L’antichambre de la création Film sensoriel et captivant, « Shirley » de Josephine Decker est une expérience de cinéma comme on aime en vivre de temps en temps. Sombre et mystérieux, le biopic de la réalisatrice américaine se veut complexe et intelligent, féministe et intriguant, un croisement efficace entre l’histoire d’une écrivaine misanthrope et antipathique et celles d’une jeune colocataire en qui se fond l’héroïne de son nouveau roman. En poussant la porte de la demeure du couple Hyman/Jackson, Rose et Fred, deux jeunes mariés naïfs et enjoués ne se doutent pas une seule seconde qu’ils deviendront des objets d’étude privilégiés et des invités pervertis et manipulés… Lent et particulièrement prenant, le récit de « Shirley » s’articule autour de différents axes. Celui de la rencontre entre quatre personnages radicalement différents (Stanley et Shirley qui représentent l’excellence et la création alors que Fred et Rose la fraîcheur et l’ambition), aux caractères forts mais oscillants mais aussi de l’angoisse d’une écriture qui se veut de moins en moins inspirée, de la réclusion et le déni ou encore de la création d’une intrigue qui puise son inspiration dans la vie et le présent. Porté par une Elisabeth Moss qui crève l’écran, « Shirley » joue à la fois la carte du thriller psychologique, du drame et du récit biographique, mélange probant dont le résultat devient hypnotique et angoissant, à l’instar de l’univers littéraire de son héroïne acariâtre. Installé au début des années 50, moment où Shirley Jackson se lance dans l’écriture de son deuxième roman « Hangsaman », le récit permet de découvrir les mécaniques d’une écriture incertaine et bientôt frénétique mais aussi de cerner les événements qui permettront à deux femmes que tout oppose de se reconnaître l’une dans l’autre et de s’affranchir des rôles dans lesquels les hommes de la maisonnée les ont peu à peu enfermées. Tortueux, l’esprit de Shirley est magnifié par les traits et expressions d’une Elisabeth Moss qui se révèle dans l’un de ses meilleurs rôles. Admirable de bout en bout (de la rencontre de son personnage lors d’une fête où elle bouscule chacun de ses invités à son final formidablement amené), la comédienne parvient à se fondre physiquement dans la peau de l’inquiétante Shirley Jackson et à insuffler une folie, un génie créatif et un charisme des plus remarquables. Face à elle, la tout aussi concluante Odessa Young, reflet du miroir aux alouettes brandit par l’écrivaine, une jeune femme lumineuse prête à tout sacrifier pour exister et s’intégrer… La relation ambigüe qui se tisse entre les deux jeunes femmes et l’atmosphère malsaine qui plane par moments, à l’image des volutes de fumée qui embrume les pièces de vie, la fascination réciproque qui amène chacune d’elles vers un asservissement ou une libération de chaque instant révèlent tant de choses sur ces destins romancés (ou inventés) et les intentions dissimulées derrière cette biographie de grande qualité ! L’atmosphère gothique du métrage et sa sublime bande son, ses dialogues piquants et la mise en images fantasmagorique du roman démontrent ainsi tout le savoir-faire qu’est celui de Josephine Decker, une cinéaste que l’on découvre avec curiosité au même titre que son drame intime et lent mais totalement maîtrisé. Date de sortie en Belgique : 2 septembre 2020 Durée du film : 1h47 Genre : Drame/Biopic
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