« La Llorona » n’est pas, comme son nom pourrait l’indiquer, un film d’horreur grand public. C’est un thriller politique d’une beauté à couper le souffle et une expérience immersive où l’horreur ne se trouve que dans le passé d’un pays violenté par quelques hommes. Un grand, très grand film, que l’on ne peut que recommander. La Llorona, un mythe qui prend place dans une dure réalité Convoquant des thèmes qui lui sont chers et une famille du cinéma qu’il s’est constitué au fil de ses trois longs-métrages, Jayro Bustamante continue de dénoncer les épines qui ont empêché le Guatemala de marcher vers une réelle liberté durant longues années. Après s’être penché sur le sort des indigènes et celui réservé aux homosexuels, c’est autour des « communistes » de faire leur place devant la caméra du brillant cinéaste. Et pour mettre en forme son idée et son combat idéologique, le réalisateur guatémaltèque a choisi d’emprunter la voie du thriller fantastique, une conjugaison qui fonctionne à merveille et permet ainsi au passé et au présent de se mêler et de s’ancrer dans le mythe et la réalité. Quand le cauchemar d’un pays devient la hantise d’un général génocidaire et de sa famille, cela donne un « Llorona » incroyablement prenant et haletant, un long-métrage qui met tous nos sens en éveil. « Il y a des morts qui ne font pas de bruit, Llorona, et leur peine est plus grande ! », ces quelques paroles issues de la cantine enfantine interprétée magistralement par Gaby Moreno dans le générique de fin résument presqu’à elles-mêmes l’idée générale d’une intrigue profonde, dans laquelle deuil, réparation, révolte et obsession sont légion. Ces morts, ce sont ceux qui, dans les années 1980, sont tombés sous les coups, les tortures et les violences perpétrées par l’armée guatémaltèque envers les Indiens Mayas-Ixiles. Des disparus perdus dans les limbes de la mémoire collective mais dont l’histoire est rappelée par leurs familles, leurs amis, les quelques survivants venus témoigner lors du procès du général Monteverde ou manifester sous les fenêtres de ce dirigeant relaxé. Si la politique se trouve bien sûr au centre du récit, Jayro Bustamante a eu la formidable idée de faire vrombir la colère du peuple en dehors du champ de sa caméra, nous rappelant sa présence au pied de la villa luxueuse du général par quelques intrusions et importantes mobilisations. Mais le passé ne s’arrêtant pas à la solidité des murs, il entre dans la maisonnée par le biais de quelques pleurs, entendus la nuit par l’ancien chef militaire. Serait-ce ceux de la Llorona, cette femme endeuillée issue du mythe rendu célèbre au fil des années ? Magnifique allégorie de la douleur d’un peuple opprimé, cette dame blanche que l’on devine inquiète et bouleverse ses personnages principaux comme ses spectateurs. C’est que le huis clos efficace proposé par Bustamante oppresse et nous fait avancer à pas fébriles dans un drame que l’on imagine emplit de rancœur. Contemplatif, le métrage prend son temps, fait battre nos cœurs à cent à l’heure et nous permet d'aller à la rencontre des fantômes du passé et des affres qu’ils ont tous laissés. Parfaitement interprété par son casting de haute voltige (dans lequel on retrouve des visages amis du cinéma de Bustamante), le film a quelque chose de fascinant dans son approche métaphysique et historique et marquera tous ceux qui découvriront ici une réalité difficilement supportable, celle qui montre combien l’horreur humaine n’a jamais eu de limite. Date de sortie en Belgique/France : 22 janvier 2020 Durée du film : 1h37 Genre : Thriller/Drame/Fantastique
2 Commentaires
Gautier
2/18/2020 05:06:06 pm
Un film d'une rare intensité parce qu'il réussit le tour de force de mêler dénonciation politique et poésie. On a tort d'y voir un thriller : la figure obsédante d'une revenante à la longue chevelure de jais vient hanter la famille d'un génocidaire, pitoyable vieillard envoûté dans sa villa bourgeoise aux portes de laquelle les parents des disparus clament leur peine et réclament justice. Emblématique apparaît alors la toute jeune fille de la famille du général qui cherche à rester en apnée au propre comme au figuré. Et le film est émaillé de finesses de mise en scène comme celle-là.
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Ecran et toile
2/18/2020 05:07:48 pm
Merci Gautier pour le partage de votre avis que nous partageons entièrement
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