Et si on y ajoute une mise en abîme du cinéma à ce casting de haut vol, il semble dès lors difficile de s’arrêter là et de ne pas pousser la porte de notre cinéma… Plus d’un an après sa Palme d’Or reçue pour "Une affaire de famille", Hirokazu Kore-eda installe sa caméra et son sujet de prédilection dans l’hexagone : les relations familiales, ses joies et ses tourments. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que l’on a apprécié suivre la rencontre entre deux grandes dames du cinéma français et sa petite balade dans le crépuscule d’une idole quelques journées d’automne. Sonate d’automne Si le film de Kore-eda aurait tout aussi bien pu s’intituler « Les vérités », c’est parce que celles présentées dans son dernier long-métrage sont nombreuses et difficiles à révéler. Celles de l’immense comédienne Fabienne Dangeville (magnifique Catherine Deneuve) sont manuscrites dans des mémoires fraîchement publiées et mises en doute par sa propre fille Lumir à qui elle avait promis de faire lire son essai avant sa mise sous presse. Celle qui a peu de souvenirs de tendresse maternelle et de soutien affectueux a d’ailleurs choisi de se tracer une route éloignée de cette empruntée par sa mère. Géographiquement (puisque celle-ci s’est installée à New York) et professionnellement (Lumir a refusé d’être comédienne), la jeune femme n’a pourtant jamais quitté l’univers qui la fascinait tant lorsqu’elle était enfant. Devenue scénariste, mariée à un comédien de série peu bancable, Lumir a toujours privilégié la famille et fuit celle qui s’est enfermée dans une armure et feint depuis longtemps ses réels sentiments. Mais lire la vérité fantasmée de sa mère, la retrouver dans la demeure familiale (qu’elle surnomme tendrement la prison) et se replonger dans la nostalgie d’antan, c’est faire un pas en avant et ouvrir la porte de son cœur et de celui de ses parents. En contemplant à distance les retrouvailles austères d’une fille et de sa mère et en partageant quelques jours d’une vie marquée par les fantômes et la nostalgie, Kore-eda nous permet de mesurer combien la filiation qui relie Fabienne et Lumir n’est pas uniquement celle du sang. Ces deux femmes fortes qui se cachent derrière une distanciation préventive partagent pourtant tant de choses et les mêmes douloureux non-dits. Marquées par la perte d’un être cher, lien indéfectible qui les unissait, les deux femmes ne se sont finalement jamais dit le font de leur pensée et ont peut-être trop longtemps soufferts de cette absence de sincérité. Heureusement, le dernier tournage de Fabienne (un film de science-fiction où la difficulté de se voir vieillir se fait fortement sentir) et la publication de son autobiographie vont être l’occasion rêvée de passer du temps en famille et de s’abandonner. Porté par deux actrices fabuleuses d’une sincérité qui émeut, « La vérité » questionne sur l’ego des comédiennes, l’envie d’être éternelle, la difficulté de distinguer jeu et réalité, de se livrer au sein même de sa famille ou de se révéler avec sincérité… Catherine Deneuve, qui nous revient enfin dans un rôle fort et magnifiquement interprété, jouerait-elle d’ailleurs le reflet d’elle-même ? Solaire, l’actrice fait graviter autour d’elle un petit monde qui parvient à s’imposer sans se télescoper. Qu’il s’agisse de la tendre et toujours majestueuse Juliette Binoche ou du plus effacé mais toujours efficace Ethan Hawke ou encore de Manon Clavel, comédienne anonyme qui gagne à être connue et Christian Crahay, le chevalier servant doux dingue, tous accordent la partition de cette sonate d’automne qui n’est pas sans nous rappeler, en substance, le métrage du génial Ingmar Bergman. Si toutes les vérités ne sont pas bonnes à dire, celle de Hirokazu Kore-eda a, malgré quelques lenteurs et moments de latence, su nous émerveiller. Par la douceur de ses images, ses huis-clos confortables, ses dialogues sincères et son mélange comico-dramatique, le réalisateur japonais est parvenu à nous prendre par la main et à nous montrer que même si certaines retrouvailles semblent forcées, elles sont toujours l’occasion de retrouver ce qu’on avait trop longtemps négligé. "La poésie est indispensable au cinéma, qu'elle traite de la violence ou de la banalité du quotidien", phrase prononcée par Fabienne résume à elle-seule tout le génie de Kore-eda, un réalisateur qui en distille depuis quelques années et le fait plutôt bien! Date de sortie en Belgique : 26 février 2020 Durée du film : 1h48 Genre : Drame
0 Commentaires
Laisser un réponse. |