Ici, ce ne sont pas 8 mais 10 personnages centraux qui occupent le devant de la scène, dix figures très dessinées derrière lesquelles avancent deux personnages secondaires un peu moins exploités. Véritable dédale d’intrigues et de rebondissements, le nouveau long métrage de Régis Roinsard empruntent certes quelques gros raccourcis scénaristiques dommageables pour la cohérence de son tout mais possède une construction originale que ne renierait pas les amateurs de polar et autres intrigues signées Agatha Christie. C’est que, même si certains twists semblent se profiler à l’horizon dès les premières présentations des faits et caractères de ses personnages principaux, on assiste, parfois incrédules mais souvent ravis, au déroulement d’un plan parfaitement huilé dès les premières minutes de sa construction. Une mécanique précise qui ne nous laisse aucun répit et qui nous inviterait même à une nouvelle vision pour en cerner tous les contours. Alliant heist movie (film de braquage), thriller, huis clos et vengeance, « Les traducteurs » vaut le coup d’œil pour son originalité mais aussi pour son casting de grande envergure et son côté théâtral assumé. Chapitré tel un roman d’Harlan Coben ou de Michael Connelly, le scénario original de Roinsard (bientôt aux manettes de l’adaptation du roman populaire « En attendant Bojangles ») change de ton au fur et à mesure que l’on déroule le fil d’Ariane d’une histoire qui bascule tantôt dans le film de vengeance, tantôt dans celui d’une arnaque de grande ampleur : comment et pourquoi les premières pages d’un roman mis sous scellé ont-elles été publiées sur le net ? Qui est le maître chanteur qui provoque en duel un richissime éditeur ? « Tu as perdu le sens de la créativité ». Au-delà de son aspect ludique et de ses tactiques dignes d’un petit Cluedo européen ou d’un « Insaisissables » hollywoodien, le film n’est pas sympathique que dans sa forme… Il est aussi intelligent dans ses propos. Ainsi, on assiste à une réflexion sur le rôle des éditeurs et leur propension à penser argent, rentabilité, chiffres et succès populaire alors qu’on les rêve défenseurs de la cause littéraire et médiateurs entre un public et un auteur. Mais c’est aussi une excellente occasion d’évoquer le rôle ingrat du traducteur, celui sans qui de nombreux lecteurs n’auraient pas accès à l’univers de leurs maîtres à penser et qui, tel le batteur du groupe, est indissociable de la construction d’une œuvre mais est toujours placé en retrait et dans l’ombre. Polar machiavélique, « Les traducteurs » a aussi les qualités de ses défauts. A vouloir trop forcer le trait et jouer des clichés, le film risquerait de tomber dans la parodie s’il n’était pas sauvé par son rythme soutenu et ce souhait d’assumer un aspect théâtral tantôt tordu, tantôt parfaitement adapté. Enfermés dans une villa de grand luxe full équipée, nos traducteurs ne semblent pas être très passionnés par l’objet qu’ils sont censés livrer dans leur langue natale. Capitonnage intellectuel qui les coupe du monde extérieur, leur bunker n’a rien de chaleureux et est l’image parfaite de l’éditeur détestable campé par un Lambert Wilson glacial. A quelques pas des plus grandes œuvres littéraires mondiales empilées sur des étagères sans âmes, nos héros du jour s’installent derrière des bureaux austères sur lesquels ne trônent qu’une seule chose : un drapeau de leur pays d’origine, rappel froid de leurs compétences et de leur utilité première, seules raisons qui justifient leur présence en ces lieux chic mais peu accueillants. Derrière ces tables de bois foncé où quelques pages sont livrées jour après jour selon des règles bien instaurées, on retrouve un large casting européen composé de l’ex James Bond girl Olga Kurykenko (« The room », « Dans la brume »), Riccardo Scamarcio, Sidse Babett Knudsen (« L’hermine », « Un hologramme pour le roi »), Frédéric Chau (« Qu’est-ce qu’on a fait au bon dieu ? »), Anna Maria Sturm, Manolis Mavromatakis, Maria Leite, Alex Lawther (« The End of the F***ing World »), un chouïa trop démonstratif que pour être totalement crédible et le grand, l’immense Eduardo Noriega (« L’échine du diable », « Abre los ojos »). Si la deuxième phase de son récit tombe parfois dans l’absurde et joue avec l’espace-temps de façon un peu douteuse, « Les traducteurs » et ses rebondissements font de cette tentative cinématographique un objet intéressant. Suspicions, tensions, révélations, voilà qui rythmera cette grosse heure trente de film d’une convaincante façon. Et s’il faut rendre à Agatha (Christie) ce qui appartient à Agatha, on ne boudera pas son plaisir devant ce dédale bien dessiné dans lequel on s’est largement fait piéger. Date de sortie en Belgique : 5 février 2020 Date de sortie en France : 29 janvier Durée du film : 1h48 Genre : Thriller
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