Rencontre publique avec Dick Tomasovic Samedi 22 octobre 2016 (propos recueillis par Véronique)
Cette conférence, qui intervient dans le cadre de la projection de « Public Enemy », le film de William Wellman, est l’occasion pour Dick Tomasovic d’évoquer un de ses films « coup de cœur », tourné durant la période de la prohibition et qui met parfaitement en exergue le rapport existant entre l’alcool et le cinéma. Mais pourquoi avoir décidé de se pencher sur ce sujet ? Les raisons sont multiples : - L’alcool est un motif régulier dans le cinéma et est déjà très présent dans les films des premiers temps qui capturaient le sujet et le présentaient de façon presque documentaire ou utilisé pour son niveau burlesque (donnant ainsi de belles scènes de disputes dans les bars, des règlements de comptes dans les saloons). On remarque que l’alcool est très présent dans les films tournés aux USA, en Europe et en Asie (régions où l’on boit beaucoup plus qu’ailleurs), et que les images qu’ils distillent nous influencent et créent une interaction importante avec les spectateurs.
- Le second point qui l’intéressait dans ce sujet, c’était la façon dont on pouvait filmer l’alcool, comment rendre l’effet véritable, comment présenter la boisson à l’écran. Selon lui, les cinéastes qui le filment le mieux sont ceux qui sont amateurs de boissons et le meilleur exemple est le réalisateur japonais Ozu qui mesurait la qualité de ses films au nombre de bouteilles bues durant le tournage. - Un autre angle sur lequel il s’est penché, c’est la façon dont on peut illustrer l’ivresse. Par le jeu des comédiens tout d’abord, qui simulent l’état d’ébriété. L’enjeu qui se trame devant la caméra est aussi important que l’enjeu de la caméra elle-même. Comment créer une atmosphère d’ivresse ? Par une mise en place d’un flou artistique ou en faisant tanguer l’image. Les techniques sont diverses et doivent la représenter au mieux. Enfin, il s’est attardé sur les stéréotypes de l’ivrogne dans le cinéma. A quoi ressemble-t-il ? Comment les identifier ? Beaucoup de mélodrames américains présentent des scènes avec des ivrognes, c’est sans doute le genre qui s’y prête le mieux. - Enfin, ce qui a décidé Dick Tomasovic d’étudier le lien entre l’alcool et le cinéma, c’est un texte de Jean Epstein (cinéaste des années 20), intitulé « Alcool et cinéma » (qui a inspiré le titre de son propre ouvrage) dans lequel il indique que l’ « alcool et le cinéma sont identiques […], ce sont deux odes à la paresse […], l’abandon à la sensualité onirique […] mais que le cinéma est meilleur pour la santé que l’alcool ». Dans son livre « SHOTS! ALCOOL & CINÉMA », il a donc décidé de présenter, dans une multitude de petits chapitres, des films où on voit l’alcool, le buveur ou l’ivresse. Que dire d’ « Enemy Public » alors ? La Prohibition a commencé lors de la première guerre mondiale dans les esprits mais c’est en 1919 que les différents états des Etats-Unis l’ont mise en place. Le pouvoir en place remarque que la production et la distribution d’alcool augmentent sans cesse (notamment avec l’immigration massive). Les ligues vertueuses réagissent avec virulence, l’alcool est un problème pour les soldats en guerre, il faut trouver une solution. En 1919, les USA décident donc de retirer les boissons alcoolisées de la vente et d’interdire sa consommation dans tout le pays. Cette situation durera quinze ans. Difficile d’imaginer que cela puisse être possible, d’autant plus que l’alcool est le dernier psychotrope autorisé chez nous ! Si dans les faits, l’alcool est interdit, on se doute que c’est loin d’être le cas : c’est ainsi que naîtra un marché parallèle plutôt juteux. Avec cette période de prohibition on connaît l’avènement de la mafia. Le secteur mafieux attire d’ailleurs la sympathie de la population puisque celle-ci veut avoir accès à l’alcool. Les gangsters deviennent de vraies stars, les médias en parlent énormément et forcément, le cinéma s’intéresse à ceux qui alimentent ce marché noir : ce sont les débuts du cinéma de prohibition.
L’engouement autour de ce genre cinématographique est tel que la production hollywoodienne s’intéresse davantage à ce sujet. Parmi eux, William Wellman (surnommé Wild Bill), cinéaste au passé de hard worker et de hard drinker. Ce bad boy met en images une partie de son passé et réalise ainsi « Public Enemy ». Loin d’être un film brutal montrant une violence gratuite, son long-métrage est une réflexion sociologique sur l’alcool et la société, les dérives qui font de ses consommateurs de véritables malfrats.
Ce qu’il retient de ce film, c’est ce formidable plan d’ouverture qui montre l’alcool partout, dans les bars et qui finit sur deux enfants goûtant un alcool. L’un des deux est en réalité le héros du film, le futur gangster, mâle dominant détenant un pouvoir provenant de la vente d’alcool, boisson qui l’énergise et le rend parfois violent (cf. la célèbre scène du pamplemousse ou celle où il recrache l’alcool). Le film montre le parcours incroyable du personnage, l’avancée de l’homme dans un très rythmé et très dense. A l’époque, le code Hays (code de censure) qui inflige des limites aux films, n’existe pas et « Public Enemy » est le parfait exemple des films de prohibition à part entière. Son casting excellent (composé de comédiens qui ont marqué leur époque) et sa photographie impeccable servent le film et fait de ce long-métrage une étude sociologique entre l’alcool et le cinéma de qualité !
0 Commentaires
|
|