lycée Pointcaré de Nancy, il y avait des ouvrages tout au-dessus des étagères et le mec qui me les passait devait même souffler dessus tellement il y avait de la poussière. On voyait des photos avec un réalisateur qui tenait une caméra sur une grue, etc. Je les demandais pour avoir des informations sur le monde du cinéma parce qu’on en avait peu. Il n’y avait pas encore Internet, pas de making of, rien alors, on faisait comme on pouvait. J’achetais aussi des livres écrits par des intellos ou des critiques auxquels je ne comprenais rien pour avoir quelques photos… On ne se rend pas compte de cela et pourtant, ce n’était pas le Moyen-Age, c’était il y a 40-50 ans.
François : On a l’impression, en regardant vos films, que vous prenez tout ce qui vous fascinait dans le cinéma d’avant, que vous faites des références à cette cinéphile qui vous est chère. L’importance des plans rapprochés chez Sergio Leone, la voix off…
JP Jeunet : Oui, bien sûr ! C’est Sergio Leone qui disait que le vrai sujet de ses films, c’est le cinéma. Pour moi, c’est la même chose. Je prends beaucoup de plaisir à faire des films. Hitchcock avait dit ceci « il y a des gens qui font des tranches de vie, moi je fais des tranches de gâteau ». Je suis d’accord avec lui, je fais des tranches de gâteau aussi. Je n’ai aucun message à apporter, il y a des gens plus intelligents que moi pour faire ça. Moi, je prends plaisir à raconter certaines histoires d’une certaine manière avec un visuel qui me plait et s’il y a des gens pour l’apprécier, ce n’est que tant mieux. Ce que je fais, je le fais avant tout pour moi, pour me faire plaisir. Après, on est comme des chefs de cuisine, si on peut le partager et que quelqu’un d’autre a le même goût que nous, tant mieux pour nous. Ça me ferait de la peine si quelqu’un le trouvait dégueulasse mais je ne le fais pas pour que ça plaise ou non, je le fais parce que ça me plait à moi.
Véronique: Après le déclic « Il était une fois dans l’Ouest » de Leone et celui de la caméra, il y en a eu un troisième : les courts-métrages de Peter Foldes et Piotr Kamler…
JP Jeunet : Il faut dire que c’était plus facile à faire aussi. Quand vous êtes seul, que vous habitez Nancy et que vous n’avez qu’une caméra Super 8, on ne peut pas faire ce qu’on veut. Il y avait un petit trou dans la caméra avec un déclencheur, on mettait un petit fil et on déclenchait image par image. J’ai donc commencé à faire de l’animation par facilité. On n’a pas besoin de dialogues, de copains ou d’acteurs… Je l’explique dans le livre mais j’ai découvert Peter et Piotr lorsque j’installais des centrales téléphoniques dans l’Est de la France. Je connaissais bien Tex Avery, Tom et Jerry ou Disney mais voir leurs films, ça a été une vraie révélation pour moi. Je me suis dit que c’était ça que je voulais faire !
François : Dans vos films, vous arrivez à mêler le système D pour rendre vos idées possibles et les technologies...
JP Jeunet : Oui, parce qu’autrefois, on faisait tout nous-mêmes, on connaissait le métier. Après, avec le temps, les outils ont changé, le numérique est arrivé et on a été dépassé. Ce n’est pas grave mais c’est moins drôle qu’avant lorsqu’on faisait tout. Maintenant, on s’adresse à des gens qui savent le faire pour nous et ça parait plus facile puisqu’il suffit qu’on dise ce qu’on veut pour que ces gars-là le fassent à notre place. Après, sur le plateau, il vaut quand même mieux s’y connaître un peu si on veut que ça fonctionne. Le numérique n’est qu’un outil, l’important c’est l’imagination. Il y a des gens qui rejettent cela mais rien ne remplace rien. Le numérique ne va pas remplacer tout ce qu’on faisait avant. Le cinéma n’a pas remplacé le théâtre… Les choses s’additionnent, forment des couches mais rien n’a jamais tué autre chose. Je vous prends un exemple : il existe à présent des acteurs de synthèse mais il y aura toujours de vrais acteurs, au théâtre ou au cinéma pour leur faire face. Tout comme on fait toujours des films en noir et blanc même si ça fait des dizaines d’années qu’on tourne en couleurs. Il ne faut pas avoir peur de la technologie et l’avenir, c’est un plus.
Véronique: Avant les longs-métrages, vous avez réalisé beaucoup de publicités ou de clips. Et c’est là que vous rencontrez une partie de votre équipe technique et de vos futurs comédiens…
JP Jeunet : Disons que lorsqu’on rencontre un bon technicien, on fait tout pour le garder. Ce n’est pas tout à fait pareil pour les acteurs. Ça demande un certain temps pour établir une connivence, une relation de confiance et c’est donc toujours mieux de garder des gens qui partagent votre façon de travailler. Il y a des metteurs en scène qui aiment changer… j’ai du mal à les comprendre. Clint Eastwood travaille depuis des années avec la même équipe… mais il perd ses collaborateurs non pas parce qu’il veut changer mais parce qu’ils meurent (rires).
JP Jeunet : Oui c’est vrai ! C’est rare d’avoir une vocation, je ne savais même pas que ce mot existait quand j’étais môme mais je voyais des films le dimanche après-midi avec mes parents et ça me plaisait. Mais celui qui a tout déclenché, c’est « Il était une fois dans l’Ouest ». Quand j’avais 16 ou 17 ans, je lisais beaucoup de bouquins de cinéma. A la bibliothèque du lycée Pointcaré de Nancy, il y avait des ouvrages tout au-dessus des étagères et le mec qui me les passait devait même souffler dessus tellement il y avait de la poussière. On voyait des photos avec un réalisateur qui tenait une caméra sur une grue, etc. Je les demandais pour avoir des informations sur le monde du cinéma parce qu’on en avait peu. Il n’y avait pas encore Internet, pas de making of, rien alors, on faisait comme on pouvait. J’achetais aussi des livres écrits par des intellos ou des critiques auxquels je ne comprenais rien pour avoir quelques photos… On ne se rend pas compte de cela et pourtant, ce n’était pas le Moyen-Age, c’était il y a 40-50 ans.
François : On a l’impression, en regardant vos films, que vous prenez tout ce qui vous fascinait dans le cinéma d’avant, que vous faites des références à cette cinéphile qui vous est chère. L’importance des plans rapprochés chez Sergio Leone, la voix off…
JP Jeunet : Oui, bien sûr ! C’est Sergio Leone qui disait que le vrai sujet de ses films, c’est le cinéma. Pour moi, c’est la même chose. Je prends beaucoup de plaisir à faire des films. Hitchcock avait dit ceci « il y a des gens qui font des tranches de vie, moi je fais des tranches de gâteau ». Je suis d’accord avec lui, je fais des tranches de gâteau aussi. Je n’ai aucun message à apporter, il y a des gens plus intelligents que moi pour faire ça. Moi, je prends plaisir à raconter certaines histoires d’une certaine manière avec un visuel qui me plait et s’il y a des gens pour l’apprécier, ce n’est que tant mieux. Ce que je fais, je le fais avant tout pour moi, pour me faire plaisir. Après, on est comme des chefs de cuisine, si on peut le partager et que quelqu’un d’autre a le même goût que nous, tant mieux pour nous. Ça me ferait de la peine si quelqu’un le trouvait dégueulasse mais je ne le fais pas pour que ça plaise ou non, je le fais parce que ça me plait à moi.
Véronique: Après le déclic « Il était une fois dans l’Ouest » de Leone et celui de la caméra, il y en a eu un troisième : les courts-métrages de Peter Foldes et Piotr Kamler…
JP Jeunet : Il faut dire que c’était plus facile à faire aussi. Quand vous êtes seul, que vous habitez Nancy et que vous n’avez qu’une caméra Super 8, on ne peut pas faire ce qu’on veut. Il y avait un petit trou dans la caméra avec un déclencheur, on mettait un petit fil et on déclenchait image par image. J’ai donc commencé à faire de l’animation par facilité. On n’a pas besoin de dialogues, de copains ou d’acteurs… Je l’explique dans le livre mais j’ai découvert Peter et Piotr lorsque j’installais des centrales téléphoniques dans l’Est de la France. Je connaissais bien Tex Avery, Tom et Jerry ou Disney mais voir leurs films, ça a été une vraie révélation pour moi. Je me suis dit que c’était ça que je voulais faire !
François : Dans vos films, vous arrivez à mêler le système D pour rendre vos idées possibles et les technologies...
JP Jeunet : Oui, parce qu’autrefois, on faisait tout nous-mêmes, on connaissait le métier. Après, avec le temps, les outils ont changé, le numérique est arrivé et on a été dépassé. Ce n’est pas grave mais c’est moins drôle qu’avant lorsqu’on faisait tout. Maintenant, on s’adresse à des gens qui savent le faire pour nous et ça parait plus facile puisqu’il suffit qu’on dise ce qu’on veut pour que ces gars-là le fassent à notre place. Après, sur le plateau, il vaut quand même mieux s’y connaître un peu si on veut que ça fonctionne. Le numérique n’est qu’un outil, l’important c’est l’imagination. Il y a des gens qui rejettent cela mais rien ne remplace rien. Le numérique ne va pas remplacer tout ce qu’on faisait avant. Le cinéma n’a pas remplacé le théâtre… Les choses s’additionnent, forment des couches mais rien n’a jamais tué autre chose. Je vous prends un exemple : il existe à présent des acteurs de synthèse mais il y aura toujours de vrais acteurs, au théâtre ou au cinéma pour leur faire face. Tout comme on fait toujours des films en noir et blanc même si ça fait des dizaines d’années qu’on tourne en couleurs. Il ne faut pas avoir peur de la technologie et l’avenir, c’est un plus.
Véronique: Avant les longs-métrages, vous avez réalisé beaucoup de publicités ou de clips. Et c’est là que vous rencontrez une partie de votre équipe technique et de vos futurs comédiens…
JP Jeunet : Disons que lorsqu’on rencontre un bon technicien, on fait tout pour le garder. Ce n’est pas tout à fait pareil pour les acteurs. Ça demande un certain temps pour établir une connivence, une relation de confiance et c’est donc toujours mieux de garder des gens qui partagent votre façon de travailler. Il y a des metteurs en scène qui aiment changer… j’ai du mal à les comprendre. Clint Eastwood travaille depuis des années avec la même équipe… mais il perd ses collaborateurs non pas parce qu’il veut changer mais parce qu’ils meurent (rires).
Les acteurs, ce n’est pas pareil parce que j’aime bien une certaine catégorie d’acteurs, ceux qui ont des tronches, des acteurs de composition comme ceux d’après-guerre. J’aurais adoré travailler avec Louis Jouvet, Michel Simon, Saturnin Fabre pour ne citer que ceux-là. Il y en a encore aujourd’hui et c’est pour cela qu’avec Marc Caro, on reprend souvent les mêmes…
Véronique: Parmi eux, il y a Dominique Pinon qui joue dans chacun de vos films… JP Jeunet : Voilà ! Ça devient presqu’un jeu d’ailleurs, à chaque fois, j’essaie de lui trouver un truc (rires). Il faut dire qu’il y a une nouvelle génération d’acteurs avec laquelle j’ai beaucoup de mal, celle qui n’articule pas. J’aime les acteurs de composition qui articulent, qui sont capables de jouer des personnages qui n’existent pas dans la vie… Le cinéma réaliste m’ennuie terriblement. C’est très à la mode car comme on va vers un cinéma qui ne coûte pas cher, c’est plus facile de faire des histoires sociales qui parlent de pères qui battent leurs enfants, d’inceste ou ce genre de choses… Je ne dis pas qu’il n’en faut pas, loin de là, mais je préfère alors les vrais documentaires à ce genre de fiction. Pourquoi essayer de reproduire la réalité si on ne peut pas faire mieux qu’un bon documentaire ? |
François: Les studios veulent peut-être une certaine sécurité et la folie que vous apportez est peut-être plus difficile à financer ?
JP Jeunet : Je pense surtout que c’est le monde qui a changé. On veut du profit à tout pris alors pourquoi prendre des risques ? Aux Etats-Unis, ce qui marche, c’est l’univers des comics ou les films d’auteurs, même si beaucoup vont chez Netflix. En France, il y a de grosses comédies qui rapportent ou alors des petits films sociaux à 2 millions. On trouve moins des films qui se trouvent entre les deux. Ça a toujours été difficile : Delicatessen, Amélie, personne n’en voulait au départ. Aujourd’hui, on n’est même plus sûr d’y arriver.
Véronique: Surtout qu’à chaque fois, vous apportez un regard original ou novateur. Je prends pour exemple la technique de Vittorio Storaro qui donne un côté orangé à votre film Delicatessen…
JP Jeunet : Et comment! Je ne vous parle même pas de l’esthétisme, ça casse les pieds à tout le monde. Mon agent me dit souvent que mes idées vont être compliquées à concrétiser car j’ai très mauvaise réputation comme vous dites en Belgique. Je suis intransigeant artistiquement et pour les producteurs, c’est un défaut. Ca ne rentre pas dans l’esprit des temps modernes. On s’en fout que ce soit beau, il faut que ce soit rentable. Il y a dix ans, ça aurait été un compliment, maintenant, c’est encombrant. On va peut-être finir aux César, remporter des prix pour l’originalité mais c’est très difficile à financer…
François: Vous avez évoqué Netflix. Vous pensez que ces nouveaux canaux de distribution sont moins frileux et laissent leur chance à ces idées novatrices ?
JP Jeunet : Sans doute oui, c’est devenu une grosse boite de production. Ken Loach disait dans « Le film français » : « Une plateforme qui vous impose une équipe technique et une fin heureuse, vous prive de liberté ». J’ai l’impression que Netflix devient finalement comme les autres studios mais je ne suis pas encore allé les voir donc je ne peux pas le vérifier. Ce que je constate, c’est que Scorsese , Woody Allen, les frères Cohen sont heureux d’y aller, c’est qu’ils ont quelque chose à y gagner…
Véronique: Vos films ont souvent connu des difficultés pour se concrétiser. Quand ce n’est pas un problème d’agenda de votre acteur, ce sont des soucis techniques. Quand on vous lit, on se dit que bien souvent, si vous n’aviez pas bricolé des trucs ou rebondi assez vite, rien n’aurait été finalisé et on n’aurait jamais entendu parler de Jean-Pierre Jeunet…
JP Jeunet : C’est Pierre Granier-Deferre qui disait « on attend avec impatience la catastrophe, comme ça une fois qu’elle est là, on sait qu’elle est déjà derrière ». Il y a des films où c’est tous les jours la catastrophe. C’est compliqué mais en même temps, on adore ça. Il faut trouver des solutions, des astuces et on se sent vivant. C’est comme si on tombait dans l’eau froide et qu’il fallait qu’on bouge sinon on meurt. Je ne me sens jamais autant en forme et vivant que quand je dois affronter des problèmes.
JP Jeunet : Je pense surtout que c’est le monde qui a changé. On veut du profit à tout pris alors pourquoi prendre des risques ? Aux Etats-Unis, ce qui marche, c’est l’univers des comics ou les films d’auteurs, même si beaucoup vont chez Netflix. En France, il y a de grosses comédies qui rapportent ou alors des petits films sociaux à 2 millions. On trouve moins des films qui se trouvent entre les deux. Ça a toujours été difficile : Delicatessen, Amélie, personne n’en voulait au départ. Aujourd’hui, on n’est même plus sûr d’y arriver.
Véronique: Surtout qu’à chaque fois, vous apportez un regard original ou novateur. Je prends pour exemple la technique de Vittorio Storaro qui donne un côté orangé à votre film Delicatessen…
JP Jeunet : Et comment! Je ne vous parle même pas de l’esthétisme, ça casse les pieds à tout le monde. Mon agent me dit souvent que mes idées vont être compliquées à concrétiser car j’ai très mauvaise réputation comme vous dites en Belgique. Je suis intransigeant artistiquement et pour les producteurs, c’est un défaut. Ca ne rentre pas dans l’esprit des temps modernes. On s’en fout que ce soit beau, il faut que ce soit rentable. Il y a dix ans, ça aurait été un compliment, maintenant, c’est encombrant. On va peut-être finir aux César, remporter des prix pour l’originalité mais c’est très difficile à financer…
François: Vous avez évoqué Netflix. Vous pensez que ces nouveaux canaux de distribution sont moins frileux et laissent leur chance à ces idées novatrices ?
JP Jeunet : Sans doute oui, c’est devenu une grosse boite de production. Ken Loach disait dans « Le film français » : « Une plateforme qui vous impose une équipe technique et une fin heureuse, vous prive de liberté ». J’ai l’impression que Netflix devient finalement comme les autres studios mais je ne suis pas encore allé les voir donc je ne peux pas le vérifier. Ce que je constate, c’est que Scorsese , Woody Allen, les frères Cohen sont heureux d’y aller, c’est qu’ils ont quelque chose à y gagner…
Véronique: Vos films ont souvent connu des difficultés pour se concrétiser. Quand ce n’est pas un problème d’agenda de votre acteur, ce sont des soucis techniques. Quand on vous lit, on se dit que bien souvent, si vous n’aviez pas bricolé des trucs ou rebondi assez vite, rien n’aurait été finalisé et on n’aurait jamais entendu parler de Jean-Pierre Jeunet…
JP Jeunet : C’est Pierre Granier-Deferre qui disait « on attend avec impatience la catastrophe, comme ça une fois qu’elle est là, on sait qu’elle est déjà derrière ». Il y a des films où c’est tous les jours la catastrophe. C’est compliqué mais en même temps, on adore ça. Il faut trouver des solutions, des astuces et on se sent vivant. C’est comme si on tombait dans l’eau froide et qu’il fallait qu’on bouge sinon on meurt. Je ne me sens jamais autant en forme et vivant que quand je dois affronter des problèmes.
François: J’imagine que sur le tournage de « Alien », vous avez dû en éprouver quelques-uns. Le fonctionnement américain n’est pas le même que le nôtre, il y a sûrement eu des couacs d’autant qu’il y avait la barrière de la langue…
JP Jeunet : Tout le temps ! A l’époque, je râlais souvent alors que j’avais tout de même un bel espace de liberté. De nos jours, ce n’est plus le cas, le metteur en scène n’est qu’un technicien comme les autres, un employé. Alien, c’est vraiment mon film parce qu’à l’époque, rien ne m’était imposé et c’était encore possible d’apporter sa vision des choses. Ils étaient gonflés parce qu’ils sont allés chercher un metteur en scène français qui ne maîtrise presque pas la langue pour succéder à Ridley Scott, James Cameron et David Fincher. Le film est devenu arty parce que j’avais un esprit européen et malgré cela, ils ont pris le risque. Ce ne serait plus possible aujourd’hui parce que la seule chose qui compte pour les producteurs, c’est que les films plaisent au public et rapportent des millions de dollars. |
Véronique: Cette aventure à l’américaine, vous l’avez vécue différemment des années après avec « TS Spivet »...
JP Jeunet : TS Spivet est un faux film américain, la production était européenne pour garder notre liberté. Après, je suis tombé dans un piège parce que Gaumont a vendu le film à Harvey Wenstein et je savais très bien qu’il voudrait le remonter. Je ne voulais pas qu’il y touche et il m’en a puni puisqu’il a tué le film en le gardant deux ans dans ses tiroirs. Le monde entier n’avait pas le droit de le sortir avant lui…
Véronique: Même pour les festivals, il a empêché des avant-premières et des projections…
JP Jeunet : Oui, à Zurich et à Toronto. Il n’a pas voulu avoir de l’ascendance que sur les femmes, il a voulu l’avoir sur tout le monde. Il fallait qu’il écrase les collaborateurs, les auteurs… C’est un prédateur, il veut dominer tout le monde ! Je l’ai toujours dit, bien avant les scandales sexuels. Il prétend aimer le cinéma mais il lui a fait beaucoup de mal. Enfin, nous voilà tranquilles puisque je ne pense pas qu’il reviendra un jour !
Véronique: Pour revenir à « TS Spivet », on découvre dans votre livre que vous avez du faire tourner le jeune Kyle Catlett en stoemelings comme on dit chez nous parce qu’il avait été engagé sur une série au même moment…
JP Jeunet : TS Spivet est un faux film américain, la production était européenne pour garder notre liberté. Après, je suis tombé dans un piège parce que Gaumont a vendu le film à Harvey Wenstein et je savais très bien qu’il voudrait le remonter. Je ne voulais pas qu’il y touche et il m’en a puni puisqu’il a tué le film en le gardant deux ans dans ses tiroirs. Le monde entier n’avait pas le droit de le sortir avant lui…
Véronique: Même pour les festivals, il a empêché des avant-premières et des projections…
JP Jeunet : Oui, à Zurich et à Toronto. Il n’a pas voulu avoir de l’ascendance que sur les femmes, il a voulu l’avoir sur tout le monde. Il fallait qu’il écrase les collaborateurs, les auteurs… C’est un prédateur, il veut dominer tout le monde ! Je l’ai toujours dit, bien avant les scandales sexuels. Il prétend aimer le cinéma mais il lui a fait beaucoup de mal. Enfin, nous voilà tranquilles puisque je ne pense pas qu’il reviendra un jour !
Véronique: Pour revenir à « TS Spivet », on découvre dans votre livre que vous avez du faire tourner le jeune Kyle Catlett en stoemelings comme on dit chez nous parce qu’il avait été engagé sur une série au même moment…
JP Jeunet : Chaque film a son lot de difficultés mais là, c’était le pompon ! Comme ils ne voulaient pas le lâcher, on a dû faire preuve d’imagination pour tourner sans lui, avec des doublures et ensuite le faire jouer devant un fond vert pour l’intégrer plus tard dans des scènes. Heureusement qu’il était costaud le môme car il faisait des aller et retours en hélicoptère pour retourner travailler à New York. On a vraiment eu peur parce qu’on avait déjà dépensé millions de dollars quand on nous a annoncé que le film était fini, que le gamin ne pouvait plus venir tourner avec nous… Heureusement, on n’a pas fini en prison.
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Véronique: On s’en amuse maintenant mais on a vraiment l’impression que vous avez toujours dû batailler. Et pourtant, vous revenez à chaque fois avec un nouveau projet…
JP Jeunet : Oui, mais vous savez, c’est comme un navigateur en solitaire, c’est difficile d’affronter la peur, les obstacles de la mer, les vagues, mais on y retourne.
Véronique: Et puis, vous êtes très à l’écoute des idées apportées par votre équipe. Que ce soit un comédien qui vous propose d’embaucher son fils pour jouer son personnage jeune, un technicien qui vous suggère un jeune compositeur, vous laissez la porte ouverte à tous…
JP Jeunet : Le seul qui a l’idée globale de ce qu’il veut faire, c’est le metteur en scène mais ce n’est pas pour autant qu’on ne peut pas prendre les bonnes idées des autres. Par contre, c’est binaire parce qu’on peut aussi refuser poliment en disant oui… mais non, je n’ai pas le temps. Il faut savoir si c’est une plus-value ou non. Je viens de faire des pubs avec Janusz Kaminski, le chef opérateur de Spielberg et il me teste en permanence. Au premier plan, il dit à la productrice qu’il y aura une grue et tout un machin… De mon côté, je dis non, ce sera vu du sol et on fera ça et ça. Si j’ai le malheur de dire que je suis d’accord, c’est mort, il a pris le pouvoir sur le plateau. Il avait déjà fait le coup avant et il avait bien vu que je n’étais pas d’accord avec son idée et il n’a pas insisté.
Véronique: En parlant de collaborateur, le festival a eu la bonne idée de mettre à l’honneur Madeline Fontaine qui a été votre costumière sur plusieurs de vos films. C’est important de mettre en avant ceux sans qui un film ne serait pas possible…
JP Jeunet : C'est certain! Je ne les appelle d’ailleurs pas les techniciens mais les collaborateurs artistiques. Ce n’est pas par fainéantise que je reprends les mêmes équipes mais parce que je sais comment elles travaillent. Ils ne sont pas arrivés d’un coup : on a une connivence, une même idée de conduite… C’est devenu une petite famille.
Véronique: Dans cette famille, on trouve justement Guillaume Laurant, le scénariste de vos films. Là aussi c’est une histoire incroyable. S’il n’avait jamais envoyé son récit d’Amélie Poulain au seul Jeunet de l’annuaire, vous n’auriez jamais pu travailler ensemble…
JP Jeunet : Souvent, on me demande pourquoi je ne change pas de scénariste, si je ne veux pas me renouveler. Alain Resnais fonctionnait comme cela, il changeait à chaque fois, mais moi je mesure la chance que j’ai d’avoir trouvé quelqu’un avec qui partager mes idées. Ensemble, on fait du ping pong, nos idées fusent, pourquoi changer ? C’est comme si vous aviez épousé quelqu’un de formidable et que vous vouliez en changer…
Véronique: Lors des cérémonies d’hommage, le festival invite des proches de la personnalité du jour à venir parler d’elle. Qui aimeriez-vous voir monter sur scène ce soir ?
JP Jeunet : Il y a en a plein… Mes proches collaborateurs : Madeline Fontaine, Aline Bonetto, mes chefs opérateurs Bruno Delbonnel et Darius Khondji, mon monteur Hervé Schneid qui a fait tous mes films sans exception. Même sur Alien c’était lui. Je ne sais plus si je l’ai écrit dans le livre mais lorsque j’ai fait Un long dimanche de fiançailles, j’étais parti en vacances plus tôt et j’avais signé un papier pour dire qu’il pouvait finir le film s’il m’arrivait quelque chose…
Véronique: Et dans les comédiens avec qui vous aimeriez travailler, il y en a à qui vous voudriez faire du pied ?
JP Jeunet : Oui et d’ailleurs, j’ai déjà proposé à certains d’entre eux de bosser avec moi mais ça ne s’est pas fait. J’adore Poelvoorde et Dujardin, peut -être qu’un jour ils me diront oui. J’avais proposé un rôle à Poelvoorde pour Un long dimanche de fiançailles mais il m’a répondu que le personnage était toujours assis et qu’il se ferait chier (rires). Pour Dujardin, c’était un rôle de robot. Je pensais que ça l’amuserait mais ce n’était pas un rôle principal... Il y en a plein d’autres mais je ne sais pas vous dire lesquels comme ça.
JP Jeunet : Oui, mais vous savez, c’est comme un navigateur en solitaire, c’est difficile d’affronter la peur, les obstacles de la mer, les vagues, mais on y retourne.
Véronique: Et puis, vous êtes très à l’écoute des idées apportées par votre équipe. Que ce soit un comédien qui vous propose d’embaucher son fils pour jouer son personnage jeune, un technicien qui vous suggère un jeune compositeur, vous laissez la porte ouverte à tous…
JP Jeunet : Le seul qui a l’idée globale de ce qu’il veut faire, c’est le metteur en scène mais ce n’est pas pour autant qu’on ne peut pas prendre les bonnes idées des autres. Par contre, c’est binaire parce qu’on peut aussi refuser poliment en disant oui… mais non, je n’ai pas le temps. Il faut savoir si c’est une plus-value ou non. Je viens de faire des pubs avec Janusz Kaminski, le chef opérateur de Spielberg et il me teste en permanence. Au premier plan, il dit à la productrice qu’il y aura une grue et tout un machin… De mon côté, je dis non, ce sera vu du sol et on fera ça et ça. Si j’ai le malheur de dire que je suis d’accord, c’est mort, il a pris le pouvoir sur le plateau. Il avait déjà fait le coup avant et il avait bien vu que je n’étais pas d’accord avec son idée et il n’a pas insisté.
Véronique: En parlant de collaborateur, le festival a eu la bonne idée de mettre à l’honneur Madeline Fontaine qui a été votre costumière sur plusieurs de vos films. C’est important de mettre en avant ceux sans qui un film ne serait pas possible…
JP Jeunet : C'est certain! Je ne les appelle d’ailleurs pas les techniciens mais les collaborateurs artistiques. Ce n’est pas par fainéantise que je reprends les mêmes équipes mais parce que je sais comment elles travaillent. Ils ne sont pas arrivés d’un coup : on a une connivence, une même idée de conduite… C’est devenu une petite famille.
Véronique: Dans cette famille, on trouve justement Guillaume Laurant, le scénariste de vos films. Là aussi c’est une histoire incroyable. S’il n’avait jamais envoyé son récit d’Amélie Poulain au seul Jeunet de l’annuaire, vous n’auriez jamais pu travailler ensemble…
JP Jeunet : Souvent, on me demande pourquoi je ne change pas de scénariste, si je ne veux pas me renouveler. Alain Resnais fonctionnait comme cela, il changeait à chaque fois, mais moi je mesure la chance que j’ai d’avoir trouvé quelqu’un avec qui partager mes idées. Ensemble, on fait du ping pong, nos idées fusent, pourquoi changer ? C’est comme si vous aviez épousé quelqu’un de formidable et que vous vouliez en changer…
Véronique: Lors des cérémonies d’hommage, le festival invite des proches de la personnalité du jour à venir parler d’elle. Qui aimeriez-vous voir monter sur scène ce soir ?
JP Jeunet : Il y a en a plein… Mes proches collaborateurs : Madeline Fontaine, Aline Bonetto, mes chefs opérateurs Bruno Delbonnel et Darius Khondji, mon monteur Hervé Schneid qui a fait tous mes films sans exception. Même sur Alien c’était lui. Je ne sais plus si je l’ai écrit dans le livre mais lorsque j’ai fait Un long dimanche de fiançailles, j’étais parti en vacances plus tôt et j’avais signé un papier pour dire qu’il pouvait finir le film s’il m’arrivait quelque chose…
Véronique: Et dans les comédiens avec qui vous aimeriez travailler, il y en a à qui vous voudriez faire du pied ?
JP Jeunet : Oui et d’ailleurs, j’ai déjà proposé à certains d’entre eux de bosser avec moi mais ça ne s’est pas fait. J’adore Poelvoorde et Dujardin, peut -être qu’un jour ils me diront oui. J’avais proposé un rôle à Poelvoorde pour Un long dimanche de fiançailles mais il m’a répondu que le personnage était toujours assis et qu’il se ferait chier (rires). Pour Dujardin, c’était un rôle de robot. Je pensais que ça l’amuserait mais ce n’était pas un rôle principal... Il y en a plein d’autres mais je ne sais pas vous dire lesquels comme ça.
Véronique : Et côté projets ? J’imagine que des idées foisonnent çà et là ?
JP Jeunet : Oui, on a pas mal d’idées avec Guillaume (Laurant, ndlr) mais on ne sait pas encore vraiment comment les faire. Par contre, si vous en avez la possibilité, je vous invite à visiter notre exposition Caro et Jeunet à Lyon en ce moment. On y montre des story-boards, des documents, des objets des tournages. Ça m’a pris deux ans et demi pour la faire et je crois qu’on va faire 150 000 entrées, on est déjà très content ! Véronique : Ça fait combien de stades de France ? JP Jeunet : (Rires). Ça fait 2 stades de France je crois, c’est déjà pas mal ! |