Interview de Radu Mihaileanu
Dans le cadre du FIFA de Mons
Véronique – 17 février 2017
Dans le cadre du FIFA de Mons
Véronique – 17 février 2017
Malgré quelques rendez-vous manqués cette semaine au FIFA, Radu Mihaileanu nous a accordé quelques minutes de son temps, deux heures avant la Cérémonie de Clôture du Festival International du Film d’Amour de Mons. Il faut dire que son planning était plutôt chargé en ce milieu de mois de février ! C’est donc au bout du téléphone que nous évoquons sa semaine au FIFA, sa carrière et son travail de réalisateur engagé. On prête attention aux mots de l’un et de l’autre, et on s’engage dans une discussion franche et instructive pour mon plus grand bonheur.
Véronique : Monsieur Mihaileanu, merci de nous accorder cet entretien téléphonique à quelques heures de la cérémonie de clôture. Lors de cette soirée, vous proclamerez les heureux gagnants. J’imagine que la discussion avec les membres du jury a dû être longue et passionnée ?
Radu Mihaileanu: Longue, je ne sais pas. On a déjeuné et on a pris le plaisir de parler, même si on n’était pas toujours tout à fait d’accord. Chacun éclairait l’autre et c’était très agréable. Pour moi, c’était important que chacun donne son avis sur les dix ou onze films qui nous avions vus. C’était très agréable car nous avons des personnalités différentes et tout le monde apportait sa petite pierre à l’édifice de la réflexion. On est dans une société où tout doit aller vite alors que je trouve qu’il faut prendre son temps, se parler, surtout qu’on tient le rôle important de choisir quel film, quel réalisateur on va récompenser.
Véronique : Vous venez d’horizons très différents. Dans le jury, on trouve des acteurs et des réalisateurs internationaux. Comment jongler avec toutes ces sensibilités ?
Radu Mihaileanu: Parfois on a les mêmes sensibilités parfois non mais ce qui fait que c’est formidable. La démocratie c’est ça ! On voit bien aujourd’hui il y a un populisme et des réflexes non démocratiques qui surgissent alors que la belle démocratie, c’est d’avoir des avis différents, que les uns enrichissent les autres dans leur manière de réfléchir. C’est ça qui est beau : on vient de pays différents, de continents différents, on a des façons d’aborder le métier très différentes et on exprime à la fois notre avis sur des sujets qui eux aussi viennent des quatre coins de la planète. Moi je trouve ça riche mais après, bien sûr, dans la démocratie, malgré la différence de points de vue, on trouve des consensus et tout le monde doit être à peu près heureux ou en paix avec le choix de la collectivité.
Véronique : C’était facile de vous mettre d’accord sur les lauréats ?
Radu Mihaileanu: C’était en partie facile et à la fois, on essayait de trouve la place juste si je peux dire puisqu’on avait seulement cinq prix à donner pour chacun des paramètres des films qu’on a beaucoup aimés. Ce qui était le plus compliqué c’est qu’il fallait choisir un film qui sortait du lot après, la question était plutôt quelle était la place la plus juste pour chacun d’entre eux, ce qui nous rendait contents et qui rendait hommage aux films et à leurs vraies valeurs.
Véronique : Lors de la présentation du jury, vous aviez dit que vous souhaitiez être « un spectateur intéressé, venu à la rencontre d’un public pour partager son expérience ». Comment avez-vous vécu votre semaine au FIFA et la rencontre avec son public ?
Radu Mihaileanu: C’était intéressant car, on les rencontrait après les projections sur la route, en allant vers les voitures ou à pied vers l’hôtel, même si on avait peu de temps pour parler, surtout parce qu’on arrivait avant le film et qu’on partait juste après. Mais ici, grâce à ce festival, on peut les voir le soir car le public est invité pendant les fêtes. On les retrouvait et on discutait à propos des films de la journée. Le contact est formidable, je ne connais pas toute la ville de Mons mais il y a quand même de beaux cinéphiles qui apprécient les films présentés dans ce festival. La richesse de ce festival, c’est aussi la rencontre avec les équipes organisatrices, des volontaires jusqu’André (Ceuterick, ndlr), avec des jurys jeunes ou des jeunes qui viennent d’écoles, ce qui permet un formidable dialogue entre les générations. Juste avant de vous parler, je discutais avec le jury jeune qui me racontait le choix de leurs prix. Et puis il y a bien évidemment les autres artistes, les invités qui passent tout au long de la semaine et venus des quatre coins de la planète, avec qui on peut échanger. C’est vraiment un festival de films et de belles rencontres à tous les niveaux. |
Véronique : On est justement dans un festival consacré au film d’amour, thème que vous avez abordé dans votre dernier film « L’histoire de l’amour », quelle est votre définition d’un bon film d’amour ?
Radu Mihaileanu: Il n’y a pas de définition je pense. Heureusement, il n’y a pas de cadre strict qui le définit. Pour moi l’amour, il est dans toutes les relations humaines, même si parfois c’est de l’amour contrarié, de la haine ou de la passion. Tout ça, ce sont des conjugaisons de sentiments mystérieux qui existent depuis le début de l’humanité. En tout cas, ce que j’attends comme spectateur, d’un « beau » film d’amour, c’est de découvrir un point de vue plus original, intense et qui m’éclaire un tout petit peu plus sur l’alchimie des conditions humaines par rapport à ce sentiment, désiré par l’humanité entière. Le rôle du cinéma c’est de nous éclairer par petites touches, de nous transporter, nous transcender et continuer de nous faire fantasmer sur ce beau sentiment en nous donnant l’envie de le vivre, le toucher sans jamais l’abandonner en tout cas.
Véronique : Vous offrez un cinéma qui nous ouvre à des problématiques qui touchent d’autres pays du monde, je pense à « Vas, vis et deviens » ou à « La source des femmes ». C’est important pour vous d’utiliser le cinéma comme un bâton de parole ?
Radu Mihaileanu: Pour moi, c’est important dans mon cinéma, de voyager à travers beaucoup de points de vue, beaucoup de cultures et d’identités, de problématiques du monde entier. J’aime bien me définir comme un voyageur, présenter une certaine diversité. Je me considère responsable, en tant que cinéaste, d’être une sorte de passerelle entre des événements réels et le public. J’ai une sorte de baguette super magique qui me donne le droit de réinventer des vies, des histoires et des points de vue. Dans le monde où on vit, il y a des tensions, des destructions d’idées et je sens que j’ai une certaine responsabilité. Je ne peux pas prendre la parole pour m’adresser à autant de monde sans être responsable de la manière dont j’en parle, de considérer les risques que j’ai de pouvoir les influencer, de faire réfléchir. Je trouve que c’est notre rôle d’artiste aujourd’hui de mesurer l’importance des effets de ce qu’on montre, ce qu’on raconte, effets qui peuvent être à la fois merveilleux et dangereux.
Véronique : Vous avez justement l’art de nous offrir des émotions justes dans vos films. Comment faites-vous pour ne pas tomber dans la surenchère, dans le pathos, dans des émotions exacerbées ?
Radu Mihaileanu: Je ne sais pas, je n’ai pas de recette. Ce qui est sûr, c’est que je considère que le cinéma et l’art en général est un territoire de surréalité, c'est-à-dire que mon rôle n’est pas juste de reproduire ou de photocopier la réalité mais de la transcender et de l’interpréter. Donc effectivement, je m’aventure parfois sur un terrain dangereux, où l’émotion est un tout petit peu exacerbée, mais en même temps que l’envie d’illustrer cette émotion, j’ai ma pudeur d’une part et la peur de tomber dans un cliché de l’autre. Je travaille avec le doute, l’envie, la peur et ma pudeur. C’est sûr qu’on ne peut pas le calculer, c’est ma nature, mon histoire. Il y a une arme qui m’est donnée, celle de l’humour, qui intervient souvent lorsque j’ai peur d’en faire trop, lorsque le sentiment amoureux par exemple est trop intense. L’humour exprime ma pudeur de ne pas pousser plus loin. Dans « Le concert », dans mon dernier film, il y a cette pudeur et en même temps l’envie que la vie soit un petit peu la flamme, qu’elle nous brûle, qu’elle soit intense puisque les braises sont passagères, autant les vivre à 100%.
Radu Mihaileanu: Il n’y a pas de définition je pense. Heureusement, il n’y a pas de cadre strict qui le définit. Pour moi l’amour, il est dans toutes les relations humaines, même si parfois c’est de l’amour contrarié, de la haine ou de la passion. Tout ça, ce sont des conjugaisons de sentiments mystérieux qui existent depuis le début de l’humanité. En tout cas, ce que j’attends comme spectateur, d’un « beau » film d’amour, c’est de découvrir un point de vue plus original, intense et qui m’éclaire un tout petit peu plus sur l’alchimie des conditions humaines par rapport à ce sentiment, désiré par l’humanité entière. Le rôle du cinéma c’est de nous éclairer par petites touches, de nous transporter, nous transcender et continuer de nous faire fantasmer sur ce beau sentiment en nous donnant l’envie de le vivre, le toucher sans jamais l’abandonner en tout cas.
Véronique : Vous offrez un cinéma qui nous ouvre à des problématiques qui touchent d’autres pays du monde, je pense à « Vas, vis et deviens » ou à « La source des femmes ». C’est important pour vous d’utiliser le cinéma comme un bâton de parole ?
Radu Mihaileanu: Pour moi, c’est important dans mon cinéma, de voyager à travers beaucoup de points de vue, beaucoup de cultures et d’identités, de problématiques du monde entier. J’aime bien me définir comme un voyageur, présenter une certaine diversité. Je me considère responsable, en tant que cinéaste, d’être une sorte de passerelle entre des événements réels et le public. J’ai une sorte de baguette super magique qui me donne le droit de réinventer des vies, des histoires et des points de vue. Dans le monde où on vit, il y a des tensions, des destructions d’idées et je sens que j’ai une certaine responsabilité. Je ne peux pas prendre la parole pour m’adresser à autant de monde sans être responsable de la manière dont j’en parle, de considérer les risques que j’ai de pouvoir les influencer, de faire réfléchir. Je trouve que c’est notre rôle d’artiste aujourd’hui de mesurer l’importance des effets de ce qu’on montre, ce qu’on raconte, effets qui peuvent être à la fois merveilleux et dangereux.
Véronique : Vous avez justement l’art de nous offrir des émotions justes dans vos films. Comment faites-vous pour ne pas tomber dans la surenchère, dans le pathos, dans des émotions exacerbées ?
Radu Mihaileanu: Je ne sais pas, je n’ai pas de recette. Ce qui est sûr, c’est que je considère que le cinéma et l’art en général est un territoire de surréalité, c'est-à-dire que mon rôle n’est pas juste de reproduire ou de photocopier la réalité mais de la transcender et de l’interpréter. Donc effectivement, je m’aventure parfois sur un terrain dangereux, où l’émotion est un tout petit peu exacerbée, mais en même temps que l’envie d’illustrer cette émotion, j’ai ma pudeur d’une part et la peur de tomber dans un cliché de l’autre. Je travaille avec le doute, l’envie, la peur et ma pudeur. C’est sûr qu’on ne peut pas le calculer, c’est ma nature, mon histoire. Il y a une arme qui m’est donnée, celle de l’humour, qui intervient souvent lorsque j’ai peur d’en faire trop, lorsque le sentiment amoureux par exemple est trop intense. L’humour exprime ma pudeur de ne pas pousser plus loin. Dans « Le concert », dans mon dernier film, il y a cette pudeur et en même temps l’envie que la vie soit un petit peu la flamme, qu’elle nous brûle, qu’elle soit intense puisque les braises sont passagères, autant les vivre à 100%.
Véronique : Vous signez toujours vos scénarios ou les co-écrivez. Comment se fait le travail d’écriture de vos films ?
Radu Mihaileanu : C’est toujours un processus un peu long. Il y a des films qui demandent beaucoup de documentation comme « Vas, vis et devient » ou « Le concert » où j’avais beaucoup d’informations précises et des témoignages pour alimenter le film. Il y a des scènes de vraie vie, des témoignages de gens. D’autres films nécessitent moins de documentation, moins d’expérience de terrain mais beaucoup de lecture de livres par rapport aux époques, aux coutumes, aux habitudes, au langage, aux accents, etc. et après, on commence à imaginer les thèmes, les moments les plus importants, et on fait de la couture, ce qu’on appelle la narration, la dramaturgie en même temps qu’on développe la complexité des personnages. Ce qui est beau dans ce métier que je fais, c’est qu’on est obligé, et c’est passionnant, de glisser dans la subjectivité des personnages, même chez ceux qui sont négatifs. On essaie de les comprendre, de cerner leur logique même si ce n’est pas la nôtre. Quand en plus, ces personnages sont d’une culture un peu plus lointaine de la mienne, c’est encore plus excitant et en même temps ça fait peur. C’est jouissif et très dangereux parce que je n’avais pas le droit à l’erreur. Dans « La source des femmes », j’essaie de comprendre la psychologie, la façon de penser des femmes de culture arabo-musulmane, qui vivent dans un village de montagne. En plus, à l’intérieur du village, il y avait aussi des personnalités différentes. On essaie de se glisser dans différentes vies, parfois complexes. |
Véronique : Vous avez été plusieurs fois récompensés par des prix tels que les César pour le scénario de « Vas, vis et deviens » ou pour la musique et le son du « Concert ». Comment réagissez-vous face à ces récompenses ?
Radu Mihaileanu : C’est toujours un plaisir. Il y a une reconnaissance qui fait plaisir mais c’est aussi une aide pour les œuvres à venir. Quand on est primé ou reconnu et qu’en plus, les spectateurs sont au rendez-vous, on a une petite garantie pour faire les prochains films. Mais en même temps, je prends parfois de la distance en me disant que ce n’est pas le plus important non plus.Ca fait plaisir, c’est bien mais le plus important, c’est ce qu’on raconte et on doit rester concentré sur ce qu’on est. Par exemple, après « Le concert », tout le monde disait qu’il fallait que je reste là-dessus, sur des comédies mais à ce moment là, j’avais envie de parler de la vie des femmes arabo-musulmanes et je sentais que quelque chose allait bouger dans cette partie du monde. J’ai fait un petit film sur ces femmes là, ce qui est merveilleux mais à l’époque, tout le monde disait que j’étais fou, qu’il fallait que je continue dans la veine du « Concert » parce que c’était ça qui me rapporterait plus que ce petit film-là. J’ai essayé de rester fidèle à moi-même. Les prix c’est bien, mais ce n’est pas l’essentiel. L’essentiel, c’est ce qu’on raconte et ne pas se trahir soi, ses pensées. Ce n’est pas ça, ça aide et on est ravi de les accueillir mais il faut rester fidèle à soi-même.
Véronique : Vous avez des projets à court ou moyen terme ? Des choses qui se mettent en place ?
Radu Mihaileanu : Oui. Pour l’instant j’écris. Ca reste toujours secret, et par superstition et parce que ça reste une sorte de laboratoire…
Radu Mihaileanu : C’est toujours un plaisir. Il y a une reconnaissance qui fait plaisir mais c’est aussi une aide pour les œuvres à venir. Quand on est primé ou reconnu et qu’en plus, les spectateurs sont au rendez-vous, on a une petite garantie pour faire les prochains films. Mais en même temps, je prends parfois de la distance en me disant que ce n’est pas le plus important non plus.Ca fait plaisir, c’est bien mais le plus important, c’est ce qu’on raconte et on doit rester concentré sur ce qu’on est. Par exemple, après « Le concert », tout le monde disait qu’il fallait que je reste là-dessus, sur des comédies mais à ce moment là, j’avais envie de parler de la vie des femmes arabo-musulmanes et je sentais que quelque chose allait bouger dans cette partie du monde. J’ai fait un petit film sur ces femmes là, ce qui est merveilleux mais à l’époque, tout le monde disait que j’étais fou, qu’il fallait que je continue dans la veine du « Concert » parce que c’était ça qui me rapporterait plus que ce petit film-là. J’ai essayé de rester fidèle à moi-même. Les prix c’est bien, mais ce n’est pas l’essentiel. L’essentiel, c’est ce qu’on raconte et ne pas se trahir soi, ses pensées. Ce n’est pas ça, ça aide et on est ravi de les accueillir mais il faut rester fidèle à soi-même.
Véronique : Vous avez des projets à court ou moyen terme ? Des choses qui se mettent en place ?
Radu Mihaileanu : Oui. Pour l’instant j’écris. Ca reste toujours secret, et par superstition et parce que ça reste une sorte de laboratoire…
Véronique : Ma dernière question est plus personnelle. Mis à part les films que vous avez vus dans la sélection du FIFA, il y en a un qui vous a touché particulièrement ? Radu Mihaileanu : Heu, il faut que je fasse le ménage dans ma tête. Ca remonte à quelques temps, « Frantz » de François Ozon, qui m’a beaucoup touché. J’ai reçu le coffret des César avec tous les meilleurs films et ce film-là m’a beaucoup touché. Peut-être à cause du contexte actuel où j’ai l’impression de revoir les mêmes bêtises, le même populisme mais j’ai trouvé que c’était un très beau film, très pudique et sensible, très bien joué… il m’a bouleversé ! |
(c) FIFA Mons