Un cri du cœur ou de rage, orienté vers une justice aveugle et un Président de la République trop discret sur une affaire, celle d’Alfred Dreyfus. Un peu plus de cent vingt ans plus tard, le dernier long-métrage de Roman Polanski remporte le Lion d’Argent à la Mostra de Venise. "J'accuse", un film qui n’a pas fini de diviser… tout comme l’affaire relatée à son époque. La preuve que rien n’a changé ? Que l’essence même du métrage est à l’image de notre société ? D, le maudit Deux ans après son échec cuisant « D’après une histoire vraie », Roman Polanski signe un film fort et indispensable à l’heure où l’antisémitisme regagne du terrain dans quelques pays de l’Europe. « J’accuse », preuve ultime que le cinéaste est capable du pire mais surtout du meilleur, a en effet toute l’intelligence d’aborder sous un regard neuf une affaire qui a passionné les foules, les cinéastes, les politiques ou les journalistes de tous temps. Remis au goût du jour et abordé comme une intrigue policière au suspense croissant, le dernier long-métrage de Polanski possède de vraies belles qualités qu’on ne peut contester. Plaidoyer très actuel (dans lequel on trouve indéniablement l’écho des tumultes qui bouleversent son metteur en scène) « J’accuse » aurait pu se placer à la hauteur du Capitaine Alfred Dreyfus et nous faire part des tourments de cet ancien soldat, rétrogradé et isolé sur l’île du Diable, en Guyane. Au lieu de cela, Roman Polanski et Robert Harris (célèbre écrivain britannique et co-scénariste de l’excellent « The ghost writer ») ont opté pour une enquête menée par le Colonel Marie-Georges Picquart, officier promu chef du service de renseignement militaire. Enquête durant laquelle l’ancien commandant et professeur d’Alfred Dreyfus découvre que le vrai coupable (Ferdinand Walsin Esterhazy) court encore les rues et jouit de la liberté ôtée à un innocent dont la vie est à jamais bouleversée. Révélée au monde par le journal l’Aurore, cette erreur judiciaire a donné naissance à de nombreux ouvrages, nombreux films mais a surtout alimenté les rumeurs d’un tribunal populaire aveuglé par les manipulations et mensonges de la Grande Muette. Il ne faut jurer de rien Animé par un réel souci de faire triompher la vérité, le colonel Picquart (excellent Jean Dujardin), mène ainsi sa petite enquête, passionnante tant dans son déroulement que par les émotions que les découvertes vont susciter auprès des différents protagonistes. Minutieux dans sa présentation, abondant dans ses explications, le scénario de Harris et Polanski prend le temps d’évoquer chaque manivelle actionnée dans cette quête de vérité, nous entraînant dans la rencontre de multiples personnages secondaires incarnés avec dévotion par un panel de comédiens secondaires dont certains sont issus de la Comédie Française : Denis Podalydès, Melvil Poupaud, Vincent Perez, Grégory Gadebois (« Le jeu »), Mathieu Amalric, Louis Garrel et Emmanuelle Seigner. Si certains sont davantage dans la prestation théâtrale que dans les émotions vitales, c’est sans doute parce que le cinéaste a opté pour une présentation presque aseptisée des faits afin de rendre plus éclatants les ressentiments de son personnage principal. Alimentée par une bande originale (celle d’Alexandre Desplat) austère et glaçante par moments, la version 2019 de l’affaire Dreyfus devient plus dynamique dans sa seconde partie et fait du procès de Zola et du second jugement de Dreyfus, deux instants clés du formidable métrage impeccablement réalisé. Deux instants-clés compréhensibles de tous grâce à l’installation minutieuse d’un contexte révélé morceau par morceau, à l’instar des courriers déchirés interceptés par les services de renseignement militaire français, ceux-là même qui avaient le poids et la capacité de condamner n’importe quel homme jugé. S’il souffre de quelques longueurs, « J’accuse » est une relecture haletante de la célèbre affaire Dreyfus et fait indéniablement partie des plus grandes réussites de Roman Polanski. Un metteur en scène qui n’a pas hésité à s’exposer sous les feux de la rampe pour évoquer une erreur judiciaire du passé et offrir une relecture remarquable d’un fait de société toujours inquiétant, celle de la montée des extrémismes et de l’antisémitisme dans notre Europe contemporaine. « J’accuse » ou comment la petite et la grande Histoire se mêlent pour prouver que rien n’a vraiment changé finalement… ► Le making of Si on regrette parfois d’avoir quelques bonus commerciaux ou très courts, de simples bandes annonces ou liens vers des explications quelconques, celui de « J’accuse » constitue un making of comme on les aime ! Des vraies coulisses composées d’anecdotes de tournage, de confidences, d’images, d’explications et de points de vue, etc. une richesse plaisante qui permet de comprendre les tenants et aboutissants du film et de son équipe entière. Un régal ! Durant une petite demi-heure on part à la rencontre de tous ceux qui ont permis à « J’accuse » de voir le jour après 6 ans et 4 mois de préparation. Roman Polanski, Jean Rabasse (le chef décorateur), Hubert Engammare (premier assistant du réalisateur), Alain Goldman, le producteur du film, la costumière Pascaline Chavanne, le chef de la photographie Pawel Edleman mais aussi les différents acteurs qui ont pris part au projet, tous donnent leur point de vue sur le travail effectué ensemble et expliquent l’importance de respecter scrupuleusement la réalité historique d’un procès et d’une époque pas si lointaine… Le choix de tourner le film en français, l’authenticité des personnages, des décors et des dialogues. La vérité historique qui prédomine sur tout le reste, les clins d’œil aux œuvres picturales de Béraud, Monet ou deToulouse Lautrec, le besoin de reconstituer le Paris de cette époque, tout est passé au crible et fait l’objet d’un gros travail de documentation, minutieux et précis pour que chaque détail soit proche d’une vérité historique. D’ailleurs, on apprend que différents historiens et conseillers militaires sont venus en consultance sur le tournage pour rendre le tout cohérent et précis. Bien sûr, derrière ce « J’accuse », on trouve un metteur en scène exigeants, présent partout, tout le temps, curieux de ce qui se fait à chaque avant-poste et aussi précis que réconfortant. C’est que, on le découvre ici, Roman Polanski travaille énormément en amont de ses captations : les répétitions, les précisions attendues pour chaque geste, chaque scène, sa direction d’acteur et ses conseils avérés… De nombreux comédiens se livrent sur celui qui dirige le tout d’une main de maître avec son expérience du cinéma et des beaux-arts et son réel souci de précision et de véracité, tant dans l’histoire qu’il présente que dans les cadres. De même, une partie du making of est consacrée au choix et au travail de Jean Dujardin, un comédien investit, concentré, dont l’âge et la ressemblance physique étaient deux atouts majeurs mais pas seulement. Incarnant un passeur d’informations qui met en lumière l’histoire, ses camarades de jeu expliquent combien sa concentration, son investissement, sa force de jeu et sa maturité forcent le respect. Enfin, on comprend que si le sujet de ce « J’accuse » a déjà été bien exploité sur les écrans comme dans la littérature, ce procès qui a duré 12 ans n’est qu’un prétexte pour parler d’un sujet encore tabou et d’une situation qui, aujourd’hui encore, fait parler d’elle et dont on n’a pas fini de voir le bout… Genre : Drame Durée du film : 2h12 Bonus: Un making of passionnant d'une demi-heure
0 Commentaires
Laisser un réponse. |
|