Un projet tout sauf absurde Porté par un casting hétéroclite fabuleux, « Un triomphe » est un métrage bienveillant, un film qui ne juge pas ses héros mais qui laisse la place aux expériences personnelles de chacun plutôt que de s’attarder à leur passé criminel. A l’arrivée d’Etienne, les quelques volontaires qui ont découvert les fables de la Fontaine vont découvrir combien le théâtre peut être une excellente façon de se dépasser, de s’exprimer, de s’ouvrir et de se libérer. Aussi fou que cela puisse paraître, les cinq comédiens en herbe, qui voient le temps s’égrainer lentement au fil de leurs journées, vont relever le défi improbable de jouer la célèbre pièce de Samuel Beckett, « En attendant Godot » devant des publics médusés. Si la préparation et l’apprentissage du texte est bien évidemment au cœur du métrage, la constitution de la troupe et l’importance de la confiance, d’un travail collectif assidu et d’une implication dans un même but occupent également une place de choix. Les répliques délicieuses et situations cocasses nous font décocher quelques (sou)rires alors que les nombreux défis à relever et le jeu d’un Kad Merad taillé pour ce rôle d’une belle humanité constituent de vraies forces que l’on ne peut qu’apprécier. Prévisible et mécanique dans sa mise en scène, le film parvient toutefois à nous cueillir et nous toucher à mesure que l’on avance dans son récit (celui inspiré de l’expérience du suédois Jan Jonson) si fascinant qu’on le croit sorti d’un roman. Très probablement inspiré du documentaire « Prisonniers de Becket », le film d’Emmanuel Courcol est exempt de clichés et recèle une vraie capacité à émouvoir et amuser. Touchant et drôle à la fois, le métrage se démarque des comédies françaises paresseuses qui recyclent inlassablement les mêmes gags. Ici, le réalisateur choisit de divertir et de mettre l’humain au centre de son récit, qu’il soit un comédien aigri détaché de sa famille ou un prisonnier incarcéré depuis plusieurs années. D’une belle sincérité, les comédiens Saïd Benchnafa, Pierre Lottin, Wabinlé Nabié, David Ayala ou Lamine Cissokho interprètent à la perfection ces détenus un peu paumés, partagés entre les rêves de gloire ou de succès et le rappel de leur réalité. En relevant le défi difficile de traiter de théâtre dans un format propre au cinéma, le film s’affirme comme un joli coup de maître auquel on ne s’attendant pas. La découverte d’une œuvre théâtrale magistrale et de son univers, la spontanéité de comédiens en devenir et le combat d’un professeur qui a foi en l’avenir posent les jalons d’un film, parfois un peu longuet, qui s’avère être une vraie bouffée d’air frais !
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Avis : Magnifique ode à la résistance et à l’amitié, « Josep » d’Aurel est sans conteste l’un des films d’animation majeurs de cette année, un drame historique de grande, très grande qualité qui vaut la peine de s’y intéresser. Une rencontre humaine et artistique En mêlant ses propres coups de crayons animés aux traits dessinés par Josep Bartoli il y a quelques dizaines d’années, Aurel nous livre un témoignage inédit d’une époque et d’un contexte dont on savait peu de choses jusqu’ici. Esquissant frénétiquement les traits de ses compatriotes sur le papier de ses rares cahiers, Josep Bartoli à su capter la détresse des républicains espagnols fuyant leur destin, des hommes et des femmes parqués derrière des fils barbelés où la faim, la peur et l’humiliation ponctuaient leur journée. Ces sentiments mais aussi l’espoir de sortir vivant d’un enfer grandissant, Aurel les présente à la perfection dans son film d’animation aussi beau que bon, dans sa forme comme dans son fond. La tendresse qu’il adresse à ses personnages principaux (un gendarme et un détenu), la véracité de ses propos, l’atmosphère qu’il transmet par ses couleurs, ses textures et ses sons font de « Josep » un film inoubliable qui nous poursuit de longues heures après sa vision. La technique et la multiplicité des supports issus du travail d’Aurel et de Josep Bartoli, la superposition de leurs points de vue et la mise en abime de l’art dans un film résolument optimiste constituent à eux-seuls un magnifique hommage aux arts, figés ou animés. L’évolution des dessins au fil de l’intrigue, les émotions transmises par les regards et les répliques de ses personnages, la rencontre passé-présent entre opprimés et gardien compatissant, se mettent au service d’un travail de mémoire admirable particulièrement impressionnant ! Quand la petite et la grande histoire se rencontre d’une si belle façon, il n’y a aucune raison de ne pas répondre à cette belle invitation.
Et c’est précisément dans cette atmosphère globalisée et angoissante de combat contre l’ennemi invisible que se déroule le film de Giovanni Aloi. En effet, le film présente le quotidien d’une patrouille de trois militaires face à un danger qu’on sait imminent. Mais en plus de montrer les missions confiées aux Sentinelles, branche formée au lendemain des attentats de janvier 2015, le film a l’intelligence de mêler la dimension psychologique de ces soldats en pleine fleur de l’âge et « prêts » à intervenir au moindre incident. Dans le rôle de la responsable de cette patrouille, nous retrouvons une Leïla Bekhti qui revêt l’uniforme de l’autorité et de la dignité. Gérant l’imprévisibilité de ses hommes, elle devra se montrer ferme dans ce monde encore profondément masculin. D’ailleurs, nous rions souvent avec cette escouade en quête d’action.
Ensemble, ils seront entrainés et formés à la caserne avec d’autres soldats et patrouilleront le reste du temps ensemble le regard affuté et prêts à intervenir si cela s’avèrerait nécessaire. Alors bien sûr, le film n’oublie pas de traiter de « l’uniformisation » de ces hommes qui devront freiner leurs ardeurs pour respecter un commandement, mais le réalisateur va plus loin. Respectant la promesse d’apporter l’ordre et de veiller à la sécurité des Français, l’armée aura bien sûre des tâches spécifiques qu’il est bon de rappeler. Les relations avec la Police et le CNRS seront aussi mises en lumière et on comprendra très vite que l’amalgame est simple et que le travail sur le terrain balisé peut s’avérer compliqué. Entre moqueries et condescendance, la cohabitation n’est pas aisée. Ainsi, comment rester à sa place lorsqu’un vol ou une agression est commise ? Comment se dire, pour ces jeunes, que chacun doit respecter ses prérogatives et que la police sert à gérer un quotidien conflictuel ? Face à ces interrogations, un des protagonistes principaux dira justement : « La police gère le désordre, nous, on gère l’ordre ». Et face à la fougue de la jeunesse, à ses espoirs et aspirations, tout le propos du film nous apparait comme étant très pertinent et fort bien traité ! Parfois filmé à la manière d’un documentaire avec de beaux plans rapprochés et fixes selon ce qui nous est montré, le film se veut également poétique lorsque le silence se fait dans les rues d’une ville étrangement calme, désertée de ses habitants. Le réalisateur offre au spectateur de belles scènes comme celles des patrouilles avec pour seuls compagnons le vent et le soleil caressant le visage de ces héros anonymes. Que se disent-ils à ces instants précis ? Que ressentent-ils ? Une belle réussite du film est de laisser aux spectateurs, dans ces moments de calme, un espace de projection et de réflexion. Le film possède des qualités évidentes comme celle de présenter de belles personnalités. La méfiance constante de Bentoumi joué par Karim Leklou est truculente ! Tout comme celle de Corvard, son partenaire (Anthony Bajon) qui pose un regard interrogateur qui pourrait être celui du spectateur sur le quotidien que vivent les militaires. L’humanité des personnages y est attachante et l’aspect psychologique n’est jamais en reste. On rit souvent de leur vie à la caserne mais nous sommes également touchés par leurs (dés)illusions. C’est ainsi que, soumis à un stress permanent, l’effondrement psychologique n’est jamais loin… Pour toutes ces raisons que nous avons aimé relever et d’autres que vous ressentirez certainement à la vision du film, nous ne pourrions que trop vous conseiller de vous immerger dans cet univers si singulier.
La loi de l’attraction En plantant son premier métrage dans les montagnes qu’elle aime tant, Charlène Favier nous livre un film très personnel d’une humanité et une tendresse que l’on ne peut qu’apprécier. Inspiré de son propre vécu, « Slalom » est un film sans concession mais sans jugement, un regard neutre porté sur deux êtres fascinés l’un par l’autre, habités par une admiration réciproque et incapables de se libérer de l’emprise qui s’est peu à peu installée de chaque côté. Lyz, déterminée à devenir une skieuse de haut niveau s’en remet à Fred, un coach aussi exigeant qu’attentif qui voit en elle un potentiel auquel personne ne semble avoir cru avant lui.
Si le corps exulte et cherche à dépasser ses propres limites, l’esprit n’en reste pas moins en alerte et sonne le signal d’alarme lorsqu’inacceptable finit par se produire. Mais n’est-ce pas déjà trop tard ? L’admiration réciproque et la tension palpable qui s’installent progressivement entre deux êtres qui ne peuvent que réprimer leur désir de succès (et de séduction) font de « Slalom » un film fort qui a eu l’intelligence de ne jamais tomber dans le manichéisme ou le jugement. Sublimé par une réalisation minutieuse où les plans rapprochés/larges et les couleurs appuient le message infusé, « Slalom » évoque sans tabou mais avec pudeur, la relation ambigüe qu’entretiennent Fred (Jérémie Renier) et Lyz mais pas seulement…
Découvrant des émotions contradictoires la jeune femme se donne corps et âme dans une passion qui la révèle aux yeux de ceux qui l’entourent et l’ont toujours maladroitement aimée. La maturité et la détermination de l’adolescente forcent le respect et confèrent une épaisseur impressionnante à la comédienne pourtant si réservée lors de la séance de Q & A. Outre le tandem interprété avec justesse et empathie par Jérémie Renier et Noée Abita, Charlène Favier nous présente une galerie de personnages secondaires particulièrement bien dessinés, des « référents » qui guident le regard des spectateurs et incarnent les réactions sincères de proches, qui assistant à pareille situation, seraient probablement tout aussi dépassés. Nous emmenant au-delà des situations attendues et nous surprenant par la trajectoire donnée à ses personnages principaux, « Slalom » est un film bienveillant, d’une sincérité remarquable et maîtrisée de bout en bout, un premier long-métrage de grande qualité qui nous poursuit une fois la séance terminée, un film qui prête à réfléchir et qui reste de nombreux jours dans nos esprits bouleversés.
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