Leçon de scénario avec Philippe Claudel
Propos recueillis par Véronique dans le cadre du FIFF (6 octobre 2016)
Philippe Claudel s’est rendu au Cameo de Namur le 6 octobre dernier dans le cadre du Festival International du Film Francophone. Durant une bonne heure, l’écrivain (lauréat du Bayard d’or du scénario pour « Une enfance ») a évoqué son expérience, ses rencontres et ses références en compagnie de Delphine Noëls, réalisatrice belge.
Une écriture qui remonte à l’enfance. Chez Philippe Claudel, l’écriture date de l’enfance mais le désir de cinéma est venu tôt aussi. Il en parle d’ailleurs dans son livre « Au tout début », paru aux éditions Aencrages & Co. Enfant, il allait tous les dimanches au cinéma, dans la banlieue de Nancy. A cet âge, il ne s’imaginait pas que quelqu’un les écrivait jusqu’à ce qu’il découvre « Il était une fois dans l’Ouest » de Sergio Leone. Là, il s’est rendu compte que quelqu’un fabriquait les films, que quelqu’un pensait au découpage, au montage, qu’on arrange la réalité et qu’on la reconfigure avec son propre point de vue mais qu’avant de faire le film, il faut l’écrire. |
Issu d’une famille modeste, Philippe Claudel n’avait pas les moyens de filmer les événements de sa vie. Ses parents possédaient un appareil photo mais seul son père pouvait l’utiliser. Dès lors, le jeune Philippe fabriquait une caméra en papier et imaginait qu’il filmait ce qu’il voyait. Quelques années plus tard, ses professeurs ont voulu expérimenter des films dans le cadre de ses cours à l’université, il a pu enfin approcher d’un peu plus près ce métier.
Des histoires qui se prêtent à la littérature, d’autres au cinéma.
Philippe Claudel évolue dans le monde du cinéma et dans celui de la littérature. Pour lui, c’est une chance de pouvoir faire les deux. « Il est facile de faire des livres : on n’a pas de problème, on ne doit pas penser au jeu des comédiens. Pour les films, c’est autre chose, même si on essaie de faire des films peu chers, on se rend compte qu’il faut beaucoup d’argent et que l’échec peu bloquer les choses ». Le cinéma peut exprimer des idées qu’on ne peut mettre en mots. Pour l’écrivain, ses livres sont écrits pour ne pas être mis en scène dans un film puisqu’on est dans une démarche toute autre.
Pour lui, le scénario est une pensée de l’image qui doit être versée dans une langue, soumise à ceux qui devront la jouer, pour leur donner l’envie de la jouer. Beaucoup de ses scénarios naissent de musiques qu’il a entendues et ça lui permet de faire apparaître des histoires et de les mettre en mots ensuite. Son écriture de scénario ne se fait pas par scènes successives. Il a une idée puis une autre, et une autre et il lie le tout ensuite. L’écriture littéraire et scénaristique sont très différentes, à tel point qu’il est bien plus fatigué après avoir écrit cinq heures sur un roman plutôt que sur un scénario. « C’est plus simple parce que l’œuvre artistique, ce n’est pas le scénario, ce sera le film. Le scénario n’est qu’un squelette indispensable mais tout reste à faire. Si j’étais riche, je rêverais de donner un même scénario à dix réalisateurs différents et voir les différents résultats que cela donnerait au final. »
« Il y a longtemps que je t’aime ».
Philippe Claudel a écrit un livre autour de la réalisation de son film : « Petite fabrique des rêves et des réalités ». Il voulait écrire un journal de bord reprenant chaque jour du tournage mais il n’en a pas eu le temps. Lors du montage, il a commencé à revenir sur certains moments forts du tournage, en réalisant un abécédaire.
A travers son cinéma, Philippe Claudel met souvent en scène des accidents de la vie. Il dit d’ailleurs que « Si la vie était plane et lisse, il n’y aurait rien à dire ». Dans « Il y a longtemps que je t’aime », on assiste aux retrouvailles entre deux sœurs. Le personnage de Kristin Scott Thomas est au bord de l’abîme, fracturé, cadenassé. Elle sort de prison après quelques années et se retrouve face à Elsa Zylberstein qui lui offre une empathie exagérée. Un incident démontre souvent les mécaniques (bien huilées) dont usent les gens et ça permet de comprendre les personnages et leurs abîmes. |
« Au cinéma, je m’intéresse au micro-drame que l’on vit avec soi ou qui a lieu entre deux personnages. ». Dans son film, Philippe Claudel traite le thème de l’enfermement de différentes manières : la prison du silence, le secret de famille, le bonheur feint (celui du personnage d’Elsa Zylberstein) l’enfermement de la maison… La prison est toujours présente, par les bruitages au générique, en arrière-plan sonore, et cela accentue le sentiment d’enfermement. Elle l’est aussi par la mise en scène : Kristin Scott Thomas est toujours enfermée dans des cadres stricts avec une caméra fixe. Quand elle commence à aller mieux, la caméra se met elle-aussi à bouger, tout est lié.
Lorsqu’il écrit son scénario, Philippe Claudel pense déjà à son film. Il a de nombreux désirs de couleurs, de format (privilégiant le 1 :85, qui s’oublie et pas le scope car trop de films de cinéma se rapprochent de ce que voit l’œil humain). Les couleurs sont importantes parce que les personnages sont ternes : il utilise alors des camaïeu de bruns, oranges pour se rapprocher des sentiments qu’il veut mettre en image. La caméra doit s’oublier même si elle permet de voir. Il n’aime d’ailleurs pas les travellings car pour lui, la caméra doit se faire discrète, même si on est dans un processus de dévoilement.
Durant près de 12 ans, Philippe Claudel a travaillé en prison et il s’est rendu compte que jamais aucun film (ou aucune série) n’a véritablement réussi à refléter ce qu’était la prison. Bien sûr, il existe des représentations cinématographiques de la prison, mais elles ne sont pas proches de la réalité. Avec « Il y a longtemps que je t’aime », il ne voulait pas filmer la prison en tant que lieu, mais ses dommages collatéraux et notamment la réaction des gens qui croisent la route de Kristin Scott Thomas et qui apprennent qu’elle a fait de la prison.
Dans son film, les actrices sont peu maquillées (juste matifiées) pour que le rendu soit naturel. « Je suis passionné par les visages et par ce qu’ils peuvent faire passer… pas par le jeu, juste par la photographie. Pourquoi certains acteurs font passer des choses sans ne rien faire alors que d’autres pas ? ».
La direction d’actrices
« J’ai fait deux films avec Kristin. Ca n’a pas toujours été très facile parce qu’on est comme chien et chat, surtout sur le tournage de « Avant l’hiver », où j’ai été odieux avec elle. On s’est quitté en mauvais termes alors que le nouveau scénario que j’ai écrit lui irait tellement bien. Je suis très exigeant. Je sais où je veux aller et je préfère quand un acteur comme Daniel Auteuil me demande un maximum d’informations pour coller à mes exigences. Kristin, elle cherche presque toujours le conflit. C’est difficile de travailler avec des gens qui ne veulent rien céder alors que nous non plus. »
Lorsqu’il écrit son scénario, Philippe Claudel pense déjà à son film. Il a de nombreux désirs de couleurs, de format (privilégiant le 1 :85, qui s’oublie et pas le scope car trop de films de cinéma se rapprochent de ce que voit l’œil humain). Les couleurs sont importantes parce que les personnages sont ternes : il utilise alors des camaïeu de bruns, oranges pour se rapprocher des sentiments qu’il veut mettre en image. La caméra doit s’oublier même si elle permet de voir. Il n’aime d’ailleurs pas les travellings car pour lui, la caméra doit se faire discrète, même si on est dans un processus de dévoilement.
Durant près de 12 ans, Philippe Claudel a travaillé en prison et il s’est rendu compte que jamais aucun film (ou aucune série) n’a véritablement réussi à refléter ce qu’était la prison. Bien sûr, il existe des représentations cinématographiques de la prison, mais elles ne sont pas proches de la réalité. Avec « Il y a longtemps que je t’aime », il ne voulait pas filmer la prison en tant que lieu, mais ses dommages collatéraux et notamment la réaction des gens qui croisent la route de Kristin Scott Thomas et qui apprennent qu’elle a fait de la prison.
Dans son film, les actrices sont peu maquillées (juste matifiées) pour que le rendu soit naturel. « Je suis passionné par les visages et par ce qu’ils peuvent faire passer… pas par le jeu, juste par la photographie. Pourquoi certains acteurs font passer des choses sans ne rien faire alors que d’autres pas ? ».
La direction d’actrices
- Kristin Scott Thomas
« J’ai fait deux films avec Kristin. Ca n’a pas toujours été très facile parce qu’on est comme chien et chat, surtout sur le tournage de « Avant l’hiver », où j’ai été odieux avec elle. On s’est quitté en mauvais termes alors que le nouveau scénario que j’ai écrit lui irait tellement bien. Je suis très exigeant. Je sais où je veux aller et je préfère quand un acteur comme Daniel Auteuil me demande un maximum d’informations pour coller à mes exigences. Kristin, elle cherche presque toujours le conflit. C’est difficile de travailler avec des gens qui ne veulent rien céder alors que nous non plus. »
« Deux semaines après le tournage, Kristin Scott Thomas a eu peur de ne pas savoir ce que je voulais. On faisait plusieurs fois la même scène, avec des sentiments différents pour que je puisse faire un choix réfléchi lors du montage. Elle était déstabilisée puisque je ne lui demandais jamais la même chose… du coup, il arrivait souvent que l’on se fritte ».
A la lecture de son dernier scénario, il s’est rendu compte qu’il l’avait inconsciemment écrit pour elle mais puisqu’ils se sont quittés en mauvais termes, il y a peu de chance pour qu’elle puisse accepter, il le regrette… |
* Elsa Zylberstein « Elsa adore les beaux vêtements, être jolie. Pour mon film, elle s’est retrouvée en talons plats (et elle déteste ça) avec des cheveux courts. Habituée à porter des talons, elle n’avait plus la même démarche, on l’a démodélisée pour faire naître un personnage. Quand elle venait sur le tournage, elle me disait « J’ai vu un super imperméable Burberry pour le personnage » et je lui répondais qu’elle incarnait une universitaire mère de famille et que ce n’était pas possible, qu’elle pouvait regarder du côté de H & M ». |
« Tous les soleils ».
« Tous les soleils » est un hommage au cinéma italien que Philippe Claudel affectionne. Il est donc parti de l’idée de mettre en scène deux personnages italiens, vivant à Strasbourg (ville peu filmée au cinéma), et d’y ajouter une touche de tarentelle, genre musical qu’il voulait faire découvrir à son public. Le sujet était là et il était le prétexte idéal pour mettre en scène un large spectre émotionnel et faire passer le spectateur par toutes les émotions possibles.
« Avec Yves Angelo (le réalisateur des « Ames grises » pour qui il a été le scénariste), nous avons eu un grand débat. Ce que je voulais mettre en avant, c’était l’émotion. Lui, préférait partir sur la conciliation. Mon film est sorti il y a 6 ans et est une sorte de feel good movie. Je reçois d’ailleurs beaucoup de lettres, de courriers par rapport à ce film positif ». Philippe Claudel dit adorer être dans l’émotion, dans le sens étymologique du terme, c'est-à-dire dans le mouvement.
« Tous les soleils » est un hommage au cinéma italien que Philippe Claudel affectionne. Il est donc parti de l’idée de mettre en scène deux personnages italiens, vivant à Strasbourg (ville peu filmée au cinéma), et d’y ajouter une touche de tarentelle, genre musical qu’il voulait faire découvrir à son public. Le sujet était là et il était le prétexte idéal pour mettre en scène un large spectre émotionnel et faire passer le spectateur par toutes les émotions possibles.
« Avec Yves Angelo (le réalisateur des « Ames grises » pour qui il a été le scénariste), nous avons eu un grand débat. Ce que je voulais mettre en avant, c’était l’émotion. Lui, préférait partir sur la conciliation. Mon film est sorti il y a 6 ans et est une sorte de feel good movie. Je reçois d’ailleurs beaucoup de lettres, de courriers par rapport à ce film positif ». Philippe Claudel dit adorer être dans l’émotion, dans le sens étymologique du terme, c'est-à-dire dans le mouvement.
Le personnage principal est enfermé dans un deuil et il n’ose pas s’ouvrir à l’amour. Comment se rééquilibrer avec les deuils que l’on a ? « Il faut trouver son propre équilibre pour aller vers la vie. Les fantômes ne sont que des présences qui nous accompagnent toujours, ce ne sont pas êtres lourds et sombres… c’est la mémoire de la vie ! Le vide vient vite, la trace d’une vie humaine s’efface rapidement. D’ailleurs, que savons-nous des générations précédentes ? Avec mon film, j’avais envie de laisser des traces… » Quand il écrit un roman, Philippe Claudel n’a pas d’idées précises des plans, il avance dans l’inconnu total. Il n’y a pas d’économie d’écriture : « si c’est bon, on garde, si pas : on jette ». Par contre, dans le cinéma, il pose des séquences les unes à côté des autres et il laisse le spectateur combler les trous parce que « le cinéma, c’est le rapport entre l’histoire et nous. Il faut accepter de lâcher la laisse du film : on a des désirs, des interprétations mais le film est toujours plus fort que ce qu’on a pensé et on est souvent surpris ». |
Philippe Claudel s’intéresse à tout : la lumière, les costumes, le son… « Je suis tout le temps sur le dos des techniciens et malgré cela, il y a des petites choses qui se produisent et on a des petites surprises ». C’est d’ailleurs pour cela qu’il essaie d’avoir des petites équipes, des petits budgets car cela permet plus de libertés. Le résultat, c’est « Une enfance », son dernier film, tourné là où il vit. Il avait des idées de dernières minutes et il fallait donc déplacer tout le matériel dans ce nouveau lieu. « C’était possible parce qu’on était une petite équipe, les autorisations étaient plus faciles à avoir ».
Devenir scénariste.
Philippe Claudel enseigne l’écriture de scénario à l’Université de Lorraine mais pour lui, l’art du scénario ne s’apprend pas. Des leçons d’écriture de roman non plus. « Pour moi, un écrivain le devient avec ou sans les ateliers d’écriture. Leur seule utilité ? Ca rend légitime le droit d’écrire, ça donne le droit à ceux qui n’osaient pas se lancer de se mettre à l’écriture mais même si on donne des techniques, des conseils, ce ne sont pas vraiment des cours à proprement parler. Il y a des défauts que l’on sait corriger, comme par exemple, apprendre à ne pas écrire les dialogues internes, ni les émotions car le comédien ne doit pas avoir l’impression de ne rien apporter ». Il est d’ailleurs scandalisé par le coût que demandent certaines écoles de cinéma ou de comédie, tout en sachant que les conseils prodigués sont peu judicieux.
Les personnages secondaires.
Philippe Claudel a toujours eu le souci du détail. Pour lui, il y a trop de films où on se focalise sur les personnages principaux et où on délaisse les personnages secondaires, les figurants alors qu’ils font partie du film. Ce qu’il appelle le « feuilletage humain » a une grande importance à ses yeux. « Dans mon film « Il y a longtemps que je t’aime », le policier est un effet miroir du personnage principal. On a des pudeurs qui amènent des solitudes, des malentendus à cause des non-dits, c’est ce personnage qui le montre ». Malgré tout, il est difficile de faire exister des personnages secondaires sans les faire oublier. « Ils doivent prendre leur place dans le film comme dans l’esprit du spectateur, qui, ne l’oublions pas, à une grande mémoire ! »
Le réalisateur est fasciné par les comédiens et à beaucoup d’amour pour eux. Il est étonné de voir des gens qui créent des choses, donnent vie à des personnages qui n’existent pas : « Ils n’existent que grâce au talent de ceux qui les incarnent ». Il ne croit pas à l’improvisation, ou alors, il en aurait peur, en tout cas, au niveau du minutage car cela pourrait créer des scènes trop longues. Il n’aime d’ailleurs pas tourner avec plusieurs caméras et préfère filmer plusieurs fois la même scène : de ce fait, l’improvisation est quasiment impossible. « Si on ouvre la cage, les oiseaux s’envolent. Comment les ramener à ce que l’on veut alors ? »
Devenir scénariste.
Philippe Claudel enseigne l’écriture de scénario à l’Université de Lorraine mais pour lui, l’art du scénario ne s’apprend pas. Des leçons d’écriture de roman non plus. « Pour moi, un écrivain le devient avec ou sans les ateliers d’écriture. Leur seule utilité ? Ca rend légitime le droit d’écrire, ça donne le droit à ceux qui n’osaient pas se lancer de se mettre à l’écriture mais même si on donne des techniques, des conseils, ce ne sont pas vraiment des cours à proprement parler. Il y a des défauts que l’on sait corriger, comme par exemple, apprendre à ne pas écrire les dialogues internes, ni les émotions car le comédien ne doit pas avoir l’impression de ne rien apporter ». Il est d’ailleurs scandalisé par le coût que demandent certaines écoles de cinéma ou de comédie, tout en sachant que les conseils prodigués sont peu judicieux.
Les personnages secondaires.
Philippe Claudel a toujours eu le souci du détail. Pour lui, il y a trop de films où on se focalise sur les personnages principaux et où on délaisse les personnages secondaires, les figurants alors qu’ils font partie du film. Ce qu’il appelle le « feuilletage humain » a une grande importance à ses yeux. « Dans mon film « Il y a longtemps que je t’aime », le policier est un effet miroir du personnage principal. On a des pudeurs qui amènent des solitudes, des malentendus à cause des non-dits, c’est ce personnage qui le montre ». Malgré tout, il est difficile de faire exister des personnages secondaires sans les faire oublier. « Ils doivent prendre leur place dans le film comme dans l’esprit du spectateur, qui, ne l’oublions pas, à une grande mémoire ! »
Le réalisateur est fasciné par les comédiens et à beaucoup d’amour pour eux. Il est étonné de voir des gens qui créent des choses, donnent vie à des personnages qui n’existent pas : « Ils n’existent que grâce au talent de ceux qui les incarnent ». Il ne croit pas à l’improvisation, ou alors, il en aurait peur, en tout cas, au niveau du minutage car cela pourrait créer des scènes trop longues. Il n’aime d’ailleurs pas tourner avec plusieurs caméras et préfère filmer plusieurs fois la même scène : de ce fait, l’improvisation est quasiment impossible. « Si on ouvre la cage, les oiseaux s’envolent. Comment les ramener à ce que l’on veut alors ? »